Artelio

accueil > Scènes > article




 

Il tempo degli assassini, de Pippo Delbono

(Le temps des assassins)

À l’occasion de la rétrospective Pippo Delbono au Théâtre du Rond-Point l’auteur et metteur en scène, s’est accordé le plaisir de reprendre un spectacle de jeunesse... 20 ans après... de la nostalgie : la jeunesse a passé !


Pippo Delbono revient cette année au Rond-Point dans le cadre d’un festival qui lui est entièrement consacré. C’est l’Italien dans toute sa splendeur qui charme le public parisien bobo, venu s’émerveiller de son génie. Il tempo degli assassini est pourtant loin d’être la meilleure création du metteur en scène !

"Quand nous avons décidé de monter ensemble ce spectacle, nous voulions parler de Rimbaud, des poètes maudits et des poètes rock, de personnes qui ont vécu et sont mortes comme eux, de la mort d’un peuple tout entier, de la violence, de l’amour et de la solitude. Vastes sujets. Et puis, nous nous sommes mis à parler des petites choses de la vie, petites peurs, petits rêves, petites histoires de tous les jours. Et, sans le vouloir, nous avons parlé de nous..." [1]

L’erreur principale fut certainement de présenter dans la grande salle Renault-Barrault du théâtre du Rond-Point, ce duo rouillé de Pippo Delbono et Pepe Robledo. Spectacle de jeunesse, le plateau vide et immense se remplit mal de leurs petits numéros issus d’improvisations corporelles et autres sketches. Le grand Pippo, avec sa voix d’enfant réclame "oun piti poupée" aux spectateurs français attendris par l’accent italien et peu habitués à se voir interpellés de la sorte. Chant, danse, mime, les duos s’enchaînent, parfois très drôles, surprenants, touchants par la maladresse corporelle d’un Pippo à l’embompoint présent. On parle d’amour, de jeunesse décadente et suicidaire. On entend des lettres tragiques venues d’Argentine dans le noir complet... Mais par moment le rythme et la tension s’essoufflent. Pour qui a vu ou entraperçu Il silenzio, Il tempo degli assassini semble une immense "escroquerie" !

D’abord la salle immense transforme le spectacle en two-man show laborieux, une salle intimiste aurait certainement permis de resserer le lien que Pippo Delbono s’efforce de créer avec le public. D’autre part, ce spectacle de jeunesse dégage un essouflement aussi bien physique qu’artistique. Si Pepe Robledo semble voler d’une danse à une situation de mime avec aisance, il n’en est pas de même pour son partenaire dont l’effort fourni nous fait finalement sortir de la magie qui aurait pu nous emporter.

Mais cette magie est beaucoup plus fragile dans ce spectacle que dans d’autres créations du metteur en scène. Ici les sketches s’enchaînent, souvent surjoués, sur-recherchant l’appui du public, tués par des enchaînements trop faciles et gratuits, décalés aujourd’hui.

Il tempo degli assassini respire et transpire le spectacle de jeunesse avec ses maladresses, ses vides entrecoupant les coups de génie. La question que l’on peut se poser est le pourquoi de cette présentation. Ce spectacle est comme une souvenir nostalgique des tous débuts du metteur en scène et de son comédien argentin. Il faut savoir que Pippo Delbono et Pepe Robledo jouent Il tempo degli assassini pratiquement depuis 20 ans. Ils ont porté le spectacle en tournée en Argentine juste après sa création, le public italien étant à l’époque plus sensible à la mode vidéo/théâtre. Ce spectacle, si plein de la vie des deux acteurs, les a donc accompagné toutes ces dernières années. Sans que pour autant ils en changent la mise en scène. C’est de là que naît peut-être le décalage sensible et "escrocant" du principe de la rétrospective théâtrale : les deux acteurs ont grandi, ont approfondi leur connaissance, leur maîtrise de leur corps et de leur utilisation des signes. Ils semblent jouer aux adolescents, simulant une naïveté et une maladresse que l’on sait désormais fausse. De là naît le malaise.

Il tempo degli assassini présente cependant un intérêt presque de chercheur, nous permettant de comparer le travail des deux acteurs d’il y a 20 ans, actualisé par leurs corps actuels et leur expérience, aux créations d’aujourd’hui, sorties de la même veine mais plus abouties scénographiquement.

Plus abouties scénographiquement dans le sens où Pippo Delbono propose dans Le temps des assassins, un travail d’expression corporelle très précis, un travail basé sur l’énergie, des sons, des sonorités linguistiques. Ce travail technique de distanciation, si proche du mime de Décroux, partant de l’énergie du mouvement (Pippo Delbono parle d’une influence de Pina Bausch) lui permet de toucher à des moments essentiels de sa vie sans tomber dans le pathos : car comment dire "Dis moi que tu m’aimes" ? "

Si tu l’as dit en ayant directement en tête les personnes qui ne t’ont pas aimé, c’est-à-dire en pensant aux désillusions de l’amour, cela devient très pathétique, digne du pire feuilleton télévisé." [2]

De même son rapport à la musique, comme langage à part entière est encore embryonnaire au stade du Temps des assassins.

Mais le trait commun que l’on retrouve aussi bien dans Il silenzio et La Rabbia est cette constante implication politique et humaine : le choix de faire lire à Pepe Robledo les lettres de sa soeur envoyées d’Argentine sont un moment terrible d’humanité bafouée qui donne au spectacle profondeur et maturité.

Il tempo degli assassini possède ainsi des qualités de mise en scène et de recherche d’expression scénique pour des thèmes aussi personnels qu’humains, non négligeables, mais gagne en intérêt, une fois comparé à des travaux plus récents de Pippo Delbono, comme Il silenzio (lien vers l’article) ou la Rabbia.

par Pauline Beaulieu
Article mis en ligne le 12 juin 2004

[1] Note d’intention d’Il tempo degli assassini, in Mon Théâtre Pippo Delbono, livre conçu et réalisé par Myriam Bloedé et Claudia Palazzolo, Le Temps du Théâtre/ Actes Sud, 2004

[2] Pippo Delbono, ibid, p. 43

"Dimmi che mi amerai per sempre" (Dis-moi que tu m’aimeras pour toujours)

Auteur et Comédien : Pippo Delbono Avec : Pepe Robledo

Production Compagnie Pippo Delbono

Pour plus d’informations : Théâtre du Rond-Point