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Sara Baras Ballet Flamenco

Le spectacle de Sara Baras, Mariana Pineda, est incontestablement une réussite jouissive dans le style particulier qu’est le ballet flamenco. Performance technique hors du commun, mélange des genres et des époques, un enchantement musical associé à une harmonie visuelle. Histoire du succès de l’art des gitans marginalisés dans un grand théâtre parisien.


Sara Baras a relevé avec brio un défi étonnant. Elle nous offre un spectacle émouvant et multiple tant par le mélange des genres et des influences que par celui des époques, sur les plans théâtral comme musical. Une réussite par l’harmonie qui résulte de l’interprétation de la pièce de Federico Garcia Lorca, Maria Pineda.

La performance technique des danseurs est tout bonnement fascinante. Sara Baras nous montre un flamenco incroyablement modulable qui pour autant ne perd pas de sa force. Jouant habilement sur le caractère ambigu du genre, non pas androgyne, mais réconciliant sans les altérer des caractères purement masculins et tellement féminins. Sa danse se fait aussi bien souple et moulée que brutale et orgueilleuse. Sa sensualité énergique et sa force canalisée dans les pas et le rythme apportent une tension très personnelle au ballet.

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La qualité plastique du spectacle est incontestable. Dans un noir et blanc velouté que seuls viennent briser les costumes de trois des compagnes de Maria (Sara Baras), et le voile pourpre éclatant dont elle s’enveloppe lors de la fin tragique, on retrouve la profondeur argentée de l’Andalousie. Rien de sinistre dans ce noir et ce blanc. Ils concentrent l’explosion des couleurs figurée dans la musique, dans le titre (pineda, la pinède caractéristique des montagnes andalouses), dans l’éventail de sentiments et de passions mises en scène.

La scène est amplifiée par un jeu de grilles (maures), de vitres opaques et de miroirs. Le spectateur voit plusieurs spectacles, les personnages se croisent, se dédoublent, la scène est double, voire triple. Il voit les danseurs en double, de dos, de face, plusieurs points de vue lui sont offerts. Les costumes sont magnifiques et ont une importance cruciale dans le jeu, la danse, et le tableau. Sara Baras se fond dans ses multiples robes, successivement blanches ou noires.

Conformément au renouveau actuel du flamenco, redécouvert, fusionné, réinterprété, Sara Baras fait appel à d’autres genres musicaux qu’elle incorpore avec finesse à un flamenco alors plein de modernité et d’humour, comme de profondeur musicale. Le blues, le hip-hop (la performance des religieuses, oiseaux de mauvaise augure dans leurs costumes larges et noirs, est particulièrement remarquable), ou tout simplement musique classique. Car il s’agit d’un ballet flamenco, dans le sens le plus classique du mot ballet.

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Le spectacle est aussi remarquable pour le regard qu’il porte sur lui-même, assumant le genre théâtral se mêlant à la danse, accentuant parfois le jeu de marionnettes de certains danseurs, la sensualité des duos dans le genre du "romance" (très associé au romantisme et à l’orientalisme du XIXème siècle en Andalousie), ou encore avec ces clins d’œil à cette Espagne détestée par Lorca, celle du catholicisme obscurantiste et du conservatisme, en traitant avec humour les personnages des religieuses. Sur un flamenco aux consonances hip-hop, on les voit exécuter des gestes saccadés et prendre des poses sensuelles contrastant avec leurs costumes austères et effrayants. Elles ont des mouvements brusques identiques à ceux des personnages des gardes civils, habilement travestis en fifres de Manet.

Un spectacle à part entière donc, même si les "improvisations" de la fin, dans le plus pur style andalou du jaleo (mot à mot : l’agitation transmise aux spectateurs lors des concerts, les fameux "olé"), sont peut-être la partie la plus prenante du spectacle. Même dans une grande salle néophyte. Une réussite frappante dans un style particulier, celui du ballet. Novatrice, moderne, surprenante et émouvante, comme dans cette formidable scène où le personnage de Maria se débat contre l’emprisonnement figuré par ce long ruban noir, scène d’une insoutenable tension prouvant une incroyable maîtrise technique, la performance de Sara Baras est à souligner.

par Florence Brisset
Article mis en ligne le 30 septembre 2005