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À quoi joue Philippe Starck ?

Exposition au Centre Pompidou à Paris jusqu’au 12 mai 2003

Le célèbre designer français s’offre une rétrospective de son vivant. Une exposition aussi décevante qu’inattendue.


Philippe Starck. Voilà un nom qui fait rêver les plus branchés des avant-gardistes, les plus avant-gardistes des modernes. À 54 ans, le célèbre designer français s’offre aujourd’hui une rétrospective au Centre Pompidou jusqu’au 12 mai 2003. "Pendant vingt ans je me suis arrangé pour qu’aucune exposition me concernant ne puisse se faire. J’en ai découragé plus d’un... L’âge venant je me suis dit que ce serait plus drôle de la voir vivant que mort", affirme-t-il dans le dépliant distribué à l’entrée de l’exposition.

L’entrée est d’ailleurs toute starckienne : gros plan sur un visage grimé de blanc qui vous invite ou vous agresse, c’est selon. Il vous propose d’entrer et de "venir écouter le gros prétentieux qui dit qu’il a tout fait !". Starck a fait le pari de se moquer de lui-même. Chiche ! La curiosité du public est indéniable. Il ne sait pas quoi attendre mais il s’attend à une bonne surprise. On entre dans la salle, bien décidé à découvrir ce qu’il nous cache de si extraordinaire derrière cet épais rideau de velours noir. La cacophonie. C’est la première chose qui saisit le quidam. On se sent vite égaré, perdu dans cette vaste pièce elliptique dont le bruit incessant cohabite avec l’obscurité voulue de la pièce. Onze bustes sur lesquels le visage de Starck est projeté à deux mètres de hauteur forment un cercle. Ses objets défilent sur des écrans placés au-dessus des bustes parlants. Tables, bougeoirs, bureaux, horloges, lunettes, couteaux, vases et autres presse-citron défilent au gré de ses humeurs. Starck commente donc la genèse et la réalisation de ses créations. L’artiste se fait historien et critique officiel de ses propres ouvrages.

Voilà un caprice de star, un de plus. Reste à débuter la visite ; on ne sait exactement par quel bout commencer. Nous voici donc devant l’une des représentations vidéo du designer. Les cheveux sculptés de son buste ressemblent à s’y méprendre à une auréole qui en dit long sur l’idée que se fait Starck de Starck. "J’étais obligée de lire les sous-titres en anglais", s’exclame Laurence, incapable comme bien d’autres d’entendre distinctement le discours du professeur. "On n’entend rien" s’énerve Jérôme, "c’est cacophonique" rajoute son ami Jean-Pierre. La musique de Laurie Anderson qui se superpose à l’ensemble n’arrange rien. Starck s’amuse. Il raconte comment lui est venu l’idée de tel tabouret. Avec qui il a collaboré pour telle théière. Qui lui a commandé les plans de tel restaurant. Starck raconte, chante, octroie les bons comme les mauvais points, s’insurge, s’émerveille, remercie. Starck fait son cirque.

On touche avec les yeux. C’est probablement sa devise puisque pas un seul de ses objets n’est physiquement présent. Enfin, si : au milieu de la pièce, le maître a bien voulu exposer une sculpture de trois mètres de long intitulée "l’Ombre" qui ressemble à s’y méprendre à une gigantesque cacahuète. Le spot lumineux éclaire le sol à plus de dix mètres de l’œuvre, renforçant l’absurde de la chose. Très vite, il faut retourner aux explications télévisées. "La vidéo, on a ça à la maison...", ironise David, qui se sent floué par le maître. Starck joue. Entre deux explications, il nous gratifie de ses considérations philosophiques ("Je ne crois pas en la pensée unique") ou bien de ces humeurs passées ("Il fallait que je sois extraordinaire, il fallait que je démontre mon talent"). Très vite l’auto-dérision, toute factice, devient exaspérante. Sous couvert de démocratiser le design, Starck dit tout et son contraire. Seuls quelques rares passionnés s’y retrouvent.

On se dit qu’il faut y mettre un peu du sien, se forcer. Après tout, le designer est universellement reconnu et l’on ne compte plus tous les prix qu’il a reçus, les musées qui l’ont accueilli, de Kyoto à New York en passant par Munich. On change donc d’écran avec la ferme intention de s’y astreindre jusqu’au bout. Si l’on est chanceux, on pourra se raccrocher à telle ou telle anecdote. Mais Starck joue encore et encore. Lorsque l’image de son visage n’apparaît pas comme traversée de rayons X, ses yeux s’illuminent et le son de sa voix est diffusé en accéléré. Après tout, la rétrospective est faite par Starck pour Starck. Alors pourquoi se soucier du public ? Le maître designer s’est toujours défini d’abord comme un citoyen démocrate. Rendre la créativité accessible à tous est sa devise. Il raconte ainsi comment l’une de ses plus célèbres créations (une chaise) a vu son prix diminuer de plusieurs milliers de francs à une poignée de dollars. Mais le maître s’est fourvoyé : la compréhension du spectateur est sacrifiée sur l’autel (bruyant) de sa mise en scène.

Après une heure de déambulations, le public toujours aussi hébété, sort de la pièce. Et là, la surprise se joint à la déception. "On pensait qu’il y avait une suite", s’exclame Jérôme. Et bien non. Starck ne vous invite plus à vous évader, à créer mais plutôt à aller acheter ses deux livres en vente à la librairie. "À la gloire de Starck", résume Véronique dans un accès d’énervement. "C’est de l’arnaque", s’exclame David ; "C’est intéressant, mais pas plus de cinq minutes", admet Jean-Pierre. À la sortie, le designer fait l’unanimité. Contre lui.

par Aurélien Hélias
Article mis en ligne le 12 avril 2003

Informations pratiques :
 artiste : Philippe Starck
 date : jusqu’au 12 mai 2003
 lieu : Centre Pompidou, 75191 Paris cedex 04
 horaires : de 11h à 21h.
 tarifs : 6,5 € et 4,5
 informations pratiques : site internet du Centre Pompidou