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Bacon / Picasso : la vie des images

Exposition au musée Picasso à Paris du 2 mars au 30 mai 2005

Après un éclairage sur les apports d’Ingres dans l’oeuvre de Picasso, le musée parisien dédié au génie du 20ème siècle explore l’attrait qu’il a pu exercé sur un de ses cadets, Françis Bacon. Sans la découverte de l’oeuvre de Picasso en 1927 dans une galerie parisienne, Bacon ne serait jamais devenu peintre : dès lors, la carrière du britannique se souviendra constamment de l’électrochoc Picasso. Le musée Picasso propose un parcours thématique sur les rapports entre les deux artistes, passant de l’obédience à l’hommage.


Correspondances de maîtres

Le jeune Bacon se fond au cours des années 1930 dans l’oeuvre de Picasso : ses figures féminines comme ses intérieurs sont confondants de ressemblance avec ceux de son aîné, citant ses formes et ses couleurs. On connaît mieux la maturité de Bacon, ses figures tordues aux formes floues, dont une vision personnelle de l’humain est le fil conducteur : de là les comparaisons entre les Baigneuses picassiennes de l’entre-deux-guerres et le Triptyque de Bacon à la mémoire de son amant George Dyer en 1971, se renvoyant par delà les décennies des corps dissolus dans des ambiances étranges, balnéaire dans un cas et domestique dans l’autre.

Pablo Picasso, Crucifixion (huile sur contreplaqué-7 février 1930-Paris, Musée Picasso) - 22.6 ko
Pablo Picasso, Crucifixion (huile sur contreplaqué-7 février 1930-Paris, Musée Picasso)

Quant aux magistrales compositions de Picasso autour de la Crucifixion, partant du chef-d’oeuvre de Grünewald, elles ne mésestiment guère les trois études de Bacon sur le même thème : l’espanol s’affirme par une maîtrise du dessin et de l’expressivité colorée, l’anglais par par son renouvellement des formes humaines aussi plastiques que floues. Dans son avant-garde, Bacon emploie néanmoins le format monumental et le fond neutre d’un classicisme séculaire, tandis que son usage d’intérieur ambigü évoque les espaces picturaux de Matisse.

Les récurrentes tauromachies de Picasso, reflets d’un appétit sexuel continu, trouvent un certain écho dans une Étude pour une corrida du peintre brittanique : le torero Bacon affronte un animal d’une force plastique inouïe, fondus dans des courbes omniprésentes : double autoportrait, à la manière de son inspirateur ? Les autoportraits autonomes de Bacon partent en tout cas d’une déconstruction cubiste de la forme, pour arriver à une expression originale, qu’il définissait ainsi :"Il y a un domaine que Picasso a ouvert et qui, en un certain sens, n’a pas été exploré : une forme organique qui se rapporte à l’image humaine mais en est une complète distorsion". Une telle théorie se manifeste dans les représentations de corps alanguis : là où Picasso représente des corps féminins aux volumes ronds et sensuels, parfois mâtinés d’orientalisme, Bacon impose un amas de chairs bigarrés, plus proche de l’agonie que de l’extase ; de même, l’emploi de couleurs autant vivaces que neutres ne se retrouve guère chez Picasso, si ce n’est dans son Grand nu au fauteuil rouge de 1929. Au final, si Picasso put trouver des moments relatifs d’Arcadie dans son art, Bacon perservera jusqu’à sa mort dans la voie unique de l’exaltation du difforme et de l’ambigü, imposant une réelle esthétique du laid à la manière d’un Soutine.

Chemins d’initié

Francis Bacon, Triptyque (huile sur toile-Août 1972-Londres, Tate Gallery) - 6.6 ko
Francis Bacon, Triptyque (huile sur toile-Août 1972-Londres, Tate Gallery)

Les collections publiques françaises possédent peu d’oeuvres de Bacon, et l’on se réjouira là de découvrir des oeuvres de grand format rarement présentées en France, conservées bien souvent dans les musées anglais ou des collections privées. Cette habile et inédite confrontation s’accompagne d’une présentation diachronique, thématique et non chronologique : le néophyte échappe là à la complexité de deux longues vies aux nombreux chaos artistiques et personnels.

L’excercice de style est néanmoins difficile à tenir : les spécialistes et les amteurs auront parfois bien du mal à établir des correspondances entre deux styles bien singuliers, parfois juste rapprochés par un thème en commun. L’ascèce textuelle n’aiderai guère plus le visiteur, un simple panneau présentant au départ les partis pris et points forts de l’exposition. Un éclairage particulier sur des points précis peut souvent manquer, notamment le rapport à la femme : la compréhension de certaines oeuvres pourra peut-être se trouver facilitée par la connaissance d’un amour effrené du sexe opposé chez Picasso, contrastant avec l’homosexualité mal assumée de Bacon ; il est ainsi des artistes dont la vie privée, même la plus triviale, influe sur la création et donne quelques clefs de compréhension supplémentaires. Le point de vue résolument non chronologique du parcours pourra autant déconcerter le découvreur, ne trouvant une évocation de la rétrospective de Picasso ayant impressionné Bacon qu’à la troisème salle. Ceux qui préfèrent commencer par le commencement risquent de ne pas plus apprécier la présentation du thème de la Crucifixion autour de deux rampes d’escalier ; le lieu est tellement inapproprié pour la présentation des Études de Bacon qu’il serait vain de chercher un point de vue sans reflet parasite...Aussi déplorable que la surreprésentation des oeuvres de Picasso par rapport à celles de Bacon, travers qu’on expliquera par les problèmes actuellement posés par le prêt d’oeuvres comme la facilité de présenter les collections de sa propre institution.

Une vrai rencontre au sommet. Mais plus pour compter les coups d’éclat que chercher une comparaison argumentée.

par Benjamin Couilleaux
Article mis en ligne le 9 mai 2005

Informations pratiques :
 artistes : Bacon Picasso
 dates : du 2 mars 2005 au 30 mai 2005
 lieu : Musée Picasso-Hôtel Salé, 5 rue de Thorigny, 75003 Paris Métro Saint-Paul (ligne 1) ou Chemin-Vert (ligne 8)
 horaires : tous les jours sauf le mardi de 9H30 à 18H00
 tarifs : 6,7 euros. Tarif réduit (de 18 à 25 ans inclus) et dimanche : 5,2 euros. Accès libre pour les moins de 18 ans, les enseignants en activité. Gratuit pour tous le premier dimanche de chaque mois. Le billet pour l’exposition donne aussi accès aux collections permanentes
 renseignements : Site internet