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Cet immense rêve de l’océan

Exposition à la Maison Victor Hugo à Paris du 2 décembre 2005 au 5 mars 2006

Pour signaler l’acquisition d’une édition exceptionnelle des Travailleurs de la mer, la Maison Victor Hugo expose pendant trois mois un ensemble de dessins de l’écrivain, agrémentés de quelques photographies et lettres, à la plume et au lavis d’encre brune pour la plupart, parfois réhaussés de fusain ou gouache, tournant autour du thème de la mer. L’exposition est riche, outre du manuscrit, de soixante-dix dessins du poète, complétés par une quarantaine de gravures de Méaulle qui reproduisent les dessins de Hugo pour ledit manuscrit.


Du contexte ...

L’affiche de l’exposition est illustrée par Ma destinée, marine de Victor Hugo à la plume et au lavis d’encre brune, qui met en scène un navire porté par la vague déchaînée de l’océan, métaphore des engagements du poète. Le titre de l’exposition, quant à lui, est emprunté à une lettre qu’avait adressée Victor Hugo à Frantz Stevens, le 10 avril 1856 : "J’habite dans cet immense rêve de l’océan, je deviens peu à peu un somnambule de la mer, et, devant tous ces prodigieux spectacles et toute cette énorme pensée vivante où je m’abîme, je finis par ne plus être qu’une espèce de témoin de Dieu". En cette année 1856, Victor Hugo est en exil : commencé au lendemain du coup d’état du 2 décembre 1851 orchestré par celui qu’il appelle "Napoléon le Petit", l’exil durera jusqu’à la chute de Napoléon III (1870). Après un bref passage par Bruxelles, Hugo part pour Jersey où il arrive en août 1852. Forcé à quitter l’île en octobre 1855, sur ordre des autorités, il se réfugie sur l’île de Guernesey, plus petite et plus sauvage que Jersey.

(JPEG)C’est durant cette longue période d’exil que Victor Hugo produira les œuvres majeures de sa carrière littéraire : Les Contemplations, Les Châtiments, Les Misérables et Les Travailleurs de la mer. L’exil sur ces îles et l’acquisition de Hauteville House sur Guernesey, face à la mer, favorisent cette rencontre frontale entre l’océan et Victor Hugo, rencontre qui atteint son paroxysme dans Les Travailleurs de la mer. Ceux-ci sont rédigés en moins de six mois et sont livrés avec plus de trente dessins, réalisés par l’écrivain lui-même. Hugo n’a pas cherché directement à illustrer son roman : les dessins sont antérieurs voire postérieurs à l’écriture du manuscrit et sont un échantillon des réalisations graphiques de l’écrivain, dans la dernière moitié de son exil. Fidèle observateur des tempêtes et naufrages qui se déroulent sous ses yeux, Victor Hugo, sans cesse accompagné dans son exil par cet immense océan qui s’étend à ses pieds, produit une œuvre, tant littéraire que graphique, fortement soumise aux influences de cet élément déchaîné, métaphore de sa condition humaine et politique. C’est à Guernesey que l’osmose entre l’artiste et l’océan sera la plus parfaite, osmose qui l’amènera à écrire "j’ai eu deux affaires dans ma vie : Paris et l’océan". Ce petit aphorisme fut retrouvé après la mort du poète dans un de ses nombreux dossiers intitulés Tas de pierres, contenant ce que l’écrivain appelait des "œuvres flottantes", qu’il aurait aimé voir regroupées dans des recueils qui auraient pris le nom d’Océan.

... aux œuvres.

L’exposition regroupe un grand nombre de marines de la main de l’écrivain, que viennent enrichir les illustrations des Travailleurs de la mer. Plus le temps s’écoule, plus les œuvres au lavis de l’artiste se font abstraites, tachistes, impressionnistes, suggérant une certaine rêverie de l’esprit de l’artiste, favorisant la rêverie de l’esprit du visiteur qui se laisse conduire au rythme des flots. Les commentaires de l’exposition, fortement lyriques, qui n’échappent pas toutefois à un certain vide, amènent le visiteur à cette rêverie que vient briser de temps à autre la violence d’un naufrage.

Rares sont les personnages qui viennent habiter ces dessins à l’encre. Parmi les illustrations des Travailleurs de la mer, on retrouve La Pieuvre qui enserrait Gilliatt, dont la description est devenue un modèle littéraire du monstrueux : "Des huit bras de la pieuvre, trois adhéraient à la roche, cinq adhéraient à Gilliatt. De cette façon, cramponnée d’un côté au granit, de l’autre à l’homme, elle enchaînait Gilliatt au rocher. Gilliatt avait sur lui deux cent cinquante suçoirs. Complication d’angoisse et de dégoût. Être serré dans un poing démesuré dont les doigts élastiques, longs de près d’un mètre, sont intérieurement pleins de pustules vivantes qui vous fouillent la chair". Un peu plus loin, c’est Le Roi des Auxcriniers qui hante un dessin : semblable au dieu égyptien Bès, son corps est rond et trapu, ses mains et pieds palmés, personnage que Hugo décrit de la façon suivante : "Les ignorants seuls ignorent que le plus grand danger des mers de la Manche, c’est le roi des Auxcriniers. Pas de personnage marin plus redoutable. Qui l’a vu fait naufrage entre Saint-Michel et l’autre. Il est petit, étant nain, et il est sourd, étant roi. [...] Une tête massive en bas et étroite en haut, un corps trapu, un ventre visqueux et difforme, des nodosités sur le crâne, de courtes jambes, de longs bras, pour pieds des nageoires, pour mains des griffes, un large visage vert, tel est ce roi. Ses griffes sont palmées et ses nageoires sont onglées. Qu’on imagine un poisson qui est un spectre, et qui a une figure d’homme".

En revanche, si les personnages se font rares dans ces paysages tantôt gouvernés par des flots calmes, tantôt dominés par des rouleaux déchaînés, il en est un dont la présence est éclatante : il s’agit de Victor Hugo qui nous entraîne dans son imaginaire. Loin de s’effacer derrière les paysages marins, l’artiste, tacitement ou non, rayonne sur son œuvre. L’écrivain voit dans l’océan une métaphore de sa propre personne, ainsi que le révèle une carte de visite envoyée le 28 décembre 1856 à Paul Meurice, qui fut à l’origine de la création du musée et qui fut nommé par testament exécuteur de l’œuvre littéraire de Hugo, et illustrée par les soins de l’auteur. Au revers de la carte, Hugo écrit : "Au revers de ce carton j’ai barbouillé ma propre destinée - un bateau battu de la tempête au beau milieu du monstrueux océan, à peu près désemparé, assailli par tous les ouragans et par toutes les écumes, et n’ayant qu’un peu de fumée qu’on appelle la gloire, que le vent arrache, - et qui est sa force.-" Ainsi le thème marin de cette exposition porte en lui-même la présence de l’auteur des Travailleurs de la mer. Mais au-delà de cette présence évanescente, c’est de façon bien réelle qu’Hugo est présent. Tantôt il s’agit d’une photographie qui le met en scène, comme cette image de Hugo à Jersey sur le rocher dit "des proscrits", tantôt il s’agit d’une signature, d’un grossissement de ses initiales, arrogante affirmation du "moi hugolien", que l’on peut sans doute percevoir dans le "V" et le "H" que dessinent les tentacules de La Pieuvre des Travailleurs de la mer.

Cette exposition, qui n’est pas sans rappeler l’exposition de la Bibliothèque Nationale de France, Victor Hugo l’homme-océan, du printemps 2002, dont elle partage d’ailleurs le thème de la mer - qui était un thème parmi d’autres en 2002 -, occupe le premier étage de la maison Victor Hugo de la place des Vosges, le second restant ouvert pour qui veut visiter l’appartement que Hugo occupa avant son exil de 1832 à 1848. Il est possible de regretter le lyrisme de certains commentaires, qui tend à faire du commentaire "une œuvre d’art", à côté du travail du poète, alourdissant quelquefois la légèreté du lavis du dessinateur et détournant de l’œuvre de l’artiste. Malgré ce léger bémol, l’exposition qui décline les variations hugoliennes autour du thème marin, offre au visiteur les associations auxquelles se livrait Hugo entre le texte et le graphisme, témoignage supplémentaire d’un artiste protéiforme, qui fut voyageur, poète, romancier, homme de théâtre et homme engagé, n’hésitant pas à devenir aussi dessinateur.

par Aurore Rubio
Article mis en ligne le 7 décembre 2005

Informations pratiques :
- artiste : Victor Hugo
- dates : du 2 décembre 2005 au 5 mars 2006
- lieu : maison Victor Hugo, Hôtel de Rohan-Gueménée, 6 place des Vosges, 75004 PARIS (métro Chemin vert, Saint-Paul et Bastille)
- horaires : ouvert du mardi au dimanche, de 10 à 18h
- tarifs : la collection permanente est gratuite, les expositions temporaires sont payantes
- renseignements : 01 42 72 10 16

Pour aller plus loin :
- le site de la Maison de Victor Hugo
- le dossier de la BNF sur Victor Hugo l’homme-océan et sur Victor Hugo
- le dossier de l’Encyclopédie de l’Agora