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James Natchwey, l’oeil témoin

Exposition à la BNF (site Richelieu) à Paris du 29 octobre 2002 au 2 mars 2003

James Nachtwey est reporter de guerre. Entré en photographie par admiration pour les reporters du Vietnam tels que Don Mc Cullin et Larry Burrows, Nachtwey couvre les conflits qui secouent la planète (Bosnie, Kosovo, Rwanda, Tchétchénie, Afghanistan, Palestine, Afrique du Sud...). Mais, depuis la fin de la guerre du Vietnam, et surtout depuis les vingt dernières années, les conditions mêmes du travail des photographes de guerre ont connu une évolution sensible et les images ont changé de statut.


Il n’est plus aujourd’hui question, comme aux temps héroïques du Vietnam, pour un journaliste de sauter d’un hélicoptère de l’armée à l’autre pour accéder au front au nom du respect au droit à l’information. Les conflits sont désormais censurés, leur accès rigoureusement réglementé et les images contrôlées. La guerre est cachée, devenue invisible, quasiment sans image comme le fut la guerre du Golfe en 1991. D’abord par la volonté des militaires qui veulent maîtriser la production et la circulation des images, mais aussi à la suite de la faillite d’un modèle du photojournalisme, conséquence de la mise en place d’une économie globale de l’information, celle de l’hégémonie de l’information en continue. Et s’il subsiste encore des zones de guerre accessibles, les photojournalistes doivent, comme le reconnaît James Nachtwey, trouver à photographier autre chose que les combats. Aussi, montrent-ils les ravages de la guerre, son cortège de destructions et les conséquences sur les populations civiles. Avec cette nouvelle logique de l’information, on est ainsi passé d’une photographie des combats à une photographie des victimes, des faits aux conséquences. Bref, d’une photographie d’information à une photographie de l’émotion, de la compassion.

James Nachtwey est sans aucun doute l’un des représentants les plus talentueux de cette rhétorique compassionnelle. Il capte l’instant paroxystique de la souffrance, cherche le cliché emblématique et produit l’image symbole, celle qui résume le drame et s’adresse d’abord à la psychologie du spectateur, à l’émotion. Ce type d’images gomme toute référence au contexte géopolitique, et la nature informative est abandonnée au profit d’une image générique de la douleur et de la misère. Pour y parvenir, James Nachtwey développe une esthétique à la redoutable efficacité. Il se focalise sur la seule forme. Ses cadrages, généralement très sophistiqués, évoquent bien souvent des modèles historiques tant photographiques que picturaux. Nachtwey, qui a étudié l’histoire de l’art, emprunte aux codes formels de la peinture et notamment de la peinture d’histoire. Ses images sont rigoureusement composées et s’apparentent à une mise en scène quasi théâtrale du drame où la lumière tombe juste, les protagonistes sont impeccablement placés, où les oppositions entre le flou et la précision, le noir et le blanc, accentuent les effets. On peut à juste titre s’interroger sur cette ambiguïté entre la construction d’une image qui se réfère à la pose, et la dimension immédiate, quasi instinctive de l’événement qu’elle veut représenter. Vraisemblablement, Nachtwey est-il conscient de ces paradoxes puisque le spectateur est invité à parcourir l’exposition muni d’un livret de légendes pour se repérer dans ce cimetière planétaire.

On perçoit là les limites d’un tel travail, la source d’un malaise qui peut se résumer en une question simple : que signifient de telles images ? Malaise renforcé par les propos mêmes de Nachtwey sur sa volonté de susciter la compassion dans l’espoir naïf qu’elle pourrait changer le monde. On pourrait objecter qu’il s’agit là d’une conviction profonde qui lui permet de continuer à photographier cadavres, massacres, famines. Mais, le malaise est encore plus évident lorsqu’il brandit le respect et la dignité des victimes pour justifier une forme de voyeurisme gratuit qui se manifeste tout particulièrement lorsqu’il photographie la famine en Afrique ou les orphelinats roumains. En tout cas, on peut légitimement s’interroger sur cette forme de dénonciation, qui à force d’étaler l’horreur dans sa plus stricte brutalité, ne dénonce plus rien et se réduit à une accumulation de belles images où la seule esthétique tient lieu d’éthique.

Vous pouvez également consulter notre article sur le film consacré au travail de James Nachtwey, War Photographer.

par Isabelle B.
Article mis en ligne le 29 novembre 2002

Légende des images, de haut en bas, logo exclu :
- première image : Afghanistan Kabul 1996
- seconde image : Rwanda, victime de guerre 1994

Informations pratiques :
- artiste : James Nachtwey
- date : du 29 octobre 2002 au 2 mars 2003
- lieu : Bibliothèque Nationale, site Richelieu, 75001 PARIS.