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Quelle position adopter face à l’art conceptuel ?

L’art contemporain a aboli la frontière entre les genres et le vocable « artiste plasticien » désigne tout aussi bien celui qui se livre à des installations et des happenings, proches du domaine théâtral, que l’artiste qui plus prosaïquement sculpte ou même peint. Or, si à différentes périodes de l’histoire de l’art l’équilibre règle-liberté a semblé incertain, c’est surtout la fin du XXème siècle qui consacra la liberté et l’innovation à travers la reconnaissance officielle de l’art conceptuel et minimaliste.


En France, le Ministère de la Culture par l’intermédiaire de ses Directions régionales et de ses fonctionnaires a choisi, apparemment sans souci d’éclectisme, d’encourager par d’importantes commandes publiques, les courants essentiellement représentatifs des tendances conceptuelles et minimalistes. Pourtant, il est parfaitement établi que les acquisitions d’oeuvres non soumises à la réalité tangible du marché peuvent soutenir artificiellement telle ou telle forme de création plastique, privilégier par exemple la résurgence du « ready-made » et ignorer totalement l’image peinte. Cet état de fait a sans doute même été facilité par l’indifférence du grand public guère concerné par ce type d’art. Il a permis aussi à un petit nombre de personnes d’imposer arbitrairement leurs vues, leurs goûts et d’engager des fonds publics, parfois importants, sans grand risque de contestation.

L’art contemporain « classique », dont le dessein n’est ni l’abstraction ni l’avant-garde, n’est pourtant pas un non sens si l’on s’en réfère à l’étymologie propre du mot contemporain. On peut parfaitement concevoir qu’un artiste ait comme souci de ne pas privilégier le contenu au détriment de la forme, le signifié par rapport au signifiant et réciproquement. Il peut souhaiter, comme pour les oeuvres du passé, que son art reste clairement lisible et accessible. De la même manière, pour certains, renier systématiquement l’importance de l’esthétique ou le message de l’oeuvre ne constitue plus un gage de nouveauté et ne semble plus pouvoir agir comme une motivation supplémentaire et efficace.

Pour ces raisons, une réhabilitation de la peinture pouvant utiliser des moyens conventionnels, sans pour autant forcément puiser son inspiration dans l’imitation de notre environnement, peut parfaitement se comprendre et se justifier. Une peinture « porteuse de sens » conserve intact son intérêt, même si quelques Critiques, soucieux de modernité, confondent et dévalorisent sciemment toute création prenant pour base un médium à leur goût bien trop populaire.

Cette nouvelle appréhension des arts plastiques trouvera certainement sa pleine expression dans la création d’un monde différent de celui des oeuvres du passé, elle aura sa propre identité capable de transmettre du rêve, des idées, des émotions... Cette forme d’expression plus claire que la nature confidentielle des avant-gardes devrait être plus proche du public et gagnera sans doute même en dimension sociale. Ainsi, l’art contemporain en redonnant sa vraie place à la peinture, en n’ayant plus peur de la figuration, de la diversité, ne peut que gagner en estime et en audience, ce dont d’ailleurs tireraient également profit les tendances conceptuelles d’aujourd’hui.

Les expositions d’art contemporain et le public

Vente d’une esclave, par l’Académicien Jérôme - 46.2 ko
Vente d’une esclave, par l’Académicien Jérôme
Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg

Comparé aux Salons du XIXème siècle qui, en France, attiraient des millions de visiteurs, les manifestations d’art contemporain ont une fréquentation pour le moins modeste. Ainsi, le Magasin à Grenoble enregistrait environ 800 visiteurs en 1996 (source : Capital, 1996, dossier sur l’art contemporain) avec un coût pour chaque exposition (800 000 F) pourtant quatre fois supérieur à la moyenne nationale. Le Centre d’Art de Villeurbanne, devenu aujourd’hui l’Institut d’Art Contemporain de Villeurbanne, quant à lui, ne comptait en 1996 (source : Capital, 1996, dossier sur l’art contemporain) qu’une vingtaine d’entrées quotidiennes, ce qui le situait néanmoins bien au-dessus de la moyenne de fréquentation des Centres d’Art et des espaces FRAC. Seule, la Foire d’Art Contemporain de Paris (FIAC) avec ses 40 000 curieux (FIAC 2003) qui se déplacent pour voir à quoi ressemble actuellement une oeuvre d’art, peut se targuer d’un score plus honorable.

En regard du siècle dernier, la baisse et le manque d’intérêt de la part du public est difficilement contestable et semble bien plaider pour l’idée énoncée en faveur de la peinture. Les pôles d’attraction se sont multipliés et déplacés ailleurs. Aujourd’hui, la personne qui se passionne pour l’image, les formes, la couleur a toutes les chances de sortir frustrée d’une visite d’exposition d’art contemporain (d’avant-garde) d’où la peinture sera sûrement absente.

Ce public d’amateurs potentiels, en faisant abstraction bien entendu de celui qui ignore l’existence même de ce type d’art, a fini par se détourner de ces lieux institutionnels. Déçu par une avant-garde qui l’ennuie, il s’est tourné vers une pratique personnelle de la photographie, de la vidéo, qui sont d’ailleurs en passe de devenir le véritable art populaire de notre époque et ne se déplace plus guère que lors des expositions rétrospectives consacrées aux grands peintres classiques.Néanmoins il semble bien que les pouvoirs publics, en encourageant presque exclusivement les tendances conceptuelles et minimalises, portent une part de responsabilité dans cette indifférence du public.

En effet, pour suivre le raisonnement de Jean Clair, « il n’est pas surprenant que personne ne comprenne la signification d’une oeuvre minimaliste comme un tas de charbon dans une salle de musée. Cela ne relève ni du domaine du savoir, ni du domaine esthétique, ni de la délectation au sens où Poussin l’entendait ». Jean Clair rapporte également « qu’il n’est pas rare que des fonctionnaires de la culture ou des élus pratiquent le double langage : siégeant dans des commissions d’achat à défendre et à faire acheter des oeuvres prétendues d’avant-garde, tout en achetant autre chose pour leurs murs. » Jean Clair constate par ailleurs qu’il y a un art d’état et un art que l’on achète pour soi, il pense de toute façon que les grandes collections des musées du XXIème siècle seront constituées de donations ou de dations de collectionneurs privés. Selon lui, il serait bien plus intelligent et fructueux pour l’Etat d’encourager les collectionneurs par une politique de libéralité fiscale, plutôt que de dépenser des millions à acheter des oeuvres à partir de critères fatalement arbitraires (propos pris de Télérama hors série, consacré à l’art contemporain - octobre 1992).


Notes

 Art Conceptuel : mouvement New-Yorkais fondé en 1967 en réaction contre le pop-art et l’esthétique minimaliste. L’idée purement intellectuelle prend le pas sur l’oeuvre qui n’est plus constituée que de témoignages ou de textes.

 Le rôle de Paul Parsy, fonctionnaire au Ministère de la Culture, semble significatif. Chargé de mission en 1993 pour les Centres d’Art, il était sous le précédent Ministère responsable des collections contemporaines, au musée National d’Art Moderne. Paul Parsy a organisé récemment l’exposition de Bertrand Lavier qui, à l’instar de Duchamp, prend des objets manufacturés et les proclame oeuvres d’art. Une de ses superpositions, un réfrigérateur sur un coffre fort, a été acquise comme il se doit par une institution publique : la Caisse des Dépôts et Consignations. En 1986, le Ministrère de la Culture décide d’officialiser les Centres d’Art. Leur vocation est l’expérimentation la plus libre, leur inscription est par définition internationale comme la recherche scientifique. Ces Centres sont l’opposé exact des musées.

 Le Fond Régional d’Art Contemporain est une Institution publique dont les buts sont l’acquisition, la conservation et la diffusion des oeuvres représentatives des courants significatifs de l’art actuel. En somme, le FRAC est la principale structure d’achats publics.

 L’Institut d’Art Contemporain de Villeurbanne (69) accueille actuellement (mois de juin 2004) une exposition qu’il a produite. « Une mesure pour tous » de Bernard Bazile est le fruit d’un travail multimédia au fil duquel Bazile a exploré les règles du système de l’art à travers les paroles des propriétaires de l’oeuvre « Merda d’Artista » de Piero Manzoni. Il a mené une enquête qui pose la question « des différences entre les critères de la valeur artistique et ceux de la valeur économique ». Pour renseignement : tél : 04.78.03.47.00.

 Jean Clair est né en 1940. Il a étudié l’histoire de l’Art à Harvard. Nommé en 1970 conservateur au Musée d’Art Moderne du Centre Pompidou, il est commissaire des expositions : Duchamp, les Réalismes, Vienne. Lors de la biennale de Venise en 1995, il a présenté une grande exposition centrée sur le corps au travers d’un siècle d’oeuvres et il a mis un terme à la manifestation Aperto (réservée aux jeunes avant-gardes) créée en 1980.

par Marc Verat
Article mis en ligne le 15 juin 2004