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WhiteOut

Bienvenue en Antarctique !

Quels peuvent être les hommes assez fous pour aller s’enterrer dans cet enfer blanc qu’est l’Antarctique ? Des scientifiques forcément, mais aussi des pilotes, des cuisiniers, des barmen... Finalement une communauté à la population relativement élevée pour l’environnement : 2000 hommes sur la base où travaille le marshal durant l’été, quand la température reste supportable et que l’on peut encore voir le soleil ; l’hiver la population passe à 200 têtes. Mais une faible population n’implique pas nécessairement qu’elle saura mieux se tenir : quand une série de meurtres commence, il s’agit de trouver rapidement l’assassin avant qu’il ne risque de repartir se dorer la pilule au soleil...


Quand on pense polar, on pense détective privé avec un long manteau, drapé dans son machisme, son alcoolisme, et qui « en a ». Ici, on voit bien une bouteille de whisky se faire descendre, mais pas de machisme en vue étant donné que le héros est... une femme ! Carrie Stetko, marshal envoyée en Antarctique parce qu’elle a abattu un prisonnier dont elle avait la charge, se retrouve confrontée aux premiers homicides jamais enregistrés sur le continent et elle n’a plus le droit à l’erreur. Au début, elle est détachée ; on sent qu’elle n’a plus trop goût à tout ce cirque ; certainement le décès de son époux, survenu quelques mois avant sa mutation, l’a laissée engourdie, sans ressort. Ce détachement affecté envers les autres habitants est également retranscrit au travers de la voix-off : Carrie ne nous y livre au départ que des détails techniques sur la vie au Pôle Sud ; il n’est pas question pour elle de réaliser un journal intime, mais de nous initier aux mystères de la banquise, à ses coutumes et ses dangers. De son mariage, on n’en apprendra que ce qu’elle en dira à Lily, rien en voix-off.

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Et puis arrive la scène du Whiteout, centrale dans l’album. Centrale tout d’abord, parce qu’elle donne son nom à la série (Whiteout, la tempête qui aveugle tous ceux qui y sont perdus...), centrale ensuite parce que la tension y atteint son paroxysme : si Carrie risque de se faire descendre à la fin de l’album, la peur d’y rester y est ici renforcée par la manière de mourir, à quelques dizaines de mètres de la chaleur, de la civilisation, mourir de froid. Cette peur est soulignée par quelques plans en vision subjective de la corde, cette corde qui relit Carrie à la vie et qui est tranchée... Centrale enfin, parce qu’elle montre le changement d’attitude de Carrie : fini l’apitoiement sur soi-même, elle va trouver celui qui a essayé de la tuer, elle va résoudre cette affaire. Elle n’en est cependant pas devenue une nouvelle personne : la façon qu’elle a de regarder sa main mutilée ne donne pas l’impression d’un individu complètement concerné par ce qui lui arrive. Mais elle est plus volontaire. Plus "chieuse" serait le terme exact.

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Parce qu’on aura rarement vu de filles aussi chieuses. Il s’agit certainement d’une forme de protection à l’égard d’un univers essentiellement masculin (à l’exception de Lily. Mais jusqu’à la fin, Carrie la considère plus comme une ennemie que comme une alliée) : ceux qui ne la prennent pas au sérieux sous prétexte qu’elle est une femme vont vite déchanter car elle va leur faire bouffer leurs testicules... Elle est prête à faire voler un avion en pleine tempête de neige ; prête à faire fermer une base, à empêcher quiconque d’en sortir à quelques heures de leur départ pour les pays au climat plus clément, au risque de leur faire rater pour six mois leur avion. Carrie emmerde son monde et finit par obtenir ce qu’elle souhaite (ce que femme veut, Dieu le veut !).

Quant au meurtrier, rarement un polar nous en aura livré un avec autant d’évidence : toutes les pistes sont de bonnes pistes (à l’exception de Lily, bien qu’elle ne soit pas tout à fait "claire" non plus). De toute façon, un polar, c’est (presque) comme un Colombo : on ne veut pas savoir QUI mais POURQUOI. Si la vénalité est un mobile majeur si courant qu’il en devient presque lassant, les raisons invoquées par le médecin sont plus intéressantes : sa volonté de ne pas quitter cet enfer qu’est l’Antarctique, tout simplement parce que c’est SON enfer qui le pousse vers la démence (au point de tuer), est un cri d’alarme pour ne pas, en quelque sorte, mourir lui-même, être jeté aux ordures. Toute sa vie, c’est la banquise comme il le crie à Carrie « La banquise, c’est notre monde ». Et c’est là toute la réussite de l’album : nous avoir fait, au travers de Carrie, au travers aussi de dessins magistraux, magnifiquement servis par un noir & blanc audacieux pour représenter la banquise, finalement si juste, pénétrer dans un univers dont on ne soupçonnait pas même l’existence, un univers où le ciel et le sol se confondent parfois, un univers rude mais passionnant.

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Un très bel essai que ce premier opus, malheureusement non transformé dans le deuxième. Parce que le contexte n’est plus à présenter, ni le personnage de Carrie, mais surtout parce que les enjeux perdent de leur force (sauver le monde supplante la lutte pour la survie). On se retrouve donc avec un album divertissant certes, mais qui ne touche plus le fond des personnages, ce qui fait qu’ils sont reconnaissables entre mille, ce qui fait qu’on s’y attache, comme avait su si bien le faire le premier tome. Les deux auteurs en ont donc décidé de ne pas poursuivre plus loin leur collaboration sur la glace. Dommage ? Peut-être au vu de la qualité de ce Whiteout mais finalement, les meilleures histoires sont peut-être celles qui ont une fin.

par Cyril Banbuck
Article mis en ligne le 29 novembre 2004


 Scénario : Greg Rucka
 Dessin : Steve Lieber

La série WhiteOut :

 T1 : Whiteout (Akileos - 2003)
 T2 : Fusion (Akileos - 2003)