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Saint Seiya G, d’Okada Megumu

Tout ce qui brille n’est pas d’or !

Le "G" du titre est réputé renvoyer au "Gold" désignant les saints les plus élevés dans la hiérarchie des guerriers d’Athéna. En effet, ce n’est plus Seiya l’exalté qui focalise l’attention du lecteur, puisqu’il n’a alors que cinq ou six ans, mais un jeune saint d’or, Aiolia du signe du Lion. Le choix du titre est donc révélateur du fait qu’il s’agisse d’un titre jouant sur la vague nostalgique ayant ramené l’univers Saint Seiya sur le devant de la scène, avec, dans un intervalle d’à peine trois années, pas moins d’une première série de treize OAV (le Junikyû Hen), un film (Tenkaï Hen), un manga dont il est question ici, et enfin une nouvelle série de six OAV (Inferno).


(JPEG)Kurumada Masami ayant remisé ses crayons alors qu’il était au cœur de l’arc le plus abouti de sa série, et n’ayant pas l’intention de les ressortir avant longtemps - si ce n’est le temps d’offrir quelques pages en couleur promotionnelles à l’occasion du lancement du film évoqué ci-dessus -, il n’est donc pas l’auteur de ce nouveau manga, même s’il est crédité du scénario. C’est Okada Megumu, auteur en vogue au Japon, au style très particulier, qui s’est attelé à donner corps aux saints d’Athéna. Il est d’ailleurs intéressant de constater certaines similitudes troublantes entre l’autre œuvre d’Okada publiée en France (Niraïkanaï, Paradis Premier) et ce Saint Seiya G. La psychologie des personnages, ainsi que le déroulement des combats sont très similaires. Et si Saint Seiya G ne dégage pas la même impression de confusion permanente que son œuvre précédente, il est impossible de ne pas admettre que l’œuvre dont il est ici question est très largement dominée par la patte d’Okada. Celui-ci s’est d’ailleurs nourri d’influences extérieures au travail de Kurumada : les traces d’ambiances ou d’événements relatés avant tout par les diverses séries animées de Saint Seiya sont décelables, tout particulièrement dans la psychologie des personnages. C’est la preuve, s’il en faut, que Saint Seiya déborde très largement son initiateur et démiurge. Parfois pour le plus grand bonheur du public, et parfois, comme c’est le cas ici, sans rien introduire d’intéressant.

Un héros falot

Le scénario s’appuie sur la trajectoire d’Aiolia. Son point de départ est très similaire à celui qu’aura Seiya dans quelques années : un jeune saint, frais émoulu, en rupture avec le système, mais obligé de jouer le jeu pour diverses raisons. Cependant, où l’effronté Seiya divertissait, Aiolia se décline beaucoup plus sur le mode de l’adolescent contemplatif, et ce ne sont pas les quelques tentatives d’humour - généralement plates - immiscées dans le cours du récit qui pourront changer son image lisse de type au cœur d’or et au courage inépuisable. Foin, donc, de ce héros parfait, qui en l’espace de quelques tomes parvient à lasser le lecteur aussi sûrement que le faisait Seiya dès sa conversion aux principes de l’amour courtois !

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Une histoire qui aspire à la noirceur, mais cousue de fil blanc

La trame oppose les saints d’Athéna à la possibilité du retour de Cronos et des Titans hors du Tartare où Zeus les enferma dans les temps mythologiques. On s’accommode évidemment mal de cette titanomachie, d’une ampleur nécessairement équivalente à l’opposition d’Athéna et d’Hadès, glissée entre les deux pages de l’acte cohérent constitué par la bataille du Sanctuaire.

À vouloir montrer la jeunesse des chevaliers d’or - encore perfectibles, donc, puisqu’ils ont alors à peine treize ou quatorze ans - et leur dresser des adversaires puissants, l’auteur oublie qu’il oppose à ses gamins une génération d’Immortels dont la force est sans rapport avec les divinités mineures que sont Hypnos et Thanatos, et que, suivant toute cohérence, même les douze saints d’or assemblés devraient éprouver les plus grandes difficultés pour contenir un seul Titan !

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Mais qu’importe, tant que la bataille est belle. Et on peut apprécier, au détour, des combats plus fouillés que ceux auxquels Saint Seiya avait habitué. Cela dit, au bout de sept tomes, les Titans ne sont pas bien fringants, et on vient à douter du danger qu’ils pourraient représenter, ou de leur puissance réelle. L’auteur étant évidemment contraint par la cohérence de l’univers, il ne peut en effet faire mourir aucun des saints d’or, et il est privé ainsi d’un ressort dramatique essentiel, et de la possibilité de donner toute l’ampleur qu’il voudrait à son récit. C’est à peine si quelques défaites relatives sont essuyées par ses héros, alors qu’ils combattent les grands Titans. Bref, on a bien du mal à frémir.

Et d’autant plus de difficulté à s’enflammer pour l’idée sous-jacente de l’opposition entre les hommes - les saints - et les dieux - les Titans - pour le contrôle de la terre. Cet affrontement, au cœur du Tenkaï-Hen qui voit Athéna déserter le camp des Immortels pour soutenir les humains, est transposé ici via la thématique de l’incessant exploit des saints d’or affrontant les Titans. On constatera simplement que la victoire systématique des mortels sur les Immortels décrédibilise considérablement les seconds. Et la trame du manga par la même occasion.

De jolies pages couleurs

(JPEG) Avec la psychologie fouillée - mais au demeurant très balisée - des protagonistes, la seule réussite de ce manga est esthétique. Le style recherché d’Okada, s’il ne peut pas prétendre fédérer les goûts, présente l’avantage d’une prise de position. Les personnages allongés ne sont pas, d’ailleurs, sans rappeler les silhouettes androgynes de l’anime. Les armures et les décors sont représentés avec profusion de détails, au point que le dessin est souvent obscurci, mais à bien s’y arrêter, les vignettes sont souvent splendides et fluides. L’acmé de cette performance graphique s’épanouissant à chaque début de volume, sous la forme de quelques pages couleurs d’une rare beauté, et dont on viendrait à souhaiter qu’elles se prolongent sur le volume tout entier !

En un mot, Saint Seiya G n’est qu’un shônen parmi d’autres, avec pour lui l’apport de la patte d’Okada à l’univers de Saint Seiya, et contre lui une histoire faiblarde, des personnages classiques et des situations banales. De beaux combats et de belles pages couleurs ne font pas un manga, c’est du moins la leçon qu’on peut retirer ce titre.

par Pierre Raphaël
Article mis en ligne le 20 juin 2006

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