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Autour de Kat Onoma, ou l’art de transfigurer le rock

Fin 2004 : après quasiment deux décennies passées à distiller une musique lancinante, fiévreuse, hantée et d’une rigoureuse qualité, un orchestre majeur a fermé boutique en toute discrétion. Il s’agissait pourtant, selon certains journalistes béats d’admiration, du "plus grand groupe français de la galaxie". Cela n’empêche pas Rodolphe Burger et Philippe Poirier de poursuivre leurs explorations avec ardeur, et d’y convier qui veut bien les suivre, à destination d’une proche planète où il n’est pas question d’entertainment, mais tout simplement de musique, de poésie et d’intégrité. Alors, avant qu’il ne soit trop tard, partons ensemble à la découverte d’une œuvre essentielle et passionnante, épanouie par-delà les carcans du rock et doucement mûrie à l’ombre de médias trop friands de gadgets jetables...


(JPEG) Comme son nom ne l’indique pas forcément, Kat Onoma est un groupe originaire de Strasbourg et constitué de cinq musiciens : Rodolphe Burger au chant, à la guitare et aux claviers, Philippe Poirier au saxophone et à la guitare également, Guy Bickel à la trompette, Pierre Keyline à la basse et Pascal Benoit à la batterie. Encensé par la presse pendant toute son existence, comme rarement un combo français l’a été, Kat Onoma est à l’élégance sonore et à l’énergie rentrée ce que son exact contemporain Noir Désir est à l’ardeur désespérée. Mais le quintette alsacien, contrairement à ses compères bordelais, n’est jamais parvenu à recueillir les suffrages du grand public. A cela, plusieurs mauvaises raisons, et spécialement celle-ci : cataloguée "rock intello" alors que ses auteurs s’avèrent simplement des artistes cultivés et conscients de leurs moindres actes, la musique de Kat Onoma a souvent été perçue comme difficile d’accès, raide et mélodiquement aride. Tristes raccourcis, encore une fois symptomatiques d’une époque infectée jusqu’à la moelle par le consumérisme médiatique et le nivellement par le bas... Laissons la parole du justicier à Daniel Stéveniers (in Best, mars 1997) : "Du grand art, du bel art, qui renvoie bon nombre de colères volumétriques et autres mauvaises humeurs chroniquées à leurs bureaux d’étuves, tant il est vrai qu’il ne faut pas confondre chaleur et vacarme, flamme et brûleur, énergie et gesticulation. (...) Kat Onoma, un groupe qui navigue dans l’intimité du grandiose et sait pratiquer cette lenteur foudroyante qui va directement au cerveau des jambes." On ne saurait mieux dire...

(JPEG) Mais que pense Rodolphe Burger lui-même de ces trop faciles accusations d’"intellectualisme" et d’"austérité" ? "C’est une grave erreur. Notre musique n’est ni cultivée ni cérébrale. Au contraire, elle est pétrie d’émotions et parfois d’humour jubilatoire. Mais nous ne participons pas au folklore rock, avec guitares phalliques et cuir à gogo. Nos références puisent aussi bien dans le Velvet Underground que chez Ornette Coleman." (in Télérama, mai 1995). Tout est là : ce groupe a été ostracisé par les nombreux marchands de muzak car il cherchait à échapper aux clichés du rock par la pratique d’une musique en équilibre instable, obsédante, subtilement imprégnée de blues tendu, de jazz en clair-obscur, de folk urbain et de post-punk ombrageux, une musique trop racée et poétique, bref, trop dense pour être consommée distraitement sur les ondes fast food. Là où le chanteur se trompe peut-être un peu, finalement, c’est en affirmant que son rock n’est pas cultivé : au contraire, Kat Onoma a superbement digéré le meilleur suc des années 50 à 70 pour en élaborer un miel au goût inimitable, transcendant l’héritage anglo-saxon comme peu de groupes ont su le faire. Pas moins que ça...

Ce dossier se propose donc de revisiter un monument classé "culte" mais, hélas, pas aussi fréquenté qu’il le mériterait. Un rapide historique du groupe, suivi d’une analyse discographique assez détaillée, album par album, pourra permettre aux néophytes d’aborder l’Œuvre et aux "onomaniaques" convaincus de réviser leurs classiques. Du moins l’espérons-nous...

Il serait cependant insuffisant et injuste de se cantonner au collectif Kat Onoma, aussi brillant soit-il, quand on sait que depuis plusieurs années, Rodolphe Burger et Philippe Poirier multiplient de leur côté des projets souvent très excitants et variés, publiant régulièrement des disques aventureux qui n’ont pas à rougir de la comparaison avec ceux du quintette.

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Le premier, à un rythme quasiment acharné, enchaîne les collaborations qui semblent à première vue contre-nature, mariant les feulements de sa guitare atmosphérique et sa belle voix grave à des tissus de samples, s’égarant dans une jungle électronique lunaire ou croisant le fer avec la tradition modale de Bretagne ou d’Orient... A force d’arpenter en tous sens les chemins du son, Rodolphe Burger est probablement aujourd’hui le grand voyageur du rock français le plus acclamé par ses pairs et le plus courtisé par les institutions culturelles : à titre d’exemples, on se rappellera qu’il a bénéficié d’une "Carte blanche" à la Cité de la Musique en février 2003 et qu’il a participé à la sonorisation du Pavillon français à l’Expo universelle d’Aichi... L’été dernier, il nous a accordé une longue entrevue pour évoquer ses récents projets et les émouvantes rencontres musicales qui ont forgé son parcours singulier : cet entretien est ici publié dans son intégralité.

(JPEG) Le second, multi-instrumentiste et plasticien de formation, est un exemple accompli d’artiste polyvalent : avant tout désireux de faire éclore des images, il place son activité musicale sur un pied d’égalité avec celle de cinéaste ou de dessinateur. Dans le domaine discographique, Philippe Poirier réalise des albums profondément originaux, de petits ovnis oniriques alliant poésie paysagiste, esprit jazz et électro contemplative. Malgré la discrétion du personnage et la faible distribution dont "bénéficient" ses disques, il faut bien dire que cette production orfévrée campe sur des cimes inaccessibles au tout venant de la chanson française... Lui aussi nous a rencontré pour une entrevue à son image : libre et ouverte sur toutes les pratiques artistiques qui jalonnent sa quête de formes, formes dont la musique n’est qu’une des nombreuses incarnations.

Enfin, pour mettre un point final ( ?) à ce dossier, Rodolphe Burger s’est prêté à un second entretien centré sur la notion de "reprise", une pratique dans laquelle les Strasbourgeois ont excellé : qu’il s’agisse de Cochran, des Troggs, de Kraftwerk ou d’Iggy Pop, ils ont su s’approprier et réinventer des morceaux emblématiques, en parfaits iconoclastes paradoxalement amoureux d’une mythologie qui les a nourris. Ce jeu sur la mémoire, la reconstruction et l’ellipse, cet "effet 3D" ainsi que le suggère malicieusement Rodolphe, est une preuve ultime que l’on peut, au lieu de recycler les codes du rock comme bon nombre de groupes actuels hâtivement qualifiés de "novateurs", tour à tour les intégrer et les détourner, puis les dépasser. Afin de proprement transfigurer un genre menacé par la redite et le faire entrer, n’ayons pas peur du mot, dans la sphère de l’art...

par Anthony Boile
Article mis en ligne le 25 janvier 2006

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