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L’image du héros mythique dans La Quête de l’Oiseau du Temps (4)

L’Oeuf des ténèbres : la mort du héros

Parvenus sur le Doigt du Monde, le chevalier Bragon et ses compagnons prennent possession de l’Oeuf des Ténèbres, qui aidera la sorcière Mara à contenir le Dieu maudit Ramor dans sa conque-prison. Il reste très peu de temps et les aventuriers choisissent de couper au plus court, en traversant la Marche Blanche, dont le peuple est enragé par la Fièvre Folle. La Quête touche à sa fin... Quelles sont les motivations véritables de Mara ? Pélisse est-elle vraiment la fille de Bragon ? Ce dernier verra-t-il se réaliser la prophétie selon laquelle il trouverait la folie en réclamant la mort ?... Lorsque l’homme s’oppose à l’univers et le bouscule, c’est au mythe de rétablir l’ordre...


Les lecteurs soucieux de préserver la surprise de leur expérience de lecture prendront garde de ne pas se plonger dans les développements suivants.


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Une fois la sagesse acquise, le héros doit retourner au devant des hommes et leur transmettre son savoir. Il est investi désormais d’une force susceptible d’enclencher une évolution collective. Lorsqu’il atteint enfin le terme de sa quête, Bragon découvre qu’il ne lui reste rien à en apprendre, si ce n’est ce devoir de perpétuer ce qu’il a découvert. Mais l’Allégorie de la Caverne que Platon développe dans La République révèle l’échec de cette mission. L’homme qui s’est échappé de l’obscurité de la caverne a franchi les frontières de sa réalité, il est en possession d’un savoir essentiel. Platon sait que la résistance des hommes face à ce qu’ils ne peuvent concevoir est une réaction violente et primitive. La plupart des êtres humains ne sont pas prêts à recueillir la portée d’un tel message : c’est toute leur conception du monde, de la réalité, de leur existence, que le héros menace de remettre en cause. Le sage doit être mis à mort dans l’instant pour la sauvegarde du monde tel que les hommes l’ont toujours connu.

C’est le sens des événements bestiaux qui déchirent la route des compagnons lors du retour vers leur peuple. L’Oeuf des Ténèbres est porté par le thème de la sauvagerie et du comportement primitif. Le virus de la rage qui s’étend sur le pays est le symbole du refus que les hommes opposent à la connaissance délivrée par le héros. Pour Bragon, l’ennemi le plus invincible est cette foule aveugle déterminée à ne pas laisser s’instaurer un nouveau cycle.

Le mythe nous enseigne que pour recueillir la sagesse l’être humain doit suivre un long parcours initiatique, au terme duquel seulement il pourra prouver sa valeur. Le changement lié à la parole du héros effraie encore trop les esprits, et les hommes attachés au fond de la caverne, enchaînés à leurs certitudes, choisissent de sacrifier celui qui a transgressé les frontières pour voir plus loin que la surface du monde. Le cannibalisme, la forme la plus dégénérée de la violence, exprime combien ce refus est animé par la seule logique de la peur et du renoncement. Et Bragon, malgré son statut de légende, appartient à l’histoire des hommes et en tant que tel doit subir le retour de son élévation. Kiskill et Bulrog s’adressent plusieurs fois à Bragon en le nommant « homme ». Le chevalier est ainsi entièrement désigné par sa condition. Pour s’être hissé au-dessus de son état d’origine, il connaît le sort réservé à ses prédécesseurs, Prométhée, Icare et tant d’autres héros frappés par la Nemesis. La prophétie du Vieux des Bois a rattrapé le chevalier. Les héros mythiques ne peuvent se soustraire à leur destin : quelque soit le parcours effectué, ils sont hommes avant tout, et personne n’échappe à la fatalité de la condition humaine.

(JPEG)Bragon est emporté par la folie avant d’avoir pu transmettre son savoir. Depuis les premières images, dès la « naissance » de Pélisse, La Quête de l’Oiseau du Temps est un leurre, une illusion dont il s’est bercé volontairement. Sa détresse ne provient plus de l’angoisse éprouvée face à la mort inévitable, mais de la perspective de poursuivre l’existence sans « être vivant ». A l’image de Pélisse, dont le corps ne constitue plus qu’une « écorce vide », la passion a déserté le cœur de Bragon. Sans comparaison avec la crainte de la mort, la vieille adversaire qu’il avait su accepter, la folie le condamne à ne plus réellement vivre. Si toute l’histoire semble n’avoir été dominée que par des enjeux d’ordre cosmique, c’est en réalité l’Homme qui en est le centre, le thème majeur autour duquel s’est articulé chaque instant du récit.

Bragon est « homme » et en tant que tel condamné à la souffrance. Il n’est pas victime d’une souffrance physique ou morale, celle-là même que les hommes invoquent lorsque leur vie, tout à coup, ne correspond plus à leurs attentes dérisoires. Cette douleur profonde, qui lui ronge le cœur jusqu’à la folie, est le désespoir. C’est la nostalgie qui s’empare des hommes lorsque le temps s’écoule soudain trop vite et que l’on s’aperçoit, impuissant, que l’existence est sur le point de s’achever. Etre en vie sans faire l’expérience de la vie, sans la ressentir concrètement filtrer à travers son corps et sa conscience... Pour Bragon, la vie s’achève et seul le regret l’accompagne. Il n’est plus que l’enveloppe de la folie.

(JPEG)Citons encore une fois et pour conclure L’Eau et les Rêves de Gaston Bachelard :

« Et quand vient la fin, quand les ténèbres sont dans le cœur et dans l’âme, quand les êtres aimés nous ont quittés et que tous les soleils de la joie ont déserté la terre, alors le fleuve d’ébène, gonflé d’ombres, lourd de regrets et de remords ténébreux, va commencer sa lente et sourde vie. Il est maintenant l’élément qui se souvient des morts. »

par Sylvain Tavernier
Article mis en ligne le 16 décembre 2004

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