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De Cape et de Crocs, une comédie d’aventure

Que résonnent les trois coups !

Le rideau se lève sur une lagune baignée par une douce nuit bleutée. Campaniles et gondoles ; nous sommes à Venise. Molière et La Fontaine ; nous sommes au XVIIe siècle. Tout est dit ou presque ; c’est sur une scène de théâtre que se jouera l’intrigue et c’est de bêtes dont il sera question... Deux gentilshommes et anciens soldats des Flandres, maniant tant l’épée que le verbe avec dextérité, l’un Français, poète et renard, l’autre Espagnol et loup de son état, errent de spectacles de fortune en sombres venelles, dans cette cité dont Richelieu disait qu’elle était le centre du monde. Ils tombent successivement sur un avare, une chébèque et une carte au trésor. Pour Armand Raynal de Maupertuis et don Lope de Villalobos Y Sangrin, l’Aventure commence !


Depuis plusieurs années déjà, De Cape et de Crocs tient en haleine un large public. En mêlant la grande tradition romanesque de la cape et l’épée, le théâtre classique, La Fontaine ou le Roman de Renart, et l’héritage des plus grands récits d’aventures au grand large, Alain Ayroles et Jean-Luc Masbou ont créé une des meilleures séries de divertissement de la bande dessinée française. Et le succès ne se dément pas, s’amplifiant même au fil des parutions. Qu’a donc cette série de si particulier, qui lui permette d’emporter si facilement l’adhésion de son lecteur ? Un scénariste, Alain Ayroles, qui joue brillamment de la langue française, des univers qu’il explore et des ressorts classiques de l’humour ; qui s’appuie sur un illustrateur doué, Jean-Luc Masbou, auquel il offre son talent de découpage et de mise en scène.

Un univers référentiel et cohérent

(JPEG)L’une des originalités de la série, ce sont les nombreuses références, plus ou moins explicites, à la littérature. Il n’est pas question ici d’énumérer toutes les sources d’inspirations des auteurs ; nous nous contenterons de mettre l’eau à la bouche des néophytes et peut-être donner aux passionnés l’envie d’entamer une relecture. Qu’il suffise d’évoquer, pour le versant littéraire, Stevenson ou La Fontaine, le Roman de Renart ou Defoe. Allusions au cinéma également ; Masbou évoque tous les films de cape et d’épée avec Jean Marais : Le Bossu, le Miracle des Loups, Le Capitaine Fracasse... On pourrait également citer Pirates, Le baron de Münchausen ou Peter Pan. Quant à lui, Ayroles résume simplement ses sources d’inspiration à « tout ce qui parle du XVIIe siècle ou qui en vient ».

Le foisonnement de références, qui fait écho aux subtilités de la construction narrative ou à la richesse époustouflante de chaque case, procure un immense plaisir de lecture (et de relecture) et, pour ne rien gâcher, l’envie de ressortir ses classiques pour retrouver les passages parodiés. Il y a une réelle délicatesse dans l’usage des références, car Ayroles s’en sert sans se laisser emprisonner par elles. Il a en tête de nombreux univers, plus ou moins directement présents, et se réapproprie tout cet imaginaire pour créer son propre monde. On pense en lisant ces albums à mille et une choses, parfois de manière fort imprécise, et le plaisir est là.

Ainsi la construction des dialogues dans une langue soutenue, empruntant ses tournures ou son vocabulaire au Français des siècles passés - la présence également de tirades rimées, le plus souvent dans la bouche de Maupertuis -, donnent à l’ensemble des répliques une force et une grandeur propres à coller à ce XVIIe siècle si flamboyant ; les expression sont des plus colorées (« je vous promets pis que pendre » tonne Mendoza dans le tome 5) et jusqu’aux jurons eux-mêmes qui laissent deviner ce goût pour un Français un peu suranné (« Vertudieu » s’exclame Maupertuis au tome 2). On reste admiratif devant les dialogues tant chaque réplique, finement ciselée, sonne parfaitement juste, donnant à sentir la jubilation d’écriture qui habite Ayroles [1]. Mais rien n’est gratuit ; travaillé jusqu’à être ampoulé, le style langagier des personnages est pour Ayroles un moyen de plonger son lecteur dans l’époque historique qu’il a choisie.

Le fonctionnement référentiel de De Cape et de Crocs n’est donc pas un simple « truc » superficiel pour faire sourire le lecteur, mais conditionne toute la création imaginaire. La référence sert pour l’effet de reconnaissance immédiate qu’elle suscite chez le lecteur, la plongée qu’elle entraîne de sa part dans un univers bien précis (celui de Molière et de La Fontaine, dès les premières planches du récit). Reste ensuite au scénariste à jouer avec les images préconçues ou les types qu’il a lui-même invités ; c’est là son espace de liberté. Parler de référence, c’est donc, pour De Cape et de Crocs, parler de cohérence. L’évocation du Cid ou des Fourberie de Scapin n’est pas innocente. L’allusion sert le récit, s’enchâsse dans l’atmosphère qu’Ayroles cherche à créer, pour fusionner avec les autres imaginaires déjà invoqués. En outre, jouer de références (en particulier le théâtre), en utiliser l’imaginaire et éventuellement les « ficelles », c’est aussi un moyen de fluidifier la narration puisque le lecteur connaît les codes qui vont être employés.

Mais Ayroles ne se contente pas d’évoquer le théâtre classique ou les récits de cape et d’épée. Il s’en réapproprie les codes. Ainsi, dans le tome 2, l’apparition des pirates et du Hollandais Volant ajoute aux univers déjà présents tout ce qui touche au registre de la piraterie [2] (en littérature qu’il suffise de citer Robert Louis Stevenson et au cinéma Roman Polanski). Et très vite Ayroles joue sur les clichés (les chants, le supplice de la planche, etc.), mais ne manque d’y ajouter sa touche personnelle (ainsi, le tome 2 se termine par une explication rationnelle de l’existence de ce fantôme de navire).

Néanmoins, en rupture avec la cohérence d’ensemble, il nous semble que figurent dans quelques cases des références gratuites. Ainsi les petites bestioles qui traversent le laboratoire du savant juif dans le tome 1 et qui ne manquent pas d’évoquer les Lemmings ; ou la présence, dans la taverne maltaise du tome 2, de Corto Maltese et de deux personnages issus de la bande dessinée Pepito de Luciano Bottaro. Qu’en est-il de ces références alors que toutes les autres sont consubstantiellement intégrées à l’univers de la série ?

Le théâtre et l’histoire comme méta-références

(JPEG)L’hommage au théâtre est permanent, puisque Molière, Corneille ou Rostand, tapis dans l’ombre, semblent souffler plus d’une réplique ou situation aux personnages ; le célèbre « mais qu’allait-il faire dans cette galère », emprunté à Molière, se retrouve plusieurs fois dans la série. Revenant d’une étrange torture théâtrale, c’est Corneille que citent les pirates mal en point. L’habillage même de la série reflète cette parenté majeure. Les tranches de la série sont toutes marquées d’un petit masque, devenu le symbole de De Cape et de Crocs dans la collection Terres de Légendes, rappelant les masques d’acteurs dans la commedia dell’arte. En outre, la page de garde porte toujours une case représentant une scène de théâtre et un élément de décor en relation avec le tome. Par contre, les auteurs n’ont pas systématisé l’idée d’entractes entre les tomes ; si à la fin du tome 2, il écrit « entracte », les autres tomes portent la traditionnelle mention « à suivre ».

Le théâtre conditionne jusqu’au contrat de lecture (du moins dans les deux ou trois premiers tomes [3]). Ainsi, la série s’ouvre par une pièce de Molière, jouée par une troupe de saltimbanques sur une des nombreuses places de Venise. Tout part du théâtre : c’est lui qui fournit les premiers enjeux de l’action en donnant à Plaisant l’idée par laquelle son maître, Andreo, pourra duper le vieux Cénile, son père. C’est encore et toujours par le théâtre que s’ouvrent les portes de l’aventure, puisque aux tirades des acteurs répondent, quelques planches plus loin, celles des héros : au « es-tu prêt spadassin ? Ma main ne tremblera pas » de Molière répond le dialogue de Cénile et des héros (« êtes-vous prêts spadassins ? Nos pattes ne trembleront pas ») ; Maupertuis fait également écho à Molière, lorsqu’il dit « mais que diable allait-il faire dans cette chébèque ? ». La série se joue donc dans et par le théâtre.

Tout au long de la série, de nombreuses cases se transforment en scènes de théâtre. Quant aux personnages, dont chaque tome commence plus ou moins explicitement par l’entrée en scène (ce qui est flagrant dans les quatre premières cases du tome 3), ils ne manquent pas de se mettre en scène ; on peut citer la tirade de Cénile apprenant aux héros la trahison de son fils dans le tome 1 ou la manière dont meurent les gardes sélénites dans le tome 4. La scène appartient clairement aux personnages principaux. Ainsi dans la scène de l’auberge dans le tome 1, les couleurs mettent en avant les héros ; à la première case, Maupertuis et Lope apparaissent au premier plan, tandis qu’Hermine, qui s’apprête à faire son entrée, ressort dans le fond. Les autres personnages, monochromes, se fondent dans l’arrière-plan. Aux cases suivantes, toute l’action tourne autour de Lope et d’Hermine ; tout le reste n’est que décor. On peut également remarquer que les personnages ne se privent pas de s’adresser en aparté aux lecteurs (Cénile, à propos du Borgne, tome 2, ou encore Boone, alors qu’il est sur scène dans le tome 4, nous annonçant son intention de fuir ; le vrai théâtre, ce sont les planches de la bande dessinée et non celles des Sélénites) ou de se lancer dans un monologue, ressorts classiques du théâtre. Ainsi Hermine, dans le tome 2, après ses retrouvailles tumultueuses avec Lope, se pose tout haut des questions sur les sentiments de ce dernier et annonce le tour qu’elle va lui jouer. Les combats eux-mêmes sont spectacle. Ainsi, au dîner du tome 5, on se bat et les autres regardent ; on accompagne même les bretteurs avec de la musique. Le but recherché n’est pas de tuer, mais la beauté du geste.

Le théâtre est donc présent dans la série, comme méta-référence, qui sous-tend la construction du scénario lui-même. Et ce, jusqu’à la farce improvisée de la fin du tome 4, qui est une mise en abîme du travail d’écriture d’Ayroles, puisque celui-ci avoue se servir seulement d’un canevas assez lâche, autour duquel il improvise la chair, restant fidèle en cela à la commedia dell’arte, si souvent invoquée [4].

L’histoire est également une référence constitutive de l’univers de De Cape et de Crocs. Il ne s’agit pas d’une bande dessinée proprement historique comme peuvent l’être par exemple Muréna de Dufaux et Delaby, Les sept Vies de l’Epervier de Cothias et Juillard, Les Aigles décapités de Kraehn, ou les séries créées par Jacques Martin (Alix ou Orion), mais d’un ensemble qui garde un aspect essentiellement ludique. Ayroles fait toutefois preuve d’une culture historique précise, évoquant par exemple la bataille de Lépante au tome 1 ou les prises successives de Valence par les Musulmans et les Chrétiens du XIe siècle au tome 2, culture historique qui prend toute sa dimension dans L’Impromptu du tome 4, cette farce héroïque en vers présente dans les premières éditions dudit tome, ou dans les longues explications scientifiques de Bombastus (aux tomes 3, 4 et 5). Masbou, plus encore, est sollicité, puisque c’est d’abord visuellement que doit se traduire l’appartenance du récit au XVIIe siècle ; son travail sur les uniformes ou les navires est de ce point de vue remarquable.

Mais les auteurs se servent avant tout de l’histoire comme d’un décor, comme créateur d’ambiance. Si les erreurs historiques existent, elles viennent plus de la liberté que le scénariste se doit de s’offrir par rapport à un cadre qui serait trop restrictif s’il était strictement observé. Car Ayroles joue tout autant de ses connaissances historiques que des images d’Epinal dont il sait le cerveau de son lecteur rempli. De même Masbou, s’il est fidèle à la réalité historique d’ensemble, réussit à s’affranchir des contraintes que lui aurait imposé un souci d’exhaustivité et de précision historique. L’essentiel est que l’ensemble soit cohérent, que les anachronismes soient bannis et que les évocations résistent à l’œil exercé de l’historien de passage ; la véracité historique des détails est quant à elle de peu d’intérêt. Car l’histoire, si elle sous-tend l’univers de De Cape et de Crocs, doit s’effacer devant le déroulement du récit.

Ainsi, l’homogénéité historique de la série est totale dans les premiers tomes. La première brisure de cohérence se fait au tome 5, avec l’apparition d’un rétroprojecteur utilisé par Bombastus pour faire son exposé. Cependant, la forme et les matériaux qui le composent cadrent bien avec une présupposée avance technologique sélénite, que remarque d’ailleurs Bombastus en prenant les commandes de l’appareil. Mais les anachronismes se multiplient dans le tome 6. L’appareil conçu par Bombastus pour propulser Mendoza et Cénile dans l’espace ne peut qu’évoquer les fusées contemporaines, alors que jusque-là les moyens utilisés pour se rendre sur la lune relevaient du fantastique et du poétique. Mais surtout, le décor de la gentilhommière royale regorge de références au monde contemporain ; les auteurs nous proposent un intérieur décoré d’objets dans le style années 1960 ! Pourquoi se permettre de tels anachronismes alors que jamais la société sélénite n’est montrée comme une société technologique (sauf à évoquer l’écran tactique qui permet au roi de visualiser les opérations à mener contre Monsieur !) ; leur mode de propulsion pour rejoindre la lune est des plus irrationnel, l’architecture de la ville sélénite ne la place pas dans un équivalent imaginaire du XXe siècle, ni même du XIXe siècle... auquel font irrémédiablement penser les grandes structures métalliques de la Sérénissime, toujours dans le tome 6. On nous permettra donc d’être sceptique quant à l’intérêt de ces initiatives [5].

D’anachronisme, il est toujours question dans la mobilisation d’un univers référentiel cette fois, lorsque la rencontre de Maupertuis et Lope avec Mademoiselle, à la fin du tome 6, manque de dégénérer en rixe de saloon façon Western. La mobilisation des imaginaires liés au théâtre, à la cape et l’épée, aux pirates, tout cela se tient car tous ont leurs racines dans le XVIIe siècle européen, ce qui n’est pas le cas du Western... Autres références, cette fois enracinées au cœur même du récit puisqu’elles constituent une des sources d’inspiration de la civilisation sélénite, celles qui touchent aux récits de voyages entremêlés de contes philosophiques propres au XVIIIe siècle [6], constituent un anachronisme flagrant étant donné l’ancrage clairement XVIIe siècle de la série. L’impression est peut-être fugace, mais cela fait beaucoup en un seul tome [7].

Une pièce comique

(JPEG)Goût du bon mot, dérision vis-à-vis des héros, plaisir intellectuel de la référence ou du détournement, situations absurdes ou inattendues... toutes les formes d’humour, ou presque (il faut bien avouer qu’Ayroles utilise peu l’absurde), sont présentes permettant de ne pas lasser le lecteur et concourant à donner un ton inédit à la série.

Il est tout d’abord possible de parler de l’humour de répétition. De Cape et de Crocs contient deux running gags qui courent de tomes en tomes, marquant l’esprit du lecteur. Reprenant le « que diable allait-il faire dans cette galère ? » de Molière (qu’il cite dès le début du tome 1), Ayroles le décline, entre autres, en « que diable allait-il faire dans cette chébèque ? » (au tome 1 toujours), en « que diable allait-il faire en ce galion » au tome 2 ou en « que diable allions-nous faire en cette caverne » au tome 4 ; les paniques des pirates reviennent elles aussi plusieurs fois, sous diverses formes : déclenchée par un lapin au tome 2, par le Hollandais volant puis la tempête au tome 3, elles sont ensuite contrôlées par Boone dans les tomes 3 et 5, tandis que Cigognac se laisse déborder (elles envahissent alors presque toute la page ; des cases 2 à 7, planche 8 du tome 5 [8]). Mais, Ayroles utilise aussi des gags filés plus courts (la galère que tout le monde prend pour une chébèque, ce que Maupertuis s’efforce de rectifier à plusieurs reprises dans le tome 1) ou plus légers (la confusion de la Sainte Barbe et de la cambuse et le risque que fait courir à tous Eusèbe en y allumant une bougie ; au tome 2 et dans une situation symétriquement inverse au tome 4).

Ayroles se lance parfois aussi dans un décalage porteur de rire. Ainsi au tome 1, les marins de garde sur la chébèque causent philosophie ; dans le tome 2, Eusèbe chantonne en quittant la scène de la collision. Humour un peu facile peut-être que les interventions des Maltais spectateurs dans le tome 2, alors que la collision entre les différents protagonistes semble être la seule conclusion possible à la course-poursuite débridée qu’ils mènent. Ayroles sait également jouer des situations pour amener le rire. Ainsi, Maupertuis, qui s’aperçoit que Lope regarde par dessus son épaule, de constater que le loup à quitté son poste : « Dites, si vous êtes là, qui donc tiens la porte ? ». Dans la même veine, à la fin du duel sous le balcon de Séléné, tome 1, Ayroles prend un malin plaisir à prendre Maupertuis au mot, l’assommant par la chute d’une petite statue de Cupidon. Le même se croit superbe alors qu’il a embroché moult légumes lors de la poursuite du tome 2. Ou bien encore, Ayroles fait dire à Boone, navré d’avoir découvert des arbres à fromages dans le cratèé du volcan ; « rien ne nous sera épargné ! » Lequel Boone ne voit pas l’arbre à œufs du premier plan, tome 3.

Les auteurs utilisent aussi des « trucs », dignes du théâtre ou du cinéma. Ainsi dans le tome 2, ayant envahi en silence la caraque vénitienne, Maupertuis attire l’attention du Borgne, mais avant qu’il ait pu faire quoi que ce soit, Kader a déjà assommé l’individu. Dans ce même tome, satisfait d’avoir échappé aux deux héros, Boone bourre sa pipe de poudre... et le mélange ne manque pas de lui exploser à la figure en fin de planche. On peut encore citer Colin de la lune, au milieu du tome 6, qui dit aux Terriens qu’ils doivent trouver bien étranges les vices dont l’ancienne société sélénite était rongée... Lesquels vices ne sont que les symétriques de ceux de l’humanité. Les héros de regarder ailleurs et de siffloter.

Et bien sûr, Ayroles ne manque pas de jouer sur les mots. Ainsi, en entrant dans l’antre du savant, au début du tome 1, Kader dit : « Montre toi, Saltiel Ben Bezalel ! Toi dont la réputation d’incommensurable érudit a franchi la Sublime Porte ! La tienne d’ailleurs s’ouvre avec étrangeté ! »... On peut lire avec le même plaisir la réponse de Maupertuis à l’accolade de Lope dans le tome 2 : « La pudeur me lie les mains » ou encore l’exclamation de Lope aux anthropophages, alors que ceux-ci s’apprêtent à l’enfermer dans la marmite à la fin du tome 3 : « Lâchez-moi ou il vous en cuira ! »

On peut même remarquer qu’à deux reprises, ce sont les personnages qui se moquent les uns des autres. Aux planches 26 et 27 du tome 2, Lope se moque de la récitation de Maupertuis, ce qui fait beaucoup rire Kader, tandis qu’aux planches 4 et 6 du tome 6, Lope et Kader se moquent de Maupertuis et de sa jalousie envers Eusèbe, jusqu’à ce qu’il réagisse lui-même d’une manière identique. Maupertuis ne se prive pas alors pour prendre sa revanche... Au final, l’humour est toujours fin et entremêlé avec la culture des auteurs, il contribue à la jubilation du lecteur.

Un dessin précis et des couleurs chatoyantes

(JPEG)De manière générale, le dessin de Masbou sert à merveille le scénario concocté par Ayroles. Son trait est précis et fin, sans jamais être trop sec et les mouvements sont admirablement rendus ; l’action coule toujours sans heurs et jamais les personnages ne paraissent statiques (on peut par exemple citer la scène de la tempête, au tome 3). Le dessin colle donc au plus près du ton et du rythme imprimé par Ayroles, prolongeant l’humour des dialogues par des faciès ou des postures très réussies. L’aspect ludique de la série en sort renforcé. La finesse de son dessin permet en outre à Masbou de réaliser des cases d’une extrême richesse, qui nécessitent plusieurs relectures puisqu’à chaque fois un détail inédit ravit le lecteur, ce qui, là aussi fait, écho au travail d’Ayroles sur les références. On a donc de nombreuses cases qui fourmillent de détails plaisants ; personnages annexes, petites histoires en arrière-plan, ce qui n’est pas sans faire penser à Gotlib. C’est toutefois souvent moins innocent que chez ce dernier, car si Masbou utilise la possibilité de simultanéité de l’action offerte par la bande dessinée, c’est bien souvent pour aider le récit. Il s’agit en effet la plupart du temps de mettre en scène des personnages encore inconnus, mais qui vont faire leur apparition peu après (c’est le cas au début du tome 1 de Plaisant, d’Hermine et des deux héros) ou des objets utilisés ensuite (au milieu du tome 5, les héros découvrent sans y prêter garde le vaisseau qui servira au départ des Sélénites) ou bien de continuer une action rejetée au second plan du fait de la prise de possession de la scène par un personnage (Kader et Maupertuis décident de la conduite à suivre pendant que Lope et Hermine se retrouvent et se déchirent au début du tome 2).

La beauté de certaines planches est, au final, assez époustouflante. Mais toujours, on reste dans le domaine de la bande dessinée humoristique, loin d’un réalisme trop classique. De la même manière qu’Ayroles a su éviter un scénario trop savant, Masbou a su éviter un dessin trop fidèle, soit à la réalité de l’époque, soit à un classicisme pictural de mauvais aloi, souvent utilisé dans les séries historiques. On peut toutefois regretter un certain décalage entre les décors (navires, ciel, architecture), toujours très soignés et souvent issus de recherches documentaires assez précises, et les personnages dont le dessin est plutôt humoristique. Ainsi, il est possible de discerner un vrai travail de recherche historique dans la représentation de la justice au tome 1 ; on est ici très proche d’une gravure. A l’opposé, il y a une proximité avec Gotlib, dans le dessin des visages (humains et masculins en particulier, et dès que ces visages sont déformés par un sentiment violent). De nombreux personnages rappellent le créateur de La Rubrique à brac et autres bandes dessinées comiques : le batteur de la galère maltaise, le vieux fou qui enclenche les paniques pirates, les magistrats sélénites...

Mais, la principale réussite de Masbou est la mise en couleur, qu’il réalise lui-même. Les couleurs directes donnent une autre dimension à son trait. Masbou parle de sa dette envers le dessin animé. Il y a en effet commencé sa carrière d’illustrateur et il y puise sa remarquable maîtrise des divers outils, au premier rang desquels l’acrylique qu’il utilise abondamment, car elle lui permet de nombreux effets de matière et d’épaisseur, mais aussi l’aérographe. Mais surtout, c’est de là que lui vient ce sens des couleurs, cette compréhension de leur fonctionnement, qui est chez lui assez remarquable ; qu’il suffise de citer les 14 premières planches de la série et les couleurs qui accompagnent la scène de nuit, les contre-jours soleil couchants magnifiques, ainsi dans le tome 3 lorsque Cénile et Séléné vont rejoindre Mendoza sur le navire qui doit les emmener à la poursuite des héros, ou les jeux de lumière du soleil entre les branches des cocotiers, au tome 6, lorsque Bombastus et Mendoza s’entretiennent des moyens de rejoindre la lune.

Son travail de coloriste est donc remarquable, les ambiances étant toujours choisies avec justesse. Sa plus grande qualité est de réussir à faire entrer le lecteur dans son dessin par ses couleurs. Les couleurs sont variées ; le changement habile de palette d’une scène à l’autre renforce l’impression de voyage (quel contraste entre la planche 22 qui clôt la tempête et la planche 23 qui nous emmène sur une plage de rêve, dans le tome 3). Les tons orangés sont particulièrement réussis pour les scènes de plein jour, mais pas moins que celles de nuit superbement bleutées. Dans les grandes scènes de nuit, éclairées aux torches, le rouge flamboie avec force (la poursuite du tome 5 par exemple) et Masbou n’hésite pas à tendre vers le monochrome pour certaines cases ou planches (la marche de Mendoza et ses hommes à travers le désert sélénite dans le tome 6). Une telle variation dans les couleurs fait que le lecteur ne se lasse jamais de contempler l’action (qu’il suffise de jeter un œil aux couvertures ou aux planches du tome 5 dans lesquelles les héros tentent de repêcher des restes du trésor). Il est rapidement happé et peut presque sentir vivre le paysage autour de lui. Par jeu de correspondances, les couleurs amènent les sons et les odeurs à prendre vie devant le lecteur-spectateur. Le rêve et le voyage sont à portée de main.

Découpage, mise en scène...

(JPEG)Le remarquable sens du découpage d’Alain Ayroles et sa maîtrise de la mise en scène achèvent de faire de la série une réussite graphique. Les aventures du loup et du renard se succèdent à un rythme trépidant, sans réel temps mort, et les enchaînements forcent l’admiration. Ayroles, puisque c’est lui qui effectue ce travail (il donne à Masbou un véritable script, ce qui implique une stricte répartition des tâches : au premier le narratif dans tous ses aspects, même visuels, et au second, qui se pense plutôt comme graphiste, même s’il a une petite part dans l’écriture du scénario, les illustrations et les couleurs), prend juste le temps de noueur les fils du récit, ce qui prend évidemment moins de temps et de place dans les premiers tomes, d’où leur rythme trépidant [9].

Ainsi certaines planches ou séries de planches sont découpées avec brio. A titre d’exemple, le jeu sur les portes dans les planches 8 à 10 du tome 1 ou le découpage ultra-cinématographique (hommage évident à Sergio Leone) de la planche 39 du tome 5 jusqu’à l’apparition de Mademoiselle, dont le visage est caché par une capuche. Si le découpage est soigné, les plans sont toujours très réussis et renouvelés en permanence. En guise d’exemple d’un cadrage original et dynamique, il est possible de citer celui qui, par un jeu de miroir, ouvre le dîner dans le tome 5. Enfin, ce sont les transitions entre les différentes scènes qui doivent être soulignées pour le talent qui préside à leur mise en place. Ainsi, l’entrée en scène grandiose de Mendoza, dans le tome 1. Un objet peut servir de transition (ainsi la planche le skênêphénakistiscope du tome 6) ou un cri (celui des pirates dans le tome 5 que Kader et Eusèbe prennent pour celui des djinns). Ayroles n’hésite pas à utiliser des effets cinématographiques comme le zoom (en ouverture du tome 5) ou des effets classiques comme les pensées de deux amants l’un pour l’autre (ainsi au tome 2, Maupertuis adresse à la lune les vers qu’il destine à Séléné), ou encore la méprise d’un des personnages sur un objet (ainsi au début du tome 6, Eusèbe prend la fusée qui abrite Mendoza, Cénile et Bombastus pour une étoile filante).

Au final, De Cape et de Crocs recèle de scènes mémorables, dont la moindre n’est pas la première de la série, des planches 5 à 14. L’entremêlement des fils narratifs est mené avec talent (certaines cases montrant en une seule vue les deux partis en présence), les transitions y sont brillantes (planche 11, Kader assure le vieux juif que la carte est entre de bonnes mains et à la case suivante, on voit la bouteille voler dans les airs ; Maupertuis évoque l’heure planche 12, la page suivante s’ouvre sur une horloge qui sonne) et les cadrages originaux (tome 1, planche 14, les cases 2 et 3 qui représentent le puit dans lequel le vieux juif pêche la pierre de lune).

... et construction du récit

Mais Ayroles, s’il est doué dans l’organisation de l’action, l’est tout autant dans celle de son récit à l’échelle d’un album. Le rythme soutenu, l’imbroglio enlevé, l’action découpée et mise en scène avec talent s’enchâssent dans une structure globale de narration qui fait de chaque tome une réussite [10]. Ayroles qui avoue n’avoir qu’une trame assez lâche pour l’ensemble de la série, improvise la construction de chaque tome. Or, il réussit, en s’appuyant sur quelques constantes, à toujours rendre un résultat cohérent et efficace.

Au nombre de ces appuis à la construction narrative (plus ou moins explicitement présents dans un tome ou dans l’autre, la souplesse étant nécessaire dans leur maniement), il est possible de citer les entrées en scène des héros. Au tome 1, le véritable début de l’histoire se situe à la planche 5, avec la focalisation sur les deux héros, jusqu’à leur rencontre avec Cénile ; ils se présentent à lui et se lancent dans l’aventure. Tout ce qui précède est comme un prologue destiné au lecteur pour qu’il s’installe dans l’univers, découvre les protagonistes, etc. Quant à l’entrée en scène des personnages principaux, elle est explicite dans le tome 3 (Kader et Maupertuis répètent quand retentissent les trois coups ; ils commencent alors l’action) ou le tome 5 (un zoom progressif nous amène d’une vue d’ensemble de l’île à nos héros, le tout accompagné, comme dans une générique, par une partition de musique).

Autre constante sur laquelle s’appuie Ayroles, la présence d’une grande scène, souvent nocturne, par tome (alliant dans une apothéose tous ces talents évoqués ci-dessus mêlées à une mise en couleur toujours plus remarquable) : l’imbroglio nocturne des planches 7 à 14 dans le tome 1 ; la poursuite épique et sublimement menée, où les personnages se croisent et se recroisent, des planches 12 à 17 dans le tome 2 ; la tempête, au cours de laquelle s’éparpillent les héros, des planches 16 à 22 du tome 3 ; la farce de maître Jean, ponctuée des maladresses de Bombastus, des planches 42 à 45 dans le tome 4 ; l’envol des Sélénites, entre le rougeoiement de la caverne aux bleus-verts sombres de la nuit, des planches 26 à 32 du tome 5 (la poursuite des planches 28 et 29 n’étant pas sans faire penser à celle du tome 2) ; l’étrange carnaval enfin, de la planche 18 à la planche 22 du tome 6 (à propos de cette dernière, il est possible d’émettre quelques réserves sur le sens de la mascarade, à laquelle on ne croit guère - à l’inverse des héros - et dont l’utilité n’apparaît pas clairement).

Ayroles joue à fond la carte de l’imbroglio. Or, privilège de la bande dessinée, une case suffit à laisser entrevoir ce qui se passe dans un autre fil du récit (dans le tome 1, on entrevoit Andreo, pendant que son père est en grande conversation avec les deux héros, quelques cases donc, avant qu’il ne lui adresse ses instructions pour empêcher Lope et Maupertuis de tirer bénéfice de la carte), facilitant les transitions et les explications, sans rompre le rythme de narration. L’imbroglio est un moyen d’accélérer la narration et de la rendre plus dynamique ; Ayroles joue ainsi du suspens pour couper tel ou tel fil sur une attente du lecteur (ainsi dans le tome 4, Ayroles prive le lecteur de la résolution du coup de force d’Hermine contre les pirates [11]) et son sens des transitions fait merveille pour jongler entre les différents fils narratifs.

(JPEG)L’usage du montage alterné lui permet en outre de laisser en sommeil certains fils narratifs, pour s’étendre d’avantage sur le fil principal, mais de les rappeler de temps en temps : ainsi Mendoza, Cénile et Séléné se rappellent à notre bon souvenir (et sont présents tous les enjeux de ce fil narratif ; violence de Mendoza, Séléné éthéré sous la coupe de Cénile...) au début du tome 5, alors qu’Ayroles n’avait pas donné de leurs nouvelles depuis le début du tome précédent. De même, Kader et Eusèbe, entrevus à la fin du tome 3, puis au milieu du tome 4, font un retour dans le récit à la fin de ce même tome (ils sont parvenus dans l’antre des Sélénites). Leur retour sur le devant de la scène est annoncé dans le tome 5 par une accélération de la fréquence de leurs apparitions (planches 1, 9, 23, 24, 25, 30 du tome 5) et de fait, tous les héros sont réunis à la planche 32.

Les dernières cases de chaque tome, enfin, illustrent la manière dont Ayroles sait retomber sur ses pieds après les péripéties de l’album écoulé [12]. Ses ouvertures arrivent après un tome bien rempli, concluant une série de rebondissement et laissant en suspens les enjeux de la série (« Les méchants ne sauraient triompher. Justice sera faite ! » s’exclame Lope à la dernière case du tome 1, tandis que le lecteur restera avec l’image de ces navires qui s’éloignent dans le couchant, image d’ailleurs reprise dans les tomes 2 et 5, et évoquée dans le tome 6 avec l’arrivée dans un port... L’ouverture sur l’immensité de la mer laisse le champ libre à l’imagination, en attendant la suite) ou abandonnant ses héros dans une posture périlleuse (tome 3 et tome 4, si l’on considère la véritable fin du tome comme se trouvant à la planche 45, c’est-à-dire à la conclusion du principal fil narratif). Ayroles prend aussi un malin plaisir à s’adresser à ses lecteurs, par le biais de ses personnage en ces fins de tomes : « Que va-t-il se passer » demande Eusèbe au lecteur à la fin du tome 4, tandis qu’à la fin du tome 5 Kader promet « le plus fabuleux voyage jamais conté ».

Un divertissement d’aventures

Le moteur aventure du récit et à la dimension divertissante de la série, entraînent un certain nombre d’obligations dans la narration.

Tout doit aller vite et pour ce faire, les objets ou les figurants sont de peu d’importance ; Andreo abandonne le navire de son père à Malte, pour suivre les pirates au tome 2, tandis que Kader oublie bien vite ses Turcs, une fois embarqué dans la cambuse (tome 2 toujours). Ni de l’un ni des autres, il ne sera plus question, puisqu’il ne s’agit là que d’accessoires. Ni distance, ni géographie non plus ; lorsque Kader parle des colonnes d’Hercule (dans le tome 2), il s’agit de la dernière indication géographique après le départ de Malte. Seule la carte, en début et en fin de deuxième tome, aide à comprendre le voyage vers les îles Tangerines (et encore les indications se perdent-elles au milieu de l’océan). C’est que l’explicatif est rejeté hors champs (d’où les illustrations documentaires des pages de garde ; carte de la Méditerranée, de l’archipel, de la lune aux tomes 1, 2, 3, 4, 6, ou plans de la machine de Bombastus et partitions au tome 5, qui constituent comme les appendices du récit) [13].

Autre simplification, et de taille, la dimension politique des discours tenus au tome 6. Si les nécessités historiques ont amené les auteurs à exposer avec finesse certains des enjeux géopolitiques méditerranéens du XVIIe siècle (la position de Malte, défendu par les chevaliers de l’Ordre, et de Venise, comme carrefours entre Orient turc et chrétienté par exemple), la poursuite de l’aventure dans des contrées imaginées (l’archipel dont la toponymie est volontairement des plus clichées), puis au milieu d’une civilisation imaginaire (les Sélénites), permet aux auteurs des simplifications ; la lune n’a qu’un seul roi, simplifications exigée là encore par les dynamiques propres du récit d’aventure.

Le récit se fait aussi au prix de l’invraisemblance (apparente) de certains rebondissements ou de certains partis pris ; ainsi, Eusèbe, au tome 2, retrouve sans effort Lope dans la foule maltaise, tandis que Kader, Lope, Maupertuis et Eusèbe, perdus au milieu de l’Atlantique, tombent comme par hasard sur le Hollandais Volant (tome 2 toujours). Toutefois, il ne s’agit pas réellement d’invraisemblances, mais de licences dues au régime théâtral de la narration. Le réalisme des situations n’est pas l’objectif des auteurs. L’aventure débridée et divertissante si. Ce qui autorise une poignée de héros à manœuvrer à eux seuls un navire dans le tome 3 ou ce qui explique qu’il n’y ait pas d’échelonnage des niveaux de langue (ainsi, Bonne s’adresse aux héros enfermés dans sa cambuse en les traitant de « pourceaux d’Epicure ».

L’action défile donc avec pour seule préoccupation l’aventure. Les héros ne se découragent pas (même après avoir perdu la bouteille à la suite de la poursuite du tome 2 ou perdus dans l’Atlantique), décident de la conduite à suivre sans même se concerter (ainsi à bord du Hollandais volant, il n’y a pas de réelle discussion, ce qu’il y a à faire s’imposant comme une évidence). Ne se laissant jamais abattre, les héros reprennent le dessus sur la Fortune sans hésiter (Andreo et Boone ayant finalement récupéré la carte, Maupertuis propose un plan et tous le suivent sans protester). Finalement le seul découragement possible est amoureux (Lope au début du tome 6, pris dans les difficultés de sa relation avec Hermine). Les héros ne s’en font donc jamais vraiment sur les suites de leur aventure (ils profitent pleinement des charmes du dîner du tome 5 et de leur voyage vers la lune au début du tome 6), et s’ils s’autorisent quelques pauses, c’est que les circonstances l’imposent (l’intermède gastronomique du tome 2 ou la construction du vaisseau au tome 5) ; ils profitent alors d’un moment d’amitié et de repos.

C’est qu’ils ont pour eux toutes les qualités ou presque. Héros types des romans d’aventures, Ayroles leur distribue bien quelques défauts (Lope surtout et son impulsivité si dévastatrice), mais ils font montre de leur intelligence et de leurs vertus dès les circonstances l’exigent. Et surtout, Maupertuis et Lope sont invincibles, sauf submergés par les circonstances ou le nombre. Cette invulnérabilité est claire dès le départ (face aux Ottomans) ; Lope et Maupertuis se jouent du danger, le recherchent même, trouvent dans les duels, non une occasion de mettre leur vie en péril, mais d’y prouver la valeur de leur sang. Ainsi, pendant la rixe du tome 1, Maupertuis déclame et fait le joli cœur. Le danger n’existe pas vraiment ; ennemis en tous genres, monstrueux ou humains, ne sont qu’une occasion de ferrailler. C’est une histoire d’armes (comme le prouve l’importance prise par la botte dans les derniers volumes parus), mais les armes ne provoquent pas de vraie mort, ne font pas couler le sang et n’entraînent pas de violence réelle (c’est à peine si on voit quelques dents qui volent à la case lors de la lutte sur le pont du navire pirate dans le tome 2). La mort est absente ; les ennemis éliminés disparaissent, s’évaporent. Quant aux héros, ils ne sauraient mourir (Kader et Eusèbe résistent à leur avalement par le monstre marin et par l’explosion qu’ils provoquent dans ses entrailles).


Le site des Editions Delcourt

Etant donnée la profusion de sites Internet qui traitent, d’une manière ou d’une autre, de cette série, nous vous renvoyons au très complet site non officiel de la série.

par Matthieu-Paul Ergo
Article mis en ligne le 8 novembre 2004

[1] Cette qualité des dialogues, qui est définitivement un des grands points forts de la série, est une constante avec Alain Ayroles, puisqu’on la retrouve dans Garulfo.

[2] De là à penser que cette coexistence de styles de d’univers différents est une mise en abîme du monde baroque dans lequel se déroule la série, il n’y a qu’un pas...

[3] voir à ce propos l’article intitulé De Cape et de Crocs, triptyque ? .

[4] à ce propos, voir ce qu’en dit Ayroles dans l’interview qu’il nous a accordée ici même .

[5] Et ce malgré les justifications qu’en donne Ayroles dans l’interview sus citée.

[6] En outre, la mobilisation de l’imaginaire lié aux Lumières justifie-t-il la faiblesse de la description politique des Sélénites ? Alors qu’il n’était pas obligé de s’appesantir sur cet aspect des choses, aspect assez peu traités par ailleurs (si ce n’est au cours de la digression autour de Sabadu au tome 3), Ayroles fait le choix de décrire les Sélénites sous cet angle, mais se contente d’une inversion des défauts humains ; le bellicisme est sur la lune une tare et tous les défauts humains sont résumés dans les projets de l’infâme Monsieur qui veut faire de la vie sur la Lune un carnaval permanent ; les héros eux-mêmes n’ont pas l’air très convaincus. Tout ceci aboutit à la demeure royale qui est une simple gentilhommière, puisque ce monde a banni la cupidité. Gageons qu’Ayroles aurait gagné à tout miser sur la poétisation de la civilisation sélénite plutôt que sur sa politisation, le détournement des impressions morales et politiques des Lumières, outre le fait qu’elles sont anachroniques, étant à notre avis plutôt raté.

[7] Sur les raisons possibles de l’émergence de tant d’anachronisme au tome 6, voir l’article De Cape et de Crocs, triptyque ? .

[8] on retrouve d’ailleurs le personnage qui lance chacune des paniques pendant la fête des pirates au tome 3.

[9] A ce propos, voir l’article sur le tome 4 De Cape et de Crocs : le mystère de l’île étrange .

[10] on a déjà mentionné les deux articles qui permettent de relativiser cette affirmation pour les tomes 4 et 6.

[11] cette scène, les héros la découvrent ensuite par le biais des perroquets (à la planche 19 du tome 4), et vivent avec Lope l’impatience de savoir ce qui s’est passé finalement, espoir déçu puisque Ayroles renouvelle, à la case 1 de la planche 20, le même suspens qu’à la planche 9. Idée brillante, s’il en est, que cette utilisation des perroquets, même si ceux-ci, non contents de répéter les paroles des protagonistes, miment leurs postures et imitent leurs voix...

[12] Il est toutefois possible de critiquer l’imparfaite construction du tome 5, qui comporte trois fins. Ainsi, dès la planche 32, surgit une vraie-fausse fin, accompagnée de musique et célébrant l’ascension des Sélénites. Puis, nouvelle fin qui n’en est pas une à la planche 37. Et finalement tout ne se termine que plus tard. Ayroles échoue dans ce cinquième tome à faire coïncider la fin de l’album et la conclusion d’un enjeu narratif.

[13] Le rejet hors champ de l’explicatif se double d’un rejet du passé en dehors du cours du récit. L’aventure ne saurait avoir pour temps de narration que le présent. Ainsi, l’Impromptu du tome 4, et les planches en noir et blancs des couvertures intérieurs du tome 3 et surtout 4 permettent-elles de dire ce qui n’avait pas sa place dans le cours du récit. Le recours au passé dans le cours des albums n’est autorisé que lorsqu’il est pourvoyeur de complexification des enjeux narratifs. Il en est banni dans les autres cas, car la série n’a pas pour vocation de réfléchir sur une pâte humaine, dans une perspective introspective

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