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Rookies

Ou comment mêler sport, enseignement, bastons et humanisme

Banlieue de Tōkyō, 5 minutes avant le début des cours, Koichi Kawato jeune prof remplaçant pique un sprint. C’est son premier jour au lycée public Futago Tamagawa et il est déjà en retard, mais cela ne l’empêchera pas de s’arrêter pour intervenir dans une altercation entre lycéens...


Détourne toi du côté obscur de la force...

Cette histoire crée par Morita Masanori, nous parle de jeunes novices en baseball. Mais aussi de mauvais garçons qui grâce à leur professeur, parviendront à se surpasser au prix de beaucoup d’efforts. Une leçon de vie exemplaire servie par un beau dessin classique et fidèle aux codes du genre, que l’on classe rapidement parmi les shônens moralistes, section du dépassement de soi, rayon des sentiments purs et courageux.

(PNG) Mais derrière cet aspect stéréotypé et prévisible, Rookies nous donne également une vision pertinente de la société nipponne contemporaine. La priorité de l’auteur est de reproduire la vie quotidienne de ses lecteurs en situant l’action dans un monde actuel à l’esthétique photo réaliste. Cette sensation d’authenticité est renforcée par de multiples détails concrets (groupes à la mode, marques publicitaires, etc.) et des relations humaines particulièrement complexes.

Il y a plusieurs manières de percevoir cette œuvre, et si la lecture au premier degré offre des scènes d’action intenses et beaucoup d’humour, il serait regrettable de passer à côté de son message profondément humain et tolérant, qui va bien au-delà du simple : « Bats toi pour la victoire ! »

Fond réaliste et violent cherche forme optimiste et gentille

Soyons clair : cette série est parue dans un magazine destiné aux adolescents. Les moments de bravoure et de sacrifice sont fidèles au poste, autant que les délires et les petites larmichettes d’émotion. Mais les personnages principaux n’ont rien de héros aux supers pouvoirs ou faisant partie de l’élite, qu’elle soit sociale ou culturelle. Ce sont des racailles sans gloire au langage cru, aux insultes et provocations faciles et dont les ambitions se limitent bien souvent à éliminer ce qui les gêne, gagner du fric ou trouver des filles. L’école ne les intéresse pas, elle ne leur apporte rien et ils n’en attendent rien.(Voir une planche).

(PNG) L’auteur regrette ce potentiel inexploité, étouffé sous les désillusions, la peur ou la colère. Mais s’il soulève le problème il ne se contente pas de l’habituelle critique sociale : se plaindre et démontrer que le monde est pourri c’est bien, mais pas très efficace. Et dénoncer des erreurs même avec pertinence ne les fait pas disparaître pour autant. Il ne cherche pas non plus à détruire ce qu’il réfute mais bien à le reconstruire autrement, ce qui est une voie nettement moins évidente. [Voir annexe] Toutefois son but n’est pas l’anarchie, il sait qu’il est indispensable de respecter certaines règles si l’on veut vivre en société, et pour parvenir à le faire comprendre par l’exemple à ces jeunes paumés, il passera par le biais du baseball, un sport appréhendé de manière très particulière au Japon.

Le Yakyuu-do ou la philosophie du baseball

Là-bas, le baseball est intensément pratiqué par les étudiants, il est le sport le plus populaire de l’Archipel, le spectacle de masse par excellence. Il est loin devant le football qui progresse tout doucement, ou le sumo qui perd de son aura. [1] (PNG)

Privilégiant l’effort collectif et la discipline, il semble posséder toutes les qualités jugées indispensables à l’éducation de la jeunesse nipponne, et par delà, les préparer à travailler dans une société très structurée et hiérarchisée.(Voir une planche)

Il nous est difficile d’imaginer l’ampleur de sa popularité. Par exemple la finale du tournoi au stade Koshien est l’un des évènements sportifs le plus médiatisé de l’année et pourtant cela ne concerne que des lycéens . Pour cette raison beaucoup d’établissements scolaires rêvent de posséder une équipe capable de participer aux tournois nationaux car les sélectionnés apporteront prestige et honneur à leurs écoles respectives (et une réputation flatteuse particulièrement intéressante pour les lycées privés).

A contrario l’équipe qui montrera un comportement déplorable sera unanimement pointée du doigt et la honte rejaillira sur son école

Ce fut l’erreur du club de baseball du lycée Futago Tamagawa, qui, avant le début de notre histoire, déclencha une bagarre générale lors d’une rencontre officielle. La faute fut sanctionnée immédiatement par 6 mois d’exclusion des tournois et par les excuses publiques de la direction de l’école, diffusées à la télévision. Mais qu’attendre d’autre de tels membres ? Pour la plupart, ils se fichent du baseball comme de leur première cigarette et ne se sont inscrit que parce que la salle du club était idéale pour profiter tranquillement de matériel volé ou pour servir de baisodrome ...

Blanc Costume et les 10 furyos [2]

Comme le dernier exploit de cette équipe sans joueurs est d’avoir acculé leur professeur titulaire à la démission, le proviseur qui ne peut se permettre de les renvoyer, pense avoir trouvé une solution radicale en engageant Koichi Kawato. Un jeune enseignant débutant de 24 ans qui vient de se faire renvoyer de son poste précédent pour violence sur un élève. En plaçant cet élément explosif parmi les voyous, le proviseur espère provoquer la catastrophe qui lui permettra de se débarrasser de tous ces mauvais éléments en une fois, prof y compris.

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Mais contre toute attente Kawato le passionné va réussir à réveiller ses élèves, en fonçant tête baissée, leur assénant ses convictions à coup de grandes citations. Il ne voit pas qu’il est ridicule, pour lui si ces jeunes ont un comportement agressif c’est qu’ils n’ont pas l’occasion de réaliser quelque chose de valorisant. Parce qu’ils ont oublié ou parce qu’on ne leur a jamais démontré à quel point cela pouvait être excitant d’avoir un grand rêve à réaliser.

Alors, il suffit d’avoir la foi et tout s’arrange dans le monde merveilleux du professeur Kawato ? Entre ces voyous blasés qui vivent dans une réalité grise, et ce bonhomme rayonnant d’énergie positive qui les agresse avec son enthousiasme inconscient, le choc va être rude.

(PNG) Il leur demande de sortir de leurs habitudes. Mais devoir remettre en cause des certitudes acquises depuis longtemps est particulièrement déplaisant, surtout quand on n’a rien demandé.

Prise ensemble la bande aura une réaction de rejet brutale et immédiate, mais individuellement ce changement sera perçu différemment et des dissensions vont apparaître au sein du groupe. (Voir une planche) L’un après l’autre les jeunes commenceront à croire en celui qui, malgré les coups et les attaques diverses, continue à leur parler d’homme à homme avec sincérité. Il leur dit : “Heureux qui a une ambition ferme, il ne souffrira pas longtemps ni faussement”. [3] Bien jolie phrase, mais si ils le suivent, c’est simplement parce qu’enfin quelqu’un les aide à réaliser par eux-mêmes et pour eux-mêmes, quelque chose de passionnant et de valorisant, et cela sans les juger ni leur demander de rentrer dans le rang.

(JPEG) Comme rien n’est définitivement acquis, leur motivation suivra des hauts et des bas : pour trois pas en avant, il y aura deux pas en arrière. Et quand après des mois, ils croiront atteindre enfin leur but, la faute viendra de Kawato lui-même qui par son inconséquence réduira leurs efforts à néant, ou presque. Car ce jeune professeur pétri de grands idéaux, peut se montrer passionné jusqu’à la bêtise...

One for all [4]

Mis à part kawato qui en est l’élément moteur, Rookies est une histoire sans héros où de multiples personnages vont et viennent, accrochant la lumière un instant avant de rejoindre la dynamique de l’ensemble. Chacun est seul et unique, mais fait également partie d’une société, d’une école... ou d’une équipe de baseball

(PNG) C’est d’ailleurs une des qualités que présente ce sport qui, tout en restant fondamentalement collectif, offre de nombreuses occasions de briller individuellement. Il alterne également des phases d’actions rapides à fortes doses d’adrénaline et des périodes de retrait propices aux discussions révélatrices. Ainsi que de véritables duels à un contre un, moments intenses et indispensables à tout shônen qui se respecte.

Nous sommes dans un monde masculin qui nous parle d’honneur et d’amitié virile. Il y a des sentiments, oui, et même beaucoup, mais peu de romantisme. Mais si les femmes y sont rares, leur personnalité est traitée sur le même pied d’égalité que celle des hommes, ni plus, ni moins. Sur ce point Rookies diffère complètement de la majorité des shônen qui propose à ses lecteurs boutonneux de multiples blondes à forte poitrine, ou des gamines à peine pubères montrant systématiquement leurs « adorables petites culottes ». Au contraire, ce manga nous présente des jeunes réalistes, tout en esquissant quelques portraits assez réussis de vraies femmes vivant dans une société encore très machiste. Et qui - comme beaucoup de japonaises- doivent composer entre leur volonté personnelle et une attitude traditionnellement en retrait par rapport aux hommes.

(JPEG) Chaque individu possède une personalité bien développée que Morita nous fait ressentir physiquement en quelques traits, et dont il cerne toutes les nuances en quelques cases . Et ceci est d’autant plus remarquable que l’on sait peu de choses de leur vie privée : l’entourage familial ainsi que leur passé sont pratiquement inexistants. L’auteur donne à peine quelques indices, et nous laisse la liberté d’imaginer le reste. Doté d’un coup de crayon fin, mais puissant et expressif, il sait trouver le ton juste sans lourdeurs démonstratives. Avant de se prendre pour un artiste, il tente de raconter des histoires en mettant sa maîtrise technique et sa créativité au service de son récit.

Le ciel sauve ceux qui se sauvent [5]

Dans Rookies participer c’est déjà gagner, quelque soit le but à atteindre. Même si le rêve semble inaccessible il faut s’investir et en payer le prix. Ne plus laisser la société, les habitudes ou la crainte décider pour nous, et enfin se sentir vivre.

Rien ne permet de croire qu’ils remporteront le tournoi, mais qu’importe si ils ne sont pas les meilleurs ou les plus forts car leur plus belle victoire est déjà acquise : Eux qui étaient jugés comme « déchets de la société », ont appris que leur vie d’homme avait de la valeur . Ils peuvent croire en eux-même, ils ont la capacité d’avoir des rêves... et peut-être même de les réaliser. (Voir une planche)

C’était le rêve de ce Don Quichotte de Kawato, réussir à transpercer quelques géants parmi ses moulins à vent ...

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par Marie Heerins
Article mis en ligne le 16 décembre 2004

[Voir annexe]  : Le blues des mauvais garçons au pays du soleil couchant
- Nous sommes en 1998 dans une des plus grande métropole du monde, l’âge d’or de « la bulle économique » n’est plus qu’un souvenir, il n’y a plus de garantie d’emploi et le modèle social des parents vacille. Les valeurs traditionnelles sont délaissées par la jeunesse qui traîne son ennui entre les salles de Pachinko, les gadgets high-tech, la j-pop et les centres commerciaux gigantesques. Elle ne manifeste pas ni ne se révolte, il serait d’ailleurs difficile d’imaginer ces jeunes qui pour la plupart sont plus intéressés par leur look que par la politique, défiler dans les rues en style Agnès B ou en pantalon hip-hop parfaitement repassé ...(Source :Arte). Désabusés et sans illusions certains rejettent dès le collège ou le lycée, un encadrement rigide et inadapté, allant jusqu’à former des bandes qui inspirent la terreur aux autres élèves et à leurs professeurs.

Ce véritable problème a forcé le gouvernement à tenter plusieurs réformes ces dernières années en faisant du "principe de la primauté de l’individu" le principe de base pour l’ensemble de la réforme de l’enseignement. Le point essentiel de sa réforme est le passage d’un système quantitatif à un système qualitatif et une de ses orientations fondamentales consistait à réaliser un enseignement mettant plus en valeur les qualités individuelles. Cette notion assez nouvelle d’un groupe constitué d’individus bien distincts ayant leurs propres aspirations et non plus uniquement celles de la communauté, est certainement une des motivations principales à l’origine de cette série (Sources : Courrier international et Ambassade du Japon en France) .. Mine de rien cette idée qui nous semble évidente, est par contre assez embarrassante dans un pays qui a toujours condamné ceux qui étaient une gêne pour les autres. On tape toujours sur le clou qui dépasse...

[1] Voir à ce sujet l’article du site Tokitsu.

[2] Furyo : jeune voyou, rebelle.

[3] Citation du poète Anglais Tennyson (tome,p ) Il a dit également : “Il y a plus de foi dans un doute honnête que dans la moitié des dogmes”.

[4] Une des devises de l’équipe de Kawato.

[5] Citation du poète Japonais Yukichi Fukuzuwa (tome 16, p 95)

"ROOKIES" est une série en 24 tomes réalisée par Morita Masanori et son studio Hitman . Elle est parue dans le magazine Weekly Shonen Jump de 1998 à 2003. Malheureusement, pour des raisons de santé l’auteur a du conclure prématurément et se résoudre à résumer la fin de l’histoire dans un unique et dernier volume .

- Editeur au japon : Shueisha.
- Editeur en France : Tonkam.


Voir également :
- Le site Rookies Blues dédié à Morita Masanori
- Le dossier : Rookies : l’éducation par le sport du site Animeland.
- La critique du site Mangaverse .

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