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Love Hina (2)

Exploration des rouages d’un shonen sentimental

Qu’est-ce qui fait le sel de l’histoire banale d’un jeune homme balourd, Keitarô, en quête des lauriers de la prestigieuse université de Todaï ? Peut-être dans la promesse qu’il fit, enfant, à une compagne de jeux de bac à sable... Ou encore dans la fortune qui le pousse à habiter dans une pension pour filles...


(JPEG)Love Hina est un shônen sentimental et possède donc toutes les caractéristiques propres à ce genre : la présence d’un garçon pas très affirmé en guise de héros, une jeune femme, belle et intelligente qui représente un premier et principal objectif amoureux, et un troisième - voire plus - protagoniste féminin qui perturbe le schéma bipolaire pour embriguer l’histoire dans un triangle palpitant. Saupoudrez le tout de petites-culottes et d’un happy end, et voici résumée la recette de ce genre, à la fois frais et racoleur. Ces éléments se retrouvent dans la plupart des mangas du genre, depuis les autres oeuvres d’Akamatsu, jusqu’à Video Girl Aï et I’’S, tous deux du célèbre Katsura. Dans un registre cousin, on peut aussi évoquer l’oeuvre d’Adachi, dont les triangles amoureux comptent parmi les plus fameux et réussis du manga. Les codes récurrents du shonen sentimental ont été donnés mais c’est bien évidemment insuffisant. Dans cette vaste et complexe carte du genre, où se positionne donc Love Hina ? Il importe pour trouver son exacte localisation d’envisager les différents ingrédients de la potion, à la fois acidulée et rafraîchissante, qu’est ce titre d’Akamatsu, hissé au rang de classique du shônen sentimental.

Un comique refusant toute cohérence

Il y a une chose qu’on remarque rapidement dans Love Hina : son aspect largement comique. Il constitue même l’essentiel de cette œuvre. Le premier chapitre doit dans un manga être une bonne représentation de la série, en montrer l’esprit. Il n’est dans Love Hina, après introduction de la situation initiale, qu’une suite ininterrompue de gags à un rythme soutenu, jusqu’à ce qu’un moment sérieux n’amène momentanément le calme...avant que le comique ne reparte de plus belle. Ces premières pages annoncent ce que sera cette œuvre : une sorte de Friends nippon où l’humour est plus important que les rares scènes sentimentales.

Cet humour placé au centre de Love Hina se caractérise par son coté extrême et délirant, chose qui ne fera que s’accentuer jusqu’à la fin. La série reprend à son compte un certain nombre de codes du cartoon, de façon évidemment diluée, puisque le format (bande dessinée contre animé) et la longueur (une série continue d’un coté, de mini-saynètes de l’autre ) ont peu de choses en commun. On remarquera les maladresses récurrentes de Keitaro : leur répétition selon un schéma simple et identique (il agit involontairement de façon perverse, les personnages féminins le punissent violemment), mais variant dans leur manière de se produire peut faire penser à l’imagination du coyote pour inventer sans cesse de nouvelles manières d’attraper Bip-bip. On y retrouve également la même brièveté : hormis une exception le gag ne se prolonge pas, la sanction est toujours immédiate. Dans le même ordre d’idée, Keitaro possède nombre de caractéristiques de l’anti-héros du cartoon : ses tentatives sont toujours couronnées d’échec et terminées par une action violente à son encontre, cette dernière le laissant malgré tout indemne, comme s’il était invincible.

Les évènements sont du délire complet : Su, seize ans, crée des robots futuristes, Seta lutte contre une organisation secrète et finit par entraîner les protagonistes dans une course-poursuite en dirigeables, parodie avouée de films comme Indiana Jones, Keitaro se met à rêver pendant ses examens, etc. Et s’ils sont là pour faire rire, ce sont aussi eux qui font avancer l’histoire : le parfait exemple étant l’irréaliste scène ou Keitaro revêt une combinaison d’invisibilité pour savoir ce que Naru pense de lui.

La logique demeure présente mais de façon minime, uniquement comme mince fil rouge. Elle est même sans importance : jamais l’auteur ne cherche à l’étoffer, à lui donner autant d’épaisseur que possible, à un point tel que cela devient un refus de toute cohérence presque affirmé et catégorique, remplacé par une joyeuse et outrancière accumulation d’évènements à la logique improbable.

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Love Hina donne l’impression que l’auteur s’amuse avec une maison de poupée aux décors immuables (n’explique-t-il pas qu’il disposait d’un assortiment réutilisable de dessins de la pension sur lequel il greffait l’action ? [1]) et des personnages qu’il dirige uniquement selon son plaisir.On est dans le jeu, dans le délire assumé, pas loin d’un humour par l’absurde, de ce qui fait l’essence du cartoon : regarder en observateur extérieur le ridicule et l’auto-dérision d’une situation. Aucune volonté ici de construire un système bien ordonné, au contraire, tout le jeu est de ne pas en cacher les faiblesses, même de les montrer, pour créer une connivence avec le lecteur afin qu’il rie du grotesque omniprésent.

Love Hina, un shonen sentimental ?

Cette volonté d’éviter tout réalisme est présente également au cœur de ce type de manga : sa romance. Les poncifs du shonen sentimental sont bien là, mais exagérés. Par exemple Keitaro, stéréotype du loser, n’est pas seulement timide et mauvais élève, c’est un idiot fini, qui n’a pas parlé à une fille depuis ses quatre ans. On peut aussi évoquer les qualités peu communes du personnage de Naru, jeune femme sublime, première de sa promotion.

(JPEG)Le fil conducteur reste l’histoire d’amour entre Naru et Keitaro. Mais il vient s’y greffer un grand nombre de problématiques, pour la plupart ponctuelles, afin de ménager un effet de suspense, qui se dissipe rapidement. Love Hina est, en cela, différent d’autres mangas du genre. La romance y est habituellement bien plus concentrée sur les trois personnages du triangle amoureux. Dans Love Hina, elle navigue entre une petite dizaine d’individus. Trés éclatés, les sentiments sont loin de dessiner un axe principal, massif, comme on peut l’observer dans une œuvre telle que I’’S. On observera aussi comment cette histoire d’amour est racontée. Les questionnements des protagonistes sur leurs relations n’entrainent aucun pathos pesant, alors que certaines séries fonctionnent beaucoup en utilisant lenteur et atmosphère dramatique. Même si les personnages ont vingt ans passés (et qu’un marriage est en jeu), cette œuvre a quelque chose de très enfantin dans la romance qu’elle raconte. Tout les personnages y sont sympathiques et candides, ont une vision pure de l’amour, et tous leur problèmes se résolvent rapidement dans le sourire et la bonne humeur.

Ensuite cette romance est menée a un rythme trépidant, dynamitant l’apparence sérieuse et austère qu’elle revêt dans d’autres séries : rebondissements, contre-rebondissements... Keitaro tiraillé dans toute les directions, voit défiler les prétendantes. On peut prendre l’exemple du tome treize, où l’on voit chaque protagoniste féminin changer deux fois de camp, voire tomber amoureux du héros pour vingt pages...

Pris dans la spirale du toujours plus, l’intrigue multiplie les pirouettes qui permettent au dernier moment de régler un problème tout en suscitant le suivant dans le même moment : Keitaro lit dans le journal de Naru qu’elle aussi a promis à quelqu’un d’entrer à Todaï et donc qu’elle pourrait être la fille de sa promesse. Mais vingt pages plus loin, un simple calcul d’âge rend cette hypothèse invraisemblable. Nouveau problème, et les deux protagonistes se brouillent. Du coup, l’ambiance est au desespoir total pendant deux chapitres. Mais non, ils se réconcilieront tranquillement un peu plus tard. Finalement, ce manga n’aurait-il de sentimental que le nom ? Quantitativement, les scènes traitant des relations amoureuses entre les personnages sont peu nombreuses, contrairement aux épisodes humoristiques, les premieres étant d’ailleurs souvent brusquement remplacées par les seconds. Ces scènes passent en outre au second plan devant la façon dont elles racontéés : ce qui fait l’intérêt de cette série n’est pas tant son fond, ses personnages ou la complexité de leur rapports, que sa forme : narration rythmée, humour, légèreté, bonne humeur.

(JPEG)Love Hina raconte une histoire d’amour, mais celle-ci s’avère un prétexte pour véhiculer des péripéties plaisantes. Par exemple, des les principaux protagonistes - élément clef dans tout manga - qui donnent de l’épaisseur à une histoire, que retient-on ? Ils n’ont pas vraiment de caractère Naru est décrite comme colérique, cependant cet aspect n’est présent que pour la séquence finale du gag de la baffe administrée à Keitaro. Outre ce trait de caractère, elle se résume à sa beauté et à son intelligence scolaire, aspects qui permettent de camper la figure fantasmatique qu’elle est pour Keitaro. Quant à ce dernier brave garçon sans grand talent, il s’avère assez terne, à l’exception de sa bonne volonté. Il mûrira, mais brutalement, lors d’un voyage aux Etats-Unis dont rien n’est révélé sinon le résultat. Les personnages ne sont que des stéréotypes, dont le comment importe peu. Seul leur état, qui sert l’effet comique, intéresse l’auteur.

Ce qu’on retient des personnages, et d’où peut naître un attachement, c’est leur graphisme : visages ouverts et souriants, une scène comique, etc... ou encore la dernière page de la série, qui met en scène le gag récurent de la poursuite de Keitaro par Naru, illustre que finalement, malgré le mariage ou la réussite, rien ne change vraiment à la pension Hinata, et que Love Hina est fondamentalement affaire d’atmosphère.

Car tout Love Hina tient en cela : une série agréable et légère, conçue pour faire passer un bon moment. C’est une jolie boite avec une belle forme, de belles couleurs, mais creuse quand on en regarde l’intérieur.

par Baptiste R.
Article mis en ligne le 20 janvier 2005

[1] volume 14, supplément final


 Mangaka : Amakastu Ken
 Editeur France : Pika
 Editeur Japon : Kodansha
 Magazine de prépublication : Weekly shonen magazine
 Genre : shônen sentimental
 Série terminée au quatorzième volume.

l’auteur a débuté après Love Hina une nouvelle série, Magister Negi.A noter qu’une de ses oeuvres précédentes, AI Non Stop, est en cours d’édition (deux volumes à ce jours) chez Glénat.

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