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Le roman gothique

 

Le roman gothique

Le surnaturel à l’encontre de la Raison

Esotérique, puisant dans les mythes de Faust, de Prométhée, du Juif errant et dans de multiples thématiques infernales, le roman gothique, ou roman noir, s’épanouit en Angleterre en réaction aux romans réalistes et mesurés du dix-huitième siècle. À cheval entre la contre-culture pré-romantique et le romantisme du dix-neuvième siècle, ce genre littéraire ouvre de nombreuses perspective, et contribue à construire une esthétique de l’effroi par le surnaturel, qui se perpétue jusqu’à l’époque contemporaine... parfois dans d’autres formes que la littérature.


Raison triomphante contre imaginaire débridé

Roman noir, "terrifiant", ou encore gothique : autant d’adjectifs qui définissent une mouvance qui s’incarne dans un genre littéraire délicat à cerner. Son unité s’affirme dans un point que le français ne permet pas de relever. Dans la langue anglaise, le terme "novel" (traduit par roman en français) pointerait un récit d’évènements réels qui ne s’éloigneraient pas du quotidien, alors que le "roman noir" s’affirme comme oeuvre d’imagination, romance, récit de chevalerie et d’aventures. À l’intersection de ces courant s’opposent la littérature des grands romans "réalistes" du dix-huitième siècle (T. Smollett, Ferdinand Count Fathom (1753) ) et le romantisme naissant.

(JPEG)Le roman noir puise son inspiration dans le Moyen-Âge et la littérature médiévale. Par ce retour à un passé magnifié, le roman noir devient un moyen de s’affirmer contre la société contemporaine, par une valorisation des valeurs de l’imagination, étouffées par ce dix-huitième siècle, surnommé à si juste titre "siècle de la raison".

Considéré comme une littérature de femmes, ce qui n’est guère valorisant dans le contexte, le roman noir est brocardé malgré son succès. En 1798, dans Northanger Abbey (publié en 1817), Jane Austen se moque de cette mode. C’est une littérature d’évasion, de contestation, qui présente toute les caractéristiques de ce que nous appelerions aujourd’hui une contre-culture. On peut délimiter l’essor du genre entre la publication, en 1764, du Château d’Otrante de Horace Walpole, et celles de Frankenstein de Mary Shelley publié en 1818, et de Melmoth, de Charles Maturin en 1820. L’apogée du genre coïncide avec la publication du Moine de Gregory Lewis en 1796.

Le Château d’Otrante inove par l’utilisation dans une forme romanesque de thèmes jusqu’alors réservés à la poésie. On passe successivement d’une littérature aristocratique, à une littérature bourgeoise, puis franchement populaire. Il est impossible de discriminer dans la masse foisonnante des productions du roman gothique d’alors. À ceci près qu’il profite alors de l’engouement qui se manifeste en décoration et en architecture pour le gothique au sein de la bourgeoisie britannique.

L’invocation des puissances infernales

Cependant, dans ces différents romans, c’est moins le décor gothique qui importe. Le Frankenstein de Shelley ou le Melmoth ont abandonné les souterrains, les ruines et autres antres poussiéreuses. Cette distanciation permet de mieux comprendre que ce sont les sentiments qui sont liés aux atmosphères de ces places et à leur influence sur les sentiments du lecteur qui sont importants dans le roman gothique. (JPEG)C’est au visage gothique de l’âme, sombre, ravagé, barbare, hanté par la pulsion primitive que cette littérature d’émtions fait appel. La peur, le mystère, l’agression sadique et même la mort sont omniprésents. Il est question de chantages, de machinations, de perversions et d’autres choses sordides, qui se dévoilent sous le jour d’une inquiétante étrangeté, voulue au plus près des désirs et peurs secrètes de l’humanité.

« C’est seulement, écrit André Breton, à l’approche du fantastique, en ce point où la raison humaine perd son contrôle, qu’a toutes chances de se traduire l’émotion la plus profonde de l’être ; émotion [...] qui n’a d’autre issue que de répondre à la sollicitation éternelle des symboles et des mythes. »

Les grandes figures mythiques vont alors incarner les préoccupations de cette littérature à la fois sombre et trucculente : Faust, Prométhée, Satan, les moines corrompus ou encore le Juif errant sont autant de visages que se donne le roman gothique. La question centrale est finalement celle du Mal. Alors que le dix-huitième est le siècle de la raison, la place du mal est délicate à expliquer : comment l’homme de raison peut-il en venir au Mal ? L’absolu contenu dans cette notion, et la fascination qu’il exerce échappe de facto à tout filtre d’analyse rationnelle. Le Mal est une transcendance qui ne se conçoit pas, mais s’impose. Aussi il transpire de cette littérature d’émotions, qui puise dans le surnaturel les moyens de l’interroger, et de s’appuyer sur lui pour secouer et contester le monde équilibré qui fait la surface des sociétés mises en scène dans ces romans, reflets de ce dix-huitième siècle de la mesure. C’est le souffle, l’élan, qui se réveillent et secouent la gangue d’un monde trop règlé.

À l’écart de la civilisation, grands sentiments, passions et héroïsme

"Levez-vous, orages désirés !" fait dire Châteaubriand dans Atala. Le romantisme est déjà en germe dans le roman noir.

Il vient hanter des lieux à l’écart de la civilisation, où la nature détient tous les pouvoirs. Les héros fuient leurs semblables pout toutes sortes des raisons. Le roman noir vient visiter les forêts, les montagnes, les cavernes et les landes désertes. S’il fréquente la ville, il a tôt fait d’y trouver un monastère, ou un souterrain où s’isoler. Il privilégie la situation qui met en regard l’individu avec la création. Celle-ci est alors un écho à ses peurs et ses phantasmes. Elle devient avec le romantisme l’écho du souffle et du désir qui l’habitent.

Ce decorum, ces atmosphères, qui constituaient finalement la couche superficielle du roman noir, son apparat accessoire - écarté avec justesse par Frankenstein ou Melmoth, quoi que pas totalement non plus... - sont justement les ornements qui conduisent aujourd’hui à une fascination nouvelle pour les thématiques et costumes du gothique. Loin de la caricature des faces crayeuses ornementées de lèvres, d’ongles et de cheveux noirs, un certain nombre de fictions ont su rescussiter aujourd’hui le genre. Dans ses atours, certes, si envoutants, mais également dans son interrogation primordiale sur le rapport entre l’homme et le Mal, incarné par différents avatars.

Un héritage légué à la culture : de la contestation de la culture dominante à l’inspiration

Dans le cheminement vers la littérature fantastique, les successeurs du roman noir se sont présentés que tard. L’influence du roman noir, directe sur Charles Nodier, est plus diffuse sur divers écrivains, poètes ou peintres.

Limiter le roman noir à ce demi-siècle qui marque le passage du culte de la raison au romantisme, serait le condamner à n’être plus qu’une passion annecdotique, objet de curiosité sans plus. Or, si on peut constater le caractère daté de ces textes, qui leur laisse peu de place dans les sensibilités littéraires contemporaines, voire qui peut prêter à sourire, limiter le roman gothique à ce moment de l’histoire serait négliger le vaste courant culturel, artisitique autant que littéraire, que constitue l’effondrement du monde féodal, au travers duquel on voit l’imaginaire s’épanouir et trouver de nombreuses voies.

La littérature fantastique, qui joue sur l’horreur, et bien souvent sur la présence du Mal tapi, qui rôde, du Horla à Lovecraft, tire une partie de ses racines de l’interrogation fondamentale du roman gothique sur la place du Mal. Cette fois-ci, il n’est plus incarné par les grandes icônes de mythes bien identifié, mais sourd, ou s’invente des formes indistinctes. Cependant, c’est bien toujours une interrogation sur l’humanité face au Mal, absolue corruption qui atteint directement la santé ou la chair, qui est en oeuvre. Mais la littérature s’est aussi parfois emparée du roman gothique, oripeaux compris, par exemple avec les romans de vampires chers à Anne Rice.

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La série Buffy contre les vampires est l’exemple parfait d’une transposition de l’esthétique du roman noir dans le champ télévisuel. On y retrouve la thématique de la jeune fille environnée par les forces ténébreuses, l’invasion du surnaturel et de l’occulte, la confrontation au Mal sous ses diverses formes, y compris jusqu’à sa pure essence (La Force de la dernière saison) ou son intimité (Buffy passe au moins autant de temps à combattre ses dépressions chroniques que ses ennemis). C’est aussi l’occasion d’une confrontation symbolique entre un personnage anglais, le professeur Gilles, rationnel et feutré, et toute la violence de sa protégée, fougueuse, passionnée et cyclothimique, Buffy. S’il ne s’agissait d’une série américaine, et donc forcément simpliste et faite par des gens dépourvus de culture classique, on jurerait qu’il y a là un clin d’oeil...

par Pierre Raphaël
Article mis en ligne le 16 mars 2005

Pour en savoir plus :

- Encyclopaedia universalis, version CD-ROM, entrée Roman noir.
- Préface du volume de la collection Bouquins consacrée au roman gohtique.

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