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Saint Seiya : à la rencontre du mythe

Venus des quatre coins du monde, ils possédaient la force et le courage. De leurs mains ils pouvaient fendre le ciel, de leurs pieds ils entrouvraient la terre. Aujourd’hui encore, lorsque les forces du mal surgissent, réapparaissent les chevaliers de l’espoir. Leur nom ne figure plus dans la mythologie, mais ils sont à tout jamais les chevaliers d’Athéna... Tout commence en Grèce, sous le ciel étoilé de l’Acropole, deux touristes japonais entendent soudain une puissante déflagration. A quelques pas de là, un jeune garçon du nom de Seiya est en train de subir une mystérieuse initiation afin de se préparer pour le duel auquel il doit participer le lendemain.


Série culte entre toutes, qui connaît aujourd’hui un renouveau de grande ampleur, Saint Seiya est un pilier de la japanime et du manga. Les héros issus de l’imaginaire riche de Kurumada ne finissent pas d’enthousiasmer et de fasciner, du Japon à la France. On esquissera ici un rapide panorama des univers qui composent la constellation Saint Seiya, du manga aux anime, en passant par l’évocation des musiques magnifiques de Yokohama Seiji, ou encore par une exploration rapide des thèmes et influences qui structurent cet univers.

Kurumada Masami, démiurge

(JPEG)Auteur cultivé, Kurumada lit Heine, et connaît Dante aussi bien que la mythologie grecque. C’est en 1985 qu’il débute Saint Seiya dans le Shônen Jump. Ses qualités de dessinateur sont plutôt médiocres. Mais elles sont compensées par son sens de la mise en page, qui permet de mettre en valeur l’atmosphère dramatique et sublimée baignant la série. Ses décors, constellations et temples, associés aux armures rutilantes des saints, donnent à ses planches une rigidité de bon ton, face à ses approximations dans les proportions... et son incapacité à dessiner les visages autrement que de trois-quarts, la plupart du temps.

La principale qualité de Saint Seiya ne vient donc pas de son dessin, mais plutôt d’un scénario qui s’appuie sur la mythologie grecque, et qui s’avère d’une minutieuse rigueur. Saint Seiya est composé pour permettre de magnifier l’esprit du nekketsu [1], thème caractéristique du shônen manga [2]. La série n’oublie pas de dévoiler peu à peu un univers riche, avec ses enjeux de pouvoir et ses mystères.

Alors que Kurumada avait prévu que son manga devait s’étaler au-delà de l’Hadès, dans un ultime chapitre opposant les saints d’Athéna à Zeus en personne, la saga fut frappée par la lassitude du public. La partie Hadès est écourtée, pour ne pas dire bâclée, et termine définitivement le manga. Cependant, aujourd’hui, la série connaît un regain d’intérêt, avec la publication de Saint Seiya G, un shônen d’Okada Megumu (Niraikanai) dont la traduction en France a débuté chez Génération Comics.

La mise en mouvement de la fresque

(JPEG)Pris dans leurs armures rutilantes, les saints peuvent apparaître parfois statiques, en particulier dans les premiers volumes. Leur passage sur le support celluloïde dès 1986 va faire évoluer l’univers de Kurumada. En effet, l’anime s’enrichit de nombreux épisodes ajoutés, mais également d’une partie toute entière à Asgard. En outre, plusieurs films vont voir le jour à côté de la série. Toutefois, il s’avère que le manga n’a pas été entièrement porté à l’écran, puisque l’ultime chapitre, Hadès, est simplement en cours d’adaptation en OAV, et cela depuis 2003 seulement, alors que la série TV s’achevait en 1989 au terme de 114 épisodes, et d’un terrible combat contre Poséidon.

Le manga de Kurumada est remarquable pour son scénario rigoureux, et pour des dessins que l’on qualifiera, avec réserve, de particuliers... Alors que la série TV, elle, se distingue par un scénario parfois brouillon, et alourdi de nombreux kystes inutiles. A ces bafouillis, la version française conjugue un doublage effectué dans l’urgence, sans véritable attention à l’original, et qui rend certains passages totalement grotesques. En raison du graphisme androgyne de plusieurs personnages, on remarque même que des saints masculins sont doublés par des doubleuses (Shûn d’Andromède) alors qu’il est bien précisé, dès les premiers épisodes, que les femmes ont le visage recouvert par un masque !

(JPEG)Longtemps développée avec une qualité inégale, la série TV passe au niveau supérieur avec le début d’Asgard. A ce moment là, Saint Seiya est au comble de sa popularité. Dès lors, les responsables d’épisodes massacrés de la période sanctuaire (combat d’Ikki contre les disciples de Shaka, ou une partie du combat entre Hyoga et Milo du Scorpion) sont évacués de l’équipe de production. C’est la patte d’Araki Shingo qui s’affirme, et voilà ce nom relié pour l’éternité aux silhouettes élancées jusqu’à l’ambiguïté des saints d’Athéna. Associé à Himeno Michi, il utilise certaines déformations pour rendre sensible la violence infligée par certaines attaques. Araki est un character designer remarquable, qui a travaillé en particulier sur Albator 84, Lady Oscar ou encore Ulysse 31. Il travaille actuellement sur l’adaptation en animé de Ring ni Kakero, un autre manga de Kurumada, après avoir dessiné le Junikyû Hen, première partie de l’adaptation d’Hadès en OAV.

(JPEG)Cette mise en mouvement ne pouvait s’effectuer sans être portée par une musique adéquate. Ce fut l’œuvre de Yokohama Seiji. La bande-son qu’il a composée pour Saint Seiya est d’une grande richesse. Elle parvient à saisir l’essence du nekketsu, alternant les passages de bravoure, puissants, et les mélodies mélancoliques qui accompagnent les moments de réminiscences, ou de sacrifices à la cause d’Athéna. Tout le génie de Yokohama se libère lorsqu’il travaille sur les épisodes nordiques de Saint Seiya : la Grande Guerre des Dieux, ou Asgard. Ses musiques mélangées à des chœurs slaves mettent en valeur les paysages gelés et mélancoliques de Scandinavie.

Quant au générique original de la série, bien loin de la franchouillarde rengaine de Bernard Minet, il est l’œuvre du groupe Make Up, et affirme une tonalité pop-rock dynamique du meilleur effet. Il a d’ailleurs été intégralement repris dans les génériques des OAV du Junikyû Hen, bien que précédé d’un morceau beaucoup plus mélancolique, dans la tonalité de cette nouvelle adaptation de l’univers de Kurumada.

Un shônen conçu avec minutie et bien plus de subtilité qu’il n’y paraît...

(JPEG)Les protagonistes de Saint Seiya, s’ils ont été fixés sous les traits d’adolescents d’une vingtaine d’année, ont à l’origine 13 ou 14 ans pour les héros, et de 18 à 20 ans pour la plupart des saints d’or. Mais ce shônen joue sur un registre tout autre pour parvenir à enthousiasmer ses lecteurs. Kurumada ne s’est pas contenté de choisir des héros auxquels ses lecteurs puissent s’identifier. Il utilise le procédé symbolique du conte de fée [3] pour que les situations auxquelles les héros se trouvent confrontés réveillent de puissants échos dans l’inconscient et l’imaginaire du jeune lecteur.

Ainsi, on remarque que les héros sont des gamins, qui se battent contre leurs aînés ayant déjà un pied dans le monde adulte. Ils sont à l’âge où l’on s’entend dire "Ce n’est pas de ton âge, fais ce que l’on te dit, tu comprendras plus tard." Et les saints d’Athéna s’entendent dire de telles choses, ou se font regarder de haut à plusieurs reprises, que ce soit par Tatsumi ou les saints d’or. Mais ils ont au fond d’eux leur foi inébranlable en Athéna, qui ressemble à s’y méprendre à la foi aveugle qu’un enfant nourrit généralement pour la vision rêvée du monde qu’il entretient... et dont il se défait peu à peu au cours de l’adolescence... âge où il lit Saint Seiya !

Pour lutter contre ce désenchantement du monde, les saints d’Athéna forment une fine équipe. Calqués sur les sentaï [4], les saints d’Athéna ont chacun une couleur (bien plus visible dans l’anime, évidemment), et sont assortis à un signe zodiacal. En outre, dans un monde normal, ils sont dotés de pouvoirs surhumains pour combattre le mal. Ils réalisent l’un des fantasmes courants de la jeune adolescence, dans la mesure où ils sont exceptionnels, et se démarquent de la masse du reste du genre humain.

Outre les sentaï, on peut recenser deux influences nourrissant Saint Seiya :

(JPEG)Le thème de l’amour courtois. [5] Le chevalier y est dévoué à sa dame. Celle-ci est mariée à un autre, donc il ne peut la posséder charnellement. Pour se montrer digne d’elle, il accomplit toutes sortes d’épreuves qualifiantes, qui lui font atteindre une sorte d’extase, appelée "joie", ou "joy". De cet itinéraire mystico-amoureux, on peut retrouver les principaux éléments dans la relation qui unit les saints à Athéna, et en particulier Seiya à Athéna.

Il ne saurait y avoir de relations charnelles entre la déesse et les siens, pour la bonne raison qu’elle est Athéna la déesse vierge. De plus, de telles relations cadreraient mal avec l’univers de Saint Seiya. Cela dit, il est visible que Seiya et Saori ont une relation ambiguë. Ce qui est caricatural dans l’anime est tout de même manifeste dans le manga. Et pour sa déesse/dame, le saint de Pégase se montre capable de surmonter les épreuves qualifiantes (en l’occurrence des combats divers et variés) qui le conduisent à une exaltation supérieure : l’éveil au septième sens qui lui permet de triompher pour sauver sa dame. On retrouve donc dans Saint Seiya de nombreux éléments de la littérature courtoise, qui s’avèrent se mélanger à merveille avec des composantes du nekketsu.

L’autre influence est celle de la mythologie grecque. Celle-ci joue comme un thème universel, mais il faut toutefois noter qu’au Japon, elle est avant tout exotique. Donc elle ne peut apporter à Saint Seiya l’aura de respectabilité qu’elle transporte avec elle pour nous. Toujours est-il que ce décorum mythologique donne à la série des atours inattendus et originaux. Sans s’imprégner pour autant de la pensée grecque, Saint Seiya en introduit toutefois certains thèmes importants. Le manga conserve une grande cohérence esthétique par rapport à la mythologie, à laquelle il emprunte non seulement des noms et des décors, mais encore des légendes entières. Kurumada fait preuve d’une très bonne connaissance de cette matière, ce qui ne lasse pas de ravir son lecteur.

(JPEG)On peut aussi recenser d’autres influences qui imprègnent la saga, de la mythologie scandinave à Dante, et il en sera question dans ce dossier.

Univers polymorphe, décliné du papier au celluloïde, en passant par les jeux vidéos et les jeux de rôle, Saint Seiya est l’un de ces mythes qui ornent le paysage du manga et de la japanimation, comme peuvent l’être Lodoss, ou encore Dragon Ball. Pour nous, lecteurs occidentaux, il présente le grand intérêt des emprunts que la série fait à des matières importantes de notre imaginaire et de notre culture.

Avancez donc à la rencontre du mythe...


Quelques références :

 Dictionnaire de la mythologie grecque et latine, Pierre Grimal, PUF
 Cyna, site extrêment riche d’articles et de ressources consacrés à Saint Seiya.
 SaintSeiya.com, un site dédié à l’univers de Saint Seiya qui propose beaucoup de contenus, ainsi que des fanfics.
 Le dossier Kana dédié à Saint Seiya.


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par Pierre Raphaël
Article mis en ligne le 19 juin 2006

[1] nekketsu : littéralement "sang bouillant", se caractérise par le sacrifice au groupe, l’amitié exaltée et la volonté de repousser ses limites

[2] bien qu’il ne soit pas exclusivement relié au shônen, puisqu’on trouve du seinen nekketsu également avec Say Hello to Black Jack, ou Berserk par exemple

[3] voir de Bruno Bettelheim, La psychanalyse du conte de fée

[4] sentaï : groupe de héros, associés chacun à une couleur et/ou un symbole. Les séries Bioman et autres Power Rangers en sont caractéristiques

[5] l’amour courtois, ou amour de cour, est développé dans la littérature médiévale. On retiendra en particulier Le Chevalier à la charrette de Chrétien de Troyes comme œuvre caractéristique du genre.


- mangaka : Kurmada Masami
- mangashi : Shônen Jump (1985)
- nombre de volumes : 28 volumes, traduits en français et publiés par Kana.

Anime :

- Production : Toei Animation
- Principaux membres du staff : Araki Shingo et Himeno Michi pour le charcter design et l’animation. Yokohama Seiji pour les bandes-son.

Série TV : 114 épisodes (1986-1989)
- Sanctuaire 1-73
- Asgard 74-99
- Poséidon 100-114

OAV : Hadès (2003)
- 13 OAV (Junikyû Hen)

- Fims : 5 films, dont 4 sont disponibles en France en VHS et DVD, à savoir Eris, la Grande Guerre des Dieux, Abel et Lucifer. Le cinquième film, le Tenkaï Hen est sorti au Japon en février 2004.

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