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Berserk

Fantasy mêlée de carnage et de fatum

Berserk est un manga de Miura Kentaro. Il est d’une rare violence, et multiplie les mêlées sanglantes en pleines pages. Mais, de surcroît, il se déroule dans un univers malsain, où les êtres humains sont pétris des plus sordides instincts. Ce n’est donc pas pour rien que le manga est distribué sous célophane avec la mention "réservé aux adultes" car il contient à la fois des images et des idées susceptibles de choquer. Ami lecteur, te voici mis en garde !


L’histoire est celle d’un enfant qui est né d’un cadavre. Une femme, concubine d’un mercenaire qui conduit sa bande à travers les champs de bataille, le recueille pour remplacer celui qu’elle vient de perdre. Le jeune Guts grandit dans un monde médiéval très peu fantastique. La guerre ravage le pays, et les bandes de mercenaires louent leurs services aux nobles. Dans d’interminables boucheries, chacun risque sa vie pour quelques piecettes. Guts, parrainé par Gambino, grandit dans ce monde, où il apprend à manier l’épée, et à survivre sur le champ de bataille plus qu’à se battre. Ce n’est que le début d’un long parcours, qui le conduira vers une destinée à la fois grandiose et terrifiante.

(JPEG)Pour en comprendre les aboutissants, il faut se rendre tout au début du manga, où Guts, adulte, borgne et manchot, combat avec une immense épée (ou plutôt un bloc de métal aiguisé, car il n’est plus séant de parler d’épée à partir d’une telle dimension !) et une arbalète à répétition ! Il est marqué sur le cou d’un sceau qui attire chaque nuit des démons. Ceux-ci cherchent à s’emparer de son corps, et il doit sans relâche les affronter. A présent baptisé "le chevalier noir", Guts est lancé dans une croisade sans merci contre les serviteurs de la main de Dieu. Son long combat est celui d’un homme qui cherche à infléchir le destin qui lui est imparti, lui qui est né d’un cadavre et qui jamais n’aurais dû vivre... et encore moins survivre à tant de batailles. Dans la frise dépeinte par Miura, il est l’élément de rebellion, qui résiste à la loi inertielle de la fatalité. Cette posture, classique du héros de Fantasy, est ici marquée par l’influence tragique. Si Gatts incarne la figure héroïque, il est avant tout un personnage tragique, véritable héros du genre.

Une histoire de la fin du monde ?

L’histoire se déroule dans un monde inspiré par une vision très particulière de la guerre de cent ans. Les nobles se livrent d’interminables guerres et recrutent des bandes de mercenaires pour y parvenir. Ces conflits incessants sont structurés par l’affrontement entre le royaume de Midland et celui de Tuda. La vie est faite de guerres, pillages, viols à répétition. Des êtres surnaturels peuplent aussi ce monde ; humains qui ont vendu leur âme pour devenir des démons, âmes défuntes, démons en peine, et autres êtres fantastiques à la force incroyable. L’univers de Berserk est tissé de la seule violence. C’est un Moyen-Age bien peu médiéval, mais très moyenageux, qui est proposé, peuplé d’obscurantisme, d’êtres corrompus et de misère. Dans cette vision, on retrouve, amplifiés, tous les poncifs sur les Moyen-Age comme période de barbarie et d’arrêt du progrès, sorte de "mort de l’histoire" dans l’attente d’une Renaissance. Comment en vouloir à l’auteur de développer cet univers caricatural quand il sert si bien son intrigue ? Et que nous avons sans doute une vision aussi déformée que la sienne sur bien des aspects de sa civilisation. Berserk n’est sûrement pas un manga historique. Cependant, il a sans doute l’immense qualité de parvenir à faire surgir un monde imprégné de l’esprit de l’an mil, taraudé par la menace de l’Apocalypse. Alors que beaucoup de mangas sont post-cataclysmiques (Evangelion, Scryed), celui-ci, comme X insiste dans un style très différent, sur les évènement qui annoncent l’avènement d’un monde nouveau à travers une Apocalypse. La logique est celle du Ragnarok, crépuscule des dieux du monde scandinave, dans lequel un nouveau monde ressurgit des cendres de celui qui vient de s’anéantir. Les choses changent pour s’inscrire dans un ordre nouveau qui lui aussi trouvera sa fin, il ne s’agit pas de l’avènement d’un monde révélé.

(JPEG)Peu à peu, l’histoire se détache des conflits de mercenaires dans lesquels Guts est engagé par l’intermédiaire de la bande des faucons, petite armée du général Griffith qu’il sert. Par l’intermédiaire d’un puissant Artefact magique, l’oeuf de l’empereur, Griffith parvient à invoquer des divinités démoniaques, connues sous le nom le la main de Dieu. Elles vont, alors que tout semble perdu pour Griffith, lui offrir une forme de divinité sous la forme de l’accomplissement de sa destinée : Griffith est né pour devenir le cinquième doigt de cette main. Pour parvenir à son ascension, dernière marche vers son rêve, Griffith sacrifie la bande des faucons aux démons. Afin de renier son humanité et de rejoindre la main de Dieu, il doit symboliquement renoncer à son âme, par l’offrande de ce qu’il a de plus cher. Alors seulement prend sens toute la longue construction qui s’était élaborée au cours de "l’Age d’or", marqué par l’épanouissement de la bande des faucons sous l’égide de Griffith. Toute l’ambition dévorante, et la relation ambiguë de Girffith avec les siens prend sens dans cette offrande. Il ne l’avait pas lui-même préméditée, mais elle se révèle totalement logique, comme un inévitable accomplissement du fatum. Les choses prennent la place qui leur est réservé depuis toujours, même si tous l’ignorent. La main de Dieu et ses divers serviteurs deviennent alors allégorie des cavaliers de l’apocalypse, et le monde, jusqu’ici cantonné à un conflit sordide, mais ô combien humain, alors sombre peu à peu dans une ère de fins des temps.

Mais alors que tout semble réglé par le destin, Guts refuse de se laisser soumettre. Comme il s’était rebiffé contre le charisme naturel de Griffith, ou toute forme de protection nobliaire que sa force aurait pu lui attirer, il se révolte contre le destin que les dieux semblent avoir - à quelques exceptions près - choisi pour lui.

Gatts, héros tragique

(JPEG)Depuis son refus de se laisser tuer par les démons lors de l’ascension de Griffith, Guts porte sur son cou une marque rouge. Elle attire irrésistiblement, chaque nuit, les démons à sa poursuite. Son existence est une longue suite de combats infinis contre ces créatures qu’il doit massacrer inlassablement. La mort, dans ce contexte d’années de souffrances, apparaîtrait presque comme enviable, véritable délivrance. Seulement, depuis un jour de son enfance, alors qu’il arrivait déjà l’amer constat qu’il avait tout perdu - il venait de tuer son père adoptif - blessé et attaqué par une meute de loups, Guts a fait l’expérience de sa volonté de vivre. Elle rugit si forte au fond de lui, qu’il maniera ensuite sans cesse son épée pour rester en vie. Loups ou démons, son combat reste le même. Il continue à se battre, car comme il aime à le répéter "lorsque je manie mon épée, je ne pense à rien." Cette légerté, presque inconsciente, lui permet de ne pas mesure l’ampleure de sa témérité, et sa varitable hubris qui naît dans son refus d’accepter le destin dont il a été marqué au cou. Miura maîtrise parfaitement les arcanes du tragique classique, puisque de Zodd l’immortel, sorte de démon surpuissant, Gatts avait reçu la prédiction qu’il trouverait la mort lors de l’ascension de Griffith, et pourtant, il y a échappé. L’homme qui refuse la loi qui vient de la bouche de ceux qui voient à livre ouvert dans le destin, c’est celui qui défie la volonté divine et l’équilibre du monde par orgueil. Et cela correspond à merveille à Guts.

Cet homme, balloté dans un monde millénariste, où les dieux maléfiques parcourent le monde, comme les annonciateurs de l’Apocalypse, inspire la pitié, mais aussi la terreur. Pitié, car son indéniable volonté, son courage, sa noblesse d’esprit font de lui un héros à la belle prestance. Mais attention à ne pas se méprendre : l’homme est rugueux et brusque, frustre même. Rendu cynique par son destin, il devient par là-même attachant. Il n’est pas de ces surhommes qui défient le destin sans y laisser de plumes. Chacune de ses actions laisse dans sa chair, et surtout dans son âme, de profondes cicatrices. Il est aussi objet de terreur : gigantesque guerrier, capable de manier d’une main une épée que d’autres ne pourraient soulever avec les deux, il (dé)coupe allègrement ses ennemis. La mort ne lui pose plus d’inquiétudes, car même s’il repousse les limites de la sienne, il ne la craint pas. Terreur et pitié sont d’ailleurs les sentiments qu’il inspire aux compagnons de voyage qu’il trouve sur sa route une fois marqué par les démons. Quelles que soient leurs motivations pour suivre Guts, ses compagnons d’un jour ou de quelques semaines, sont tous distants de lui. Il y a entre lui et le commun des mortels une barrière qui ne peut être franchie. Elle se matérialise au premier abord par le rapport de force, car Gatts est devenu, à force de combats, une machine à tuer. Mais elle se lit aussi dans les attitudes : taciturne et peu communicatifs, Gatts reste à l’écart des autres. Cette vision du personnage apparaît une fois qu’est révolue l’ascension de Griffith, évènement fondateur de ce destin tragique.

(JPEG)La relation qu’il entretient avec Caska, héroïne de l’histoire, est symbolique de cette rupture entre Guts et le commun des mortels. Au temps de "l’Age d’or" leur relation s’épanouit, des rivalités et chamailleries des combattants rivaux, vers une relation amoureuse. Même si elle se développe dans l’ombre des relations étranges que chacun nourrit avec Griffith, l’amour qui lie Guts à Caska résonne comme une tonalité salvatrice - voire rédemptrice - dans un monde dominé par les instincts sordides et barbares de l’humanité. Contre l’inconscient malsain qui fait office de pain quotidien de cet univers, la relation entre Guts et Caska apporte une appaisante touche de sentiments qui soudain n’effraient plus le lecteur, mais le réconfortent. La première scène d’amour entre les deux héros n’est pas un vulgaire passage de voyeurisme, comme la représentation presque intérgrale de leur coït pourrait le laisser croire. La violence qui s’immisce dans leurs rapports, les souvenirs douloureux de Guts, inscrits dans son corps et soudain ravivés, montrent à quel point le monde hostile et malsain est omniprésent. Pourtant par le dialogue et la confiance - si étrange que ces sentiments puissent paraître chez des êtres comme Guts - leurs permettent de se retrouver et de gagner une affinité nouvelle et plus profonde. Miura dans cette scène parvient, au travers d’une situation on ne peut plus éloignée de notre réalité, à introduire une image forte, et une intensité de sentiment qui aspirent le lecteur dans l’oeuvre. Cependant, lors de l’ascension de Griffith, Caska, si elle survit, est durablement traumatisée et touchée. Elle aussi reçoit la marque des démons. Elle sombre alors dans la folie et l’amnésie, et Guts, malgré tous ses efforts, ne parvient pas à restaurer le lien prévilégié qu’il avait avec elle. Il devient alors véritablement ce chevalier noir, coupé du monde et enfermé dans sa croisade violente et sanglante. (JPEG)

Un dessin bigarré

Miura aime les silhouettes massives, les corps parfaitements équilibrés, et très musclés. Sa plume favorise l’expression des jeux de corps, très visible dans les scènes de sexe, qu’il s’agisse d’amour ou de viols, tout y est cru, réaliste ; les corps ne mentent pas, exprimant le plaisir ou la douleur. Les orgies, où les corps sont mêlés, deviennent le contre-point des batailles qui sont d’inextricables mélanges de corps et d’armes. Dans les combats, les armures ont généralement des apparences étranges. La thématique est souvent animale, avec des casques qui se muent en masques animaliers d’acier, qui seraient comiques dans un contexte de moins de violence. Les formes des armures sont biscornues, et ne sont pas sans évoquer les barroques gargouilles des cathédrales médiévales. Les armes sont aussi dépareillées, certaines purement historiques, d’autres pour le moins fantaisistes comme l’arbalète à répétition de Guts.

La figure de Griffith est particulièrement intéressante. Il contraste avec Guts, qui est l’un de ces innombrables héros de mangas bruns dont la volonté est invincible. Girffith est un être raffiné, de culture. Son armure est ciselée, sont épée élégante. Il s’abîme dans l’étude des livres, connaît les prophéties, et domine aussi bien la stratégie sur le champ de bataille que la politique des cours royales. Son visage aux traits fins, encadré par une longue chevelure ondoyante, est celui d’un archange de vitrail. La parenté esthétique est d’ailleurs assumée par Miura, par le truchenement de Caska qui avoue avoir cru que l’ange de son église était venu à son secours la première fois qu’elle a vu Griffith.

(JPEG)Mais cette finesse, cette beauté presque outrageante en regard de la laideur du monde qui l’entourre, cache finalement l’âme la plus noire qui soit. Miura refuse la voie de l’alliance entre la beauté et la bonté. Cet être si parfait et doué est finalement retors, et c’est l’individu grossier et balourd, qui cache au fond de lui une authenticité et un coeur véritable. Griffith est l’anti-Guts, et c’est cette radicale opposition qui d’abord les rapproche, puis rend la haine de Guts si vive. Pourtant, la figure de Griffith, si elle est condamnable au regard de la morale judeo-chrétienne classique, n’est pas complètement noire. Miura le montre bien, en soulignant l’ambivalence du personnage dans un dessin qui le montre tantôt démon, tantôt enfant et rieur. Griffith veut accomplir son rêve, mais son amour pour ses compagnons est réel, il n’est pas manipulateur, ni méchant. Il est l’individu qui voit la fin et regarde peu aux moyens. Guts n’est pas capable de s’abstraire de l’immédiat, il lui manque la vision d’ensemble et le dessein.

Le dessin bigarré de Miura, qui alterne le plus grand réalisme, dans la percpetion des corps, ou des visages, avec le baroque grondant des armures, des démons et de son univers grandiloquent, est à l’image de la relation entre Griffith et Guts, qui sont les inséparables faces d’une même pièce de monaie, Ying et Yang indisociables.


Du long périple pour éditer Berserk en France...

La série fut tout d’abord publiée par Samuraï, éditeur éphémère, issu d’une grande librairie parisienne. La publication de Berserk fut réalisée sans avoir au péalable acheté les droits aurpès de l’éditeur japonais. L’affaire tourna donc court au bout d’un ou deux volumes.

Ensuite, la série fut reprise par Dynamics, qui a publié 6 volumes. Cet éditeur a été fortement critiqué pour avoir publié la série en sens de lecture occidental.

Après un long marathon, au cours duquel on a longtemps cru que Tonkam tenait la corde, c’est finalement Glénat qui a négocié les droits pour la publication de cette série. Glénat a annoncé qu’il commencerait à publier la série depuis le volume 1, à compter de septembre 2004. Le rythme des sorties sera mensuel jusqu’au volume 6, puis de tous les deux mois. L’attente du public est très important pour cette série, aussi Glénat a annoncé qu’elle serait publiée en format bunkô conformément à la publication japonaise, et que le sens de lecture original serait conservé.

Au cours de cet odyssée, il faut mentionner le rôle qu’ont joué les team de scanlation. Jusqu’à la publication par Dynamic, Iscariote a commencé une traduction française. Celle-ci devenue indisponible, les passionnés lassés d’attendre la suite de cette série suivent les diverses traductions en anglais que l’on peut trouver sur internet. Rarement une série a été aussi populaire avant même d’être publiée en français !


Je remercie les intervenants du forum mangaverse qui m’ont permis de mettre à jour le passé éditorial de Berserk, en particulier pour ce qui concerne Samuraï

Consulter ce très riche site sur l’univers de Berserk : Berserkfrance

par Pierre Raphaël
Article mis en ligne le 30 mai 2004 (réédition)
Publication originale 23 octobre 2003


 Mangaka : Miura Kentarô
 Editeur (France) : Glénat
 Nombre de volumes : la publication japonaise est entre le 27e et le 28e, la série n’est pas achevée.

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