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Twentynine Palms, de Bruno Dumont

Après les controversés La Vie de Jésus et L’Humanité, Bruno Dumont revient avec un troisième long-métrage qui ne devrait pas le réconcilier avec le grand public. Boudé par Cannes, hué à Venise, Twentynine Palms continue de creuser le sillon d’un cinéma viscéral, qui accroche ou exaspère, c’est selon.


(JPEG)Certains cinéastes ont à cœur de ne pas laisser leurs spectateurs indifférents. Bruno Dumont fait indéniablement partie de cette catégorie d’artistes. Avec son troisième long-métrage, Twentynine Palms, le réalisateur change de cadre. Fini le Nord et les acteurs non-professionnels, nous voilà plongés dans les grands espaces californiens en compagnie d’un couple improbable, Daniel (David Wissak, dont c’est ici le troisième film) et Christine (Katia Golubeva, déjà aperçue dans J’ai pas sommeil de Claire Denis et Pola X de Leos Carax). Le but de leur voyage n’est pas très explicite. Twentynine Palms se joue davantage dans les silences, les cris et les soupirs que dans les quelques mots échangés par les deux personnages. Pour son troisième film, Bruno Dumont a poussé très loin le refus de tout intellectualisme. Tout passe ici par les corps des deux comédiens et leurs expressions. Le cinéma de Bruno Dumont se fait de plus en plus brut et sauvage, à l’image des personnages qui l’habitent. Pour apprécier Twentynine Palms, il ne faut pas s’attendre à plus d’explications. Aucun sens ne nous sera donné au final pour nous rassurer ou nous conforter. Il faut prendre les images comme elles nous viennent. Une telle posture n’est pas sans générer quelques moments d’ennuis. Ceux-ci sont, pour le moment, le prix à payer pour jouir de la fascination que peut provoquer le cinéma de Bruno Dumont.

(JPEG)Twentynine Palms instaure une structure minimaliste : un couple perdu dans de grands espaces. A partir de là, le film se déploie comme une expérience. Les plans durent plus que de coutume, souvent fixes, mobiles quand il faut accompagner certains déplacements des personnages. La mise en scène, portée par une excellente utilisation du format Scope, crée une ambiance hypnotique. Le scénario ne cherche pas à multiplier les entraves extérieures qui viendrait mettre les deux amants à l’épreuve. Au contraire, il laisse le vide s’installer autour des deux personnages pour mieux capter leur essence. Plutôt que de multiplier les actions, Twentynine Palms se consacre tout entier à l’exploration l’intégralité de la palette des sentiments et des comportements que peut faire naître une relation amoureuse. Le film évolue donc au gré d’infimes variations qui s’épanouissent dans la banalité des situations que vivent les personnages. A un moment de tendresse succède soudainement un accès de colère ou d’incompréhension. Les différentes relations sexuelles auxquelles s’adonnent Daniel et Christine, filmées de manière très explicites, en sont un excellent exemple. Certaines dénotent une réelle complicité, un échange intime alors qu’à d’autres moments, on sent la mise en place d’un rapport de force révélateur de pulsions plus bestiales et dangereuses. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le trajet que suivent les deux personnages n’a rien de linéaire. Ils reviennent constamment à la même chambre de motel, preuve que, s’ils se sont bien déplacés, ils n’ont pas pour autant avancé. Le film n’est clairement pas construit autour de l’idée d’une progression.

(JPEG)On aurait plutôt ici affaire à l’histoire d’une régression. Twentynine Palms est un voyage au cœur de l’intime. Plus le film progresse, plus les personnages se mettent à nu, dévoilent tour à tour leur beauté et leur laideur. Cette exploration d’un couple et du sentiment amoureux se veut plus largement celle de la nature humaine. L’individu apparaît ici comme la somme de sentiments contradictoires, une enveloppe de chair répondant à des pulsions plus ou moins avouables capable à la fois d’"hyper violence" et d’"hyper jouissance". Si rien ne vient contrarier la relation entre Daniel et Christine, celle-ci reste très fragile. Seule la beauté et l’immensité des espaces de l’Ouest américain viennent apporter par moment un peu d’apaisement à l’abîme insondable de leurs passions. Bruno Dumont et son directeur de la photographie Georges Lechaptois ont su parfaitement cadrer et mettre en valeur ce décor si particulier, au service de leur histoire. Ces paysages font écho à d’autres, tout aussi inquiétants (une scène fait explicitement référence au Duel de Spielberg). Les quelques espaces urbains désertés créent un climat trouble. Chaque apparition d’un personnage extérieur au couple est vécue par eux et par nous comme une violation de leur intimité. Cette ambiance un peu étrange nous prépare sans qu’on le sache à l’inattendu final cathartique où toutes les pulsions des personnages vont finalement être amenées à être exprimées. Si le film ne parvient pas à convaincre totalement, il confirme néanmoins le statut de Bruno Dumont aujourd’hui : il est bien l’une des voix les plus singulières du cinéma français.

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 22 septembre 2005 (réédition)
Publication originale 19 septembre 2003

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