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Voulez-vous vraiment lire Maîtres et Disciples de G. Steiner ?

Déception pour cet ouvrage du grand critique G. Steiner

George Steiner, longtemps professeur à l’Université de Genève, jouit d’un prestige certain dans le monde international des Lettres. Il n’en demeure pas moins que la lecture de son dernier ouvrage, Maîtres et disciples (en anglais, Lessons of the Master) est une déception, et même, oserai-je dire, une perte de temps.


Le livre prétend mener une réflexion autour de la question passionnante de « ce qui habilite un homme ou une femme à ‘enseigner’ à un autre être humain ». L’introduction, plutôt alléchante, met en place les bases d’une problématique. Dégageant les deux possibles de l’enseignement - « le dévoilement authentique d’un Logos révélé » ou « la seule vertu de l’exemple » -, Steiner semble nous promettre une analyse personnelle et érudite...

Et puis, plus rien ; ou plutôt si, des références, des exemples, des citations, à n’en plus finir. Les 170 pages du livre (introduction exclue) présentent le quadruple défaut de l’absence de plan, de l’obscurité la plus totale, de la subjectivité illégitime et du refus de penser.
- L’absence de plan car tout s’enchaîne sans aucune logique. Rien ne vient fonder la division en six chapitres aux titres aussi mystérieux qu’inutiles (un long passage sur Hesse et le Bildungsroman clôt ainsi le chapitre censé analyser la figure du maître en France...). Et à l’intérieur des chapitres une masse informe de texte, parfois séparée par quelque astérisque placé là pour on ne sait quelle raison. On saute du coq à l’âne à l’intérieur d’un seul et même paragraphe... Bref, tout ceci est fort déroutant pour l’esprit habitué à un propos construit et logique. Mais passons, sachant que les anglo-saxons apprennent une rédaction libre loin des contraintes organisationnelles de la dissertation.
- L’absence de clarté également - que l’absence de plan ne fait que renforcer - mais qui vient aussi d’un style pompeux et trouble (jusqu’à quel point la responsabilité du traducteur est-elle engagée ?). Mais surtout absence de clarté par la profusion logorrhéique de références. Il faudrait s’amuser à compter le nombre d’intellectuels que Steiner évoque dans ce texte (sur si peu de pages) ! Ce serait édifiant. Mais surtout, aucune de ces allusions n’est explicitée. Prétextant que ce n’est pas le lieu, ni son propos, Steiner se contente de citer un nom, un titre ou une anecdote savante, de développer de manière péremptoire, sans analyse ni explication ou justification, un discours sur une pensée... Passant sur tout, ne développant rien, Steiner ne tire aucune conclusion des auteurs qu’il invoque. A propos des maîtres asiatiques, d’écrire « Ignorant des langues, du contexte spirituel et communautaire, je ne puis qu’évoquer en passant ce qui demeure, sans nul doute, des banalités élémentaires et de seconde main ». Et de se lancer six longues pages sur le sujet où il ne brasse pas moins d’un vingtaine de références... Nulle part donc on ne trouve développée d’analyse sur tel ou tel auteur dont il serait possible de tirer un enseignement. Traiter de la pédagogie, de l’enseignement et être aussi a-pédagogique relève du tour de force !
- Quelle peut donc être l’intention d’un auteur, dont le seul but est d’accumuler les références. Et le pire est encore que ce tourbillon de citations est les plus souvent l’occasion pour Steiner de donner son avis sur tel ou tel penseur ou mouvement intellectuel, de juger de manière définitive, dans un vocabulaire sans nuance, qui a peu à voir avec celui du scientifique. Le ton fanzine serait-il donc en cours dans les cénacles érudits ? Les assertions de Steiner sur tel ou tel auteur n’intéressent personne.
- L’absence d’idée enfin. Ce qui a été évoqué ci-dessus, n’est-ce pas finalement que la résultante de l’absence totale de propos ? Un plan n’est que l’architecture d’une démonstration. Et de démonstration Steiner n’en a aucune ! Il n’a rien à dire, si ce n’est, nous semble-t-il parfois « regardez comme je suis savant, comme j’ai lu ; je mérite bien, moi aussi, le titre de Maître... ». Monument à sa propre gloire (souvenons-nous du titre anglais) ? Nous nous en serions bien passés ! Steiner ne pense pas, et pire, il se contente de sortir des énormités creuses et navrantes. On se contentera de citer le passage suivant, dans les dernières pages, c’est-à-dire placé avec ce que l’auteur veut qu’on retienne de lui : « Notre temps est celui de l’irrévérence. (...) L’encens s’élève, mais vers les athlètes et les pop stars, les assoiffés de fric et les rois du crime. » Il est déjà difficile de supporter ce genre de discours au journal télévisé. Le lire sous la plume de celui qui se proclame un intellectuel est outrageant ! G. Steiner pense sans doute que tout était mieux avant, dans les siècles passés ; mais quelle idée se fait-il donc des exigences intellectuelles de l’homme médiéval ou moderne ?

On ressort donc de la lecture de cet ouvrage frustré et indigné. Qu’un érudit avec son aura ait pu écrire une telle indigence. Parce que l’introduction promettait beaucoup

Steiner parle des mystères du maître et de ses côtés déroutant. Dieu veuille qu’il soit pour moi un maître volontairement obscur, que je trahis pour mieux le comprendre... Le temps me donnera peut-être tort et peut-être verrais-je un jour Maîtres et Disciples comme un ouvrage fondateur ! Dieu le veuille, mais j’en doute...

par Matthieu-Paul Ergo
Article mis en ligne le 8 mars 2004

Auteur : George Steiner

Editeur : Gallimard

Collection : nrf essais

Année : 2003

Pages : 186

Traduit de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat

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