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Tom Bombadil dans Le Seigneur des Anneaux

Interrogations autour de la figure du nain dans la littérature

Quand ils entrent dans la Vieille Forêt, les hobbits rencontrent un étrange personnage, Tom Bombadil, dont la place au sein de la trilogie n’est pas évidente. Beaucoup de lecteurs de Tolkien lui ont même reproché l’introduction de ce personnage, qui n’aurait pas sa place dans le récit.


(JPEG) Tom est une figure particulière à bien des égards. Il détonne dans les Terres du Milieu, dont les occupants sont pour la plupart rattachables à des espèces bien distinctes. Même des individus au statut très particulier, comme Gandalf, ou les Nazgûls se rattachent à un groupe, si restreint soit-il. Tom Bombadil, et sa compagne baie d’or, sont des êtres qui ne donnent aucun indice sur leur apparentement à une famille d’Arda. On pourrait objecter que Shelob, l’araignée géante de Cirith Ungol est aussi seule de son espèce. Cependant, le narrateur prend soin de la rattacher à sa lointaine et fameuse ancêtre. En outre, le lecteur de Tolkien peut aisément la lier à ses parentes de modeste taille qui hantent Mirkwood. Gollum est également rattaché aux hobbits par l’état qui est fait de son ascendance dans plusieurs récits. Il n’y a finalement guère que Sauron, maïa [1], qui apparaisse également de manière aussi démarquée. Il est certes un maïa, c’est à dire qu’il procède du même groupe que les Istari (Gandalf, Saroumane, Radgast), ou encore le Balrog mais de par son pouvoir, ses ambitions, son inscription dans les temps des Terres du Milieu, il se démarque totalement de ses congénères et peut être considéré comme une créature à part, dont le pouvoir navigue entre celui des Valar et celui des Istari. En tous les cas, nulle puissance n’est à sa hauteur dans les Terres du Milieu. Et ce n’est que par l’origine de l’Anneau qui lui permet de transcender sa nature première qu’il peut justement être mis à mal.

Or cet Anneau, dont le pouvoir permet à Sauron de défier jusqu’à la logique forte - importante dans le référentiel de Tolkien - du rattachement à une espèce, pour s’élever au-dessus de son état de maïa, s’avère sans effet sur un seul être dans cet univers : le vieux Tom Bombadil au fond de sa forêt. Cet évènement permet de relier ces deux êtres extrêmes que sont Sauron et Tom Bombadil. Bien des choses les opposent, cependant la logique du monde qu’ils habitent ne semble pas les affecter, faisant d’eux des êtres à part, que d’aucuns qualifieraient de dieux dans un référentiel différent de celui de Tolkien. [2]

L’aspect de Bombadil, et la sonorité de son nom, sont en contradiction avec l’étendue du pouvoir que ses actes laissent deviner. De petite taille, il est joyeux, et lors de leur rencontre avec lui, les hobbits entrevoient un luron bonnasse qui chantone... presque l’un des leurs. Si ce n’est qu’il se signale en matant le vieil homme saule... puis surtout en réduisant à rien le pouvoir de l’Anneau unique ! Tout d’abord, il est capable d’en maîtriser ses effets superficiels : Quand il le met à son doigt, il ne devient pas invisible. Et quand Frodon l’enfile à son tour, Tom peut toujours le voir : il n’est "pas encore aussi aveugle que ça" (La Communauté de l’Anneau). Ensuite, il arrive avec facilité à utiliser l’Anneau avec des objectifs pour lesquels il n’avait pas été créé par son concepteur, il arrive en effet à faire disparaître l’Anneau, à jouer avec lui, et surtout il ne redoute pas de le passer à son doigt, alors qu’il n’ignore rien du terrible artefact dont il s’agit. Or les puissants des Terres du Milieu que sont Elrond, Gandalf, Galadriel ou même Aragorn ont la sagesse de même pas vouloir effleurer l’Anneau par peur de le voir les corrompre.

Il est vain de conjecturer sur la signification réelle de Tom Bombadil, ou encore de déterminer exactement à quel groupe il peut vraisemblablemnt appartenir sur Arda. Des études sur le sujet ont déjà été faites, qui supposent qu’il peut être aussi bien un jouet de Christopher Tolkien, Tolkien lui-même qui se mettrait en abîme, ou encore le chef des Nazgûl... En revanche, il peut s’avérer fructueux d’essayer de soulever les différentes couches qui composent la figure originale et déconcertante de Tom Bombadil pour essayer de mieux comprendre comment son idée a pu germer et s’épanouir dans l’imaginaire fertile du professeur Tolkien.

À la recherche de Bombadil...

Ruth S. Noel dans la Mythology of Middle-Earth (pas de traduction), publié en 1977, remarque que Tom Bombadil est un personnage comparable à Puck ou à Pan : un dieu de la nature sous une forme diminuée, mi-humoristique, mi -divine. Cette ressemblance est soulignée par son caractère inconstant, qui fait que s’il est capable de sérieux (en présence de l’Anneau), il redevient vite léger. Et il ne sait guère agir que sur le monde bouffon, même lorsqu’il s’agit de se confronter aux dangers de la forêt ou des Galgals.

On retrouve dans Tom une autre figure mythologique essentielle : Héphaïstos. C’est le dieu inachevé, incomplet. L’explication en tient au mythe de son origine : pour se venger des infidélités de son époux et frère, Héra conçut alors un fils qu’elle eut sans le secours d’un homme. Zeus apprit cet acte abominable - selon les standards de l’Olympe - et précipite cet être répugnant du haut de l’Olympe. Héphaïstos devient alors boîteux et bossu suite au choc, et il doit vivre de longues années cachée par Thétis dans les cavernes sous-marines. [3] Plus tard vint la revanche du dieu-forgeron : grâce à la science de la forge qui lui a été enseignée lors de son exil, il parvient à se faire admettre dans le cercle des Olympiens, puis à les piéger, et à obtenir Aphrodite, la plus belle des Olympiennes, pour épouse.

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Les similitudes formelles avec Bombadil sont nombreuses, même si elles s’incarnent différement. Celles-ci sont cependant suffisemment ténues pour interdire de prétendre à une filiation directe entre les deux figures que sont le boîteux grec et le joyeux luron de Tolkien. Les personnages esquissés par ce derniers sont le fruit de syncrétismes de traditions mythologiques unifiées au filtre de ses préoccupations et vues sur le développement de son oeuvre, aussi il serait vain de vouloir, de manière systématique et radicale, établir une telle parenté. Toutefois on peut s’attacher à voir en quoi Héphaïstos peut fort bien constituer l’une des sources qui a nourri le personnage de Tom Bombadil.

Comme Héphaïstos, il associe une apparence qui pourrait pousser à le prendre à la légère avec un pouvoir de grande envergure. S’il n’est pas difforme, ou bossu, il a une mise pour le moins ridicule sans rapport avec le pouvoir qu’il détient. De même, il vit aux côté d’une femme bien plus belle que lui (Baie d’Or, qui est une incarnation de la jeune Corè, avant qu’elle ne devienne Proserpine aux Enfers) avec laquelle il contraste grandement. L’importance de cette femme au côté de ces deux personnages est grande : Bombadil affirme à quel point sa Baie d’Or lui est indispensable, et elle est présentée comme la motivation de son action quotidienne. Aphrodite représente pour Héphaïstos sa revanche sur l’exil dont il fit l’objet après sa naissance, et sur le sort qui l’a rendu laid et difforme. L’un et l’autre sont des personnages qui ne trouvent leur accomplissement qu’au travers de ces figures féminines qui sont à leur côté. En outre, si Bombadil n’est pas forgeron, il dispose sur le règne végétal d’un pouvoir visiblement identique à celui qu’Héphaïstos impose aux métaux. Il domine le Vieil Homme Saule, et cultive un jardin enchanteur pour Baie d’Or. Il pose un dieu jardinier retiré dans un sanctuaire, comparable au dieu forgeron retiré dans sa demeure. Baie d’Or à ses côtés est son inspiratrice, comme Aphrodite est celle d’Héphaïstos. L’un forge les plus belles choses, et l’autre cultive les plus belles fleurs, mais l’un et l’autre sont inspirés par leur épouse. Enfin, un dernier trait rapproche Bombadil d’Héphaïstos. Il est venu dans les Terres du milieu, et tout à la fois il connaît le monde des dieux, mais passe une partie de son existence sur la terre, dans un sanctuaire reculé à l’écart des troubles de la vie des hommes.

(JPEG)Comme Pan ou Puck, Bombadil est une figure originale, ni vraiment dieu, ni vraiment créature intégrée dans les espèces qui peuplent les Terres du milieu. De même, comme Héphaïstos, il est un être inachevé, en ce que son apparence et son existence témoignent qu’il n’accomplit pas sa nature divine et transcendante, pour se poser comme l’un des Valar, ou un autre Sauron. Il est un dieu inachevé, contemplatif : doté de pouvoirs qui relèvent d’un ordre extraordinaire, ne les utilise que pour une tâche qu’un hobbit pourrait remplir. Il représente le lien nécessaire entre le pur esprit divin, immatériel, et la création divine, la terre et sa richesse matérielle.

Monstre et nain... forgeron ou bouffon ?

De par son apprence, ou sa lointaine parenté avec Héphaïstos, Bombadil est associé à l’image du monstre. Le monstre n’est pas une créature à l’apparence repoussante : c’est un être qui échappe aux grands équilibres qui régissent une création, ou plus exactement perturbent l’ordonnancement d’un Cosmos. Ainsi, fils sans l’oeuvre d’un père, Héphaïstos est un monstre. Dieu ou puissant génie qu’on ne peut rattacher à aucune espèce des Terres du milieu, Bombadil est aussi un monstre en un certain sens, car il échappe aux grands ensembles des Terres du milieu.

Le cousinage entre les figures d’Héphaïstos et de Bombadil est fertile malgré ses limites (il existe de nombreuses divergeances entre les symboliques de ces deux êtres, et les rapprochements que l’on peut construire ne permettent pas d’établir autre chose que les liens ténus qu’on a tendus ci-avant) parce qu’il permet d’extrapoler vers la représentation du nain, et son introduction dans l’oeuvre de Tolkien sous une forme autre que celle des enfants de Durin auxquels le lecteur est habitué.

Les nains sont une forme « monstrueuse » qu’il est très intéressant d’évoquer. Les nains sont avant tout des figures chaotiques. Physiquement leur apparence dérange : elle est grotesque, peu pratique, et suivant les critères humains - qui restent ceux du lecteur - assez peu esthétiques. Les Elfes, à l’inverse apparaissent comme une idéalisation lumineuse du genre du humain : grands, droits, aux traits agréables, immunisés aux atteintes de l’âge. Dans un rapport à l’imaginaire esthétique, l’elfe est le pôle de la Loi, il incarne la raison et l’harmonie, quand le nain est un pôle du Chaos, gagné par des proportions disgracieuses, un caractère difficile à cerner (certains sont sournois, d’autres cupides, ils peuvent se révéler pourtant sages, ou avoir un coeur d’or... le modèle nain est moins uniforme que l’elfique, non seulement dans les représentations générales, mais chez Tolkien lui-même.) Le nain, à la différence de l’elfe tolkieni, est une figure réelle. Il est le mélange de la figure légendaire du gnome et du nain tel qu’il peut apparaître dans la littérature médiévale. Celle-ci prend ce personnage dans l’entourage des seigneurs : le nain Frocin de La Geste de Tristan et Yseult, ou le nain qui conduit Lancelot sur une charette sont des représentations des bouffons des seigneurs, parmi lesquels les nains étaient particulièrement prisés comme des curiosités de la nature. Assimilés aux monstres, car leur apparence n’est pas celle des humains, ils sont chargés par l’imaginaire de toutes les tares, comme la convoitise, la méchanceté, la cruauté, et s’avèrent généralement des empêcheurs de tourner rond pour les personnages lumineux et positifs. Aussi, on constate que le nain, en particulier dans son rôle de bouffon, se place souvent en entrave à un procédé harmonique et réglé. Ils jouent le rôle de "trouble-fête", celui qui perturbe l’ordre symbolique du Cosmos, et qui fait prendre aux choses un sens différent. Ils incarnent donc une dimension d’altérité dans le processus de créativité.

(JPEG)Cette notion est fondatrice chez un autre écrivain de fantasy, R. Zelazny et son Cycle des princes d’Ambre. En effet, le fondateur d’Ambre, Dworkin, est un nain sorcier originaire des Cours du Chaos. Il est décrit en habits de cour de la Renaissance et il est celui qui a tracé la Marelle d’Ambre. Il s’est aidé pour cela d’un des yeux du Serpent. Cet animal est un symbole fort, qui se substitue au Chaos dans les représentations symboliques de l’origine de l’univers dans les Cosmogonies orphiques (qui s’opposent ainsi à la cosmogonie d’Hésiode où le monde sort d’une "Faille". Les sociétés orphiques sont alors à caractère secret, elles pratiques des rites qui sont sensés donner le pouvoir de transcender la mort, et fonctionnent sur le mode initiatique, introduisant ainsi un ordre à part dans le comos symbolique de la Polis (cité) grecque. Ils sont donc assimilable à l’introduction du Chaos dans un Cosmos [4]

L’Oeil du Serpent est un des joyaux des Cours que les "Ambriens" nomment "la Pierre de Sang". Le Chaos tente de le récupérer afin de reprendre possession de ses nombreux pouvoirs, mais les Ambriens qui défendent la Marelle (principe garant de la préservation de l’ordre ambrien) défend jalousement, par le biais de ses disciples (notamment dans Chevalier des Ombres et Prince du Chaos). Dworkin peut être interprété ici comme une de ces créatures primordiales, issue du Chaos et engendrant une réalité, ordonnée, par une manifestation de l’Autre. Il n’en demeure pas moins que, s’il est lié à Ambre par ses réalisations, Dworkin apparaît toujours comme une figure chaotique et instable lorsqu’il est mis en scène dans le cycle des princes d’Ambre.

Le corollaire de cette mise en avant de la face inconsciente, créative et monstrueuse de l’homme, symbolisée par le nain-bouffon, est la signification de son sacrifice par l’autorité, qui indique le plus souvent une faiblesse psychologique, une impuissance à assumer ses travers et ses refoulements. Le nain est catalyseur de certains phénomènes racistes et xénophobes qui sont assez révélateurs de cette impuissance : par la caricature de la victime sous les traits d’un bouffon, incohérent, ou tout simplement différent, c’est une part de sa propre nature que l’on renie. Assimiler le bouffon, c’est continuer son évolution ascendante, intégrer des aspects autres à un niveau plus compréhensif, en définitive plus humain. Les compagnies de nains de la Renaissance, considérées comme des curiosités et des animaux apprivoisés servaient alors l’Inconscient collectif de l’époque en domestiquant ses refoulements et ses propres peurs.

Les nains projettent donc une ombre sur l’idée solaire et rassurante de l’homme, que l’elfe affirme. Cependant, les "incohérences" du premier abord peuvent aussi se révéler d’une logique dépassant le raisonnement, une logique douée de toute la force de l’instinct et de l’intuition. "Initiés aux secrets des grottes et des alcôves où leur petite taille leur permet de se glisser, ils possèdent parfois la clairvoyance des êtres de mystère : leurs paroles pénètrent comme des dards dans les consciences et les egos trop assurés" (Dictionnaire des symboles de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant).

(JPEG)Mais passés les aspects cosmogoniques du nain on se doit d’aborder un rôle qui lui est fréquemment donné et dont la symbolique est tout aussi riche, celui du forgeron. Dans une histoire où la forge étaient l’aboutissement et la source de toutes les technologies (de construction, militaire, agraire), le forgeron s’est naturellement paré d’attributs magiques et de sciences occultes [5]. Cependant la symbolique renverse la situation, et c’est le forgeron qui distille son art mystérieux dans les différentes sphères de l’organisation des peuples et des puissances. On renoue ici avec la figure d’Héphaïstos, tout à la fois difforme, rejeté par les dieux parce que l’un des leurs tout en étant différent d’eux : il leur renvoie une image insupportable de leur propre réalité. Il est aussi le créateur de génie, qui accède aux secrets des métaux et aux pouvoirs qui y sont contenus. Le gnome, puis le nain, figures imaginaires de la terre, sont associées au forgeron divin, qui lui même oeuvre au coeur de la croûte terrestre : les légendes situent l’atelier de Vulcain (nom latinisé d’Héphaïstos) sous le volcan Etna. Il s’agit d’une divinité chtonienne, qui appartient certes à la génération des Olympiens, mais qui entretient des liens avec les dieux antérieurs [6]. Il y a à la fois une ressemblance physique, et symbolique entre ces deux ordres de figures, nordiques et grecque.

(JPEG)Tom Bombadil, prétexte à cette exploration de la figure du nain, n’est cependant pas un nain dans le Cosmos d’Arda. Il est justement une forme qui s’affirme par son altérité par rapport au reste de l’oeuvre. Comment expliquer sinon qu’aucune autre figure dans la mythologie de Tolkien ne pose autant de problèmes que Bombadil ? Il est l’invité qui dérange, parce qu’on ne comprend pas son introduction dans l’économie et dans l’esthétique globale du récit. Le personnage légendaire qu’est le gnome permet de mieux comprendre comment Tolkien s’est réapproprié les symboliques naniques. Le gnome est "[un]Génie de petite taille qui, selon la Kabbale, habiterait sous terre et détiendrait les trésors les pierres et des métaux précieux" : ce premier temps de la définition établit déjà un lien clair entre l’Héphaïstos grec et la figure du gnome, mais également entre celle-ci et les Niebelungen germaniques, et par extension les nains de Tolkien dont la cupidité causa la ruine du royaume de Thingol, ou encore la perte de Thorin à peine son royaume recouvré. "Ils symboliserait l’être invisible (Tom Bombadil est caché au reste d’Arda malgré sa puissance) qui, par l’inspiration (il souffle dans le trou du Vieil Homme Saule), l’intuition, l’imagination, le rêve (faut-il évoquer le rêve de Frodon lors de la nuit qu’il passe chez Tom ?) rendrait visible les objets invisibles (bon, je ne vous fais pas un dessin !).

La Gnomide, sa femme, est en revanche d’une stupéfiante beauté "Le couple [...] symbolise l’alliance de tout être d’un côté laid et d’un côté beau [...], l’un terreux et l’autre lumineux" [7]. Enfin, la sagesse de Tom Bombadil, qui lui attire la considération de Gandalf, lui vient sans nul doute de l’étymologie du mot gnome (gnomai : la connaissance), qui a pu inspirer l’émienent linguiste qu’est Tolkien.

De la grande richesse de la figure du gnome, Tolkien a extirpé tout à la fois ses Nains et Tom Bombadil, figure anarchique et chaotique, qui s’impose dans l’architecture ordonnée du Seigneur des Anneaux, comme une excroissance qui pousse le lecteur à interroger plus avant le monde qui se déplie sous ses yeux. Car un nain se définit comme tout être qui n’a pas, en grandissant, atteint la taille habituelle de ses congénères, ou qui l’a perdue. Sa difformité peut symboliquement s’interpréter comme une lutte d’avec la hiérarchie divine, comme dans le cas d’Héphaïstos, ou de Bombadil, qui est justement a-hiérarchique de par sa place dans la théogonie d’Arda. La difformité n’est alors plus un simple appel de l’Inconscient humain (comme dans le cas du nain-bouffon), mais tout un ensemble de désirs pervertis. C’est la monstruosité, à savoir le personnage chtonien dans ce qu’il a de plus primordial. La difformité, c’est en effet non seulement cet aspect monstrueux que l’on prête à une réalité de l’ombre, mais aussi l’altérité dans ce qu’elle a de plus réflexif : difformité, de celui dont la forme diffère ; mais c’est encore cette confrontation des différences d’où peut jaillir une humanité mature et créative. L’homme qui sympathise avec le nain apprivoise son ombre et tente de l’assumer en l’intégrant. La figure du nain propose une initiation personnelle, doublée d’une plongée dans l’Inconscient collectif et ses symboles.


Pour en savoir plus...

- Dictionnaire des symboles, Jean Chevalier et Alain Geerhbrant, collection Bouquins.
- La Communauté de l’Anneau, premier tome du Seigneur des Anneaux de J.R.R. Tolkien, publié en France par Christian Bourgeois.
- Cycle des Princes d’Ambre, de R. Zélazny.
- Le roman de Tristan et Iseut, version adaptée par Joseph Bédier.
- JRRVF, site incontournable sur Tolkien et ses univers. Son forum en particulier est source de discussions riches.
- Les Chroniques du chant de fer un site consacré aux nains chez Tolkien, donc au peuple de Durin plus qu’à Bombadil, mais il est utile en tant que référence sur le peuple nain.

par François A., Pierre Raphaël
Article mis en ligne le 31 janvier 2005

[1] divinité puissante placée au service d’un des Valar, dieux tutélaires d’Arda qui formaient à l’oirigne un choeur autour d’Eru Iluvatar, le dieu suprême, avant de le quitter pour s’intéresser à Arda, la création issue de la grande musique. Ces origines sont explicitées au commencement du Simarillon.

[2] Ils sont dieux au sens justement où la nature, magique ou naturelle, ne les affecte pas de la même manière que les autres êtres : ainsi Tom est imperméable au temps et aux forces surnaturelles, tandis que Sauron n’est plus qu’une force surnaturelle qui transcende les limites de la nature.

[3] Ces évènements sont contés dans l’Iliade.

[4] le Chaos est tradtionellement opposé aux forces de la Loi dans la littérature de fantasy, en particulier dans les cycles de Michael Moorcock, Elric, Hawkmoon, etc. mais le véritable opposé du Chaos n’est pas la Loi, mais le Cosmos.

[5] Voire à ce propos les différents travaux de Mircea Eliade, on citera Forgerons et alchimistes publié en Champs Flammarion, ou Cosmologies et alchimies babylonienne publié chez Gallimard.

[6] Ainsi il est réputé avoir fécondé Gaïa et donné naissance à Erechtion, plus tard élevé par Athéna.

[7] Les différentes citations relatives aux gnomes provienent du Dictionnaire des symboles pré-cité

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