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Game One : un vent de fraîcheur dans le paysage télévisuel français

Fan de jeux vidéos et téléphage accompli ? Game One est pour vous

Depuis septembre 1998, vous pouvez retrouver, sur le câble et le satellite, Game One, la seule chaîne française qui parle de jeux vidéos. En quelques années, elle a su se faire une place dans les bouquets ; elle est aujourd’hui présente dans plus de 3 millions de foyers français et commence même à s’exporter (en Pologne, en Hongrie, en Hollande, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient).


La programmation tente de couvrir l’ensemble de l’univers du jeu vidéo. Deux émissions constituent le fer de lance de la chaîne ; la Game Zone, qui se décline en deux éditions quotidiennes sur l’actualité du jeu vidéo, et Level One qui donne carte blanche à deux animateurs pour tester un jeu devant le spectateur. Même si ces deux programmes peuvent paraître à incarner à eux seuls l’esprit et la réussite de la chaîne, il n’en demeure pas moins que la liste des émissions proposées est infiniment plus longue [1]. Qu’il suffise de citer ici Coretechs dont le but premier est de présenter les dernières sorties en matière de nouvelles technologies ; Flashback, l’émission historique de la chaîne, qui ressuscite les vieux softs qui ont fait rêver les plus âgés des gamers (preuve que la chaîne ne s’adresse pas qu’à des collégiens) ; Focus qui s’intéresse à des aspects plus variés du jeu vidéo (en témoigne la très bonne série d’émissions sur les métiers du jeu vidéo) ; ou Making Off qui tente de faire pénétrer le spectateur dans les arcanes de la conception d’un soft. Quant à La sélec., présentation et analyse en voix off d’une série de jeux (et qui laisse donc la part belle aux images, cinématiques ou captures des séquences de jeux), elle fait figure de liant et de résumé entre tout le reste. Il faudrait également citer Dvd sur Canapé [2] et Microfilm, deux émissions qui sont la preuve de l’ouverture de la chaîne sur l’univers cinéma, ontologiquement voisin de celui du jeu vidéo (ou bien serait-ce l’inverse ?). Enfin, Game One diffuse également des séries animées japonaises [3], manga et jeu vidéo semblant parfois former un couple inséparable [4]. Ce panorama à peu près complet suffit à montrer combien Game One s’attache à traiter l’univers des jeux vidéos sous tous ses aspects, avec en plus-value un esprit d’ouverture curieuse vers des univers connexes, comme ceux du manga ou de l’animation [5]. Mais cette programmation est surtout le reflet d’une vraie réussite éditoriale. Or, le pari était loin d’être gagné ; monter une chaîne sur les jeux vidéos, c’était en effet courir le risque de s’enfermer dans l’univers monomaniaque des hardcore-gamers. La réussite de Game One tient en deux aspects ; d’une part l’ouverture d’esprit et le traitement distancié du jeu vidéo alors même qu’il est conçu comme objet de passion, d’autre part un subtil mélange de doux délire et de sérieux. Le tout parvient à donner à la chaîne une identité forte ; la sauce prend, pour le plus grand plaisir du téléspectateur.

S’attarder sur les deux émissions phares de la chaîne permet de saisir en quoi Game One a su éviter tous les obstacles qui se dressent sur le chemin d’une chaîne consacrée aux jeux vidéos. La Game Zone tout d’abord, est diffusée tous les jours, en deux éditions différentes, rediffusées plusieurs fois, et traite de l’actualité du jeu vidéo. Il s’agit véritablement de la vitrine de la chaîne, le point d’ancrage et de référence de sa programmation. Véritable émission d’actualité, dans le sens fort du terme, comparable, dans des domaines différents, à Field dans ta Chambre sur Paris Première, la Game Zone, elle réussit à rénover le genre. Elle garde la forme classique de ce type d’émission : deux présentateurs, Julie et Julien, et une équipe de chroniqueurs qui se répartissent leur temps de parole entre différentes rubriques (téléchargement, tests, avant-premières...), mais y insuffle un vent de fraîcheur salvateur ; toujours ce subtil mariage de sérieux et de dérapage contrôlé. Le propos y est clair et précis, intéressant et instructif [6], mais le ton parvient à être enlevé, joyeux, en un mot ludique (la boucle est bouclée). Un point faible - une fois n’est pas coutume , inhérent néanmoins à la présentation, en France de jeux vidéos le plus souvent japonais ou américains ; l’émission aurait gagné à accueillir plus d’invités. Il existe certes quelques jeux français dont il est possible d’accueillir les concepteurs, mais la plupart du temps, parler de jeux vidéos, revient à inviter les représentants en Europe de firmes nippones ou nord-américaines, dont le discours essentiellement commercial est loin d’être intéressant (pour ne pas dire plus). Pour être tout à fait honnête, il faut noter que les autres émissions de la chaîne s’efforcent de combler ce déficit. Un regret donc, plus qu’un point faible. Toujours est-il que l’équipe de la Game Zone relève tous les jours, et à deux reprises, le défi qui est celui, à plus petite échelle de la chaîne toute entière ; rendre lisible le jeu vidéo sans perdre de vue sa force de divertissement. A trop vouloir être sérieux ou spécialiste, le propos aurait pu devenir rébarbatif, regardable par les seuls hardcore gamers. A force de délire ou de convivialité, l’ambiance aurait pu tourner au délire tâcheron entre potes. Or, ce n’est pas le cas ; la combinaison subtile de tous ces éléments, utilisés avec raison, permet de faire de la Game Zone une vraie réussite, dont les autres chaînes devraient peut-être s’inspirer : l’enthousiasme de la jeunesse vient ici défier le monolithisme télévisuel et les émissions établies.

Level One ensuite, semble donner à l’ensemble de la télévision française le même genre de leçon. Deux animateurs, Johann (toujours à gauche de l’écran) et Yannick (qui cache dans un décor sombre une touffe de cheveux des plus seyantes) présente, dans une simulation du direct, un jeu vidéo (une sortie récente, un import, une version bêta) [7]. L’un des deux a déjà joué et fait découvrir à l’autre les principes du soft. L’idée est de mêler divertissement et critique. Et la réussite est totale ; les deux animateurs n’hésitent pas à virer dans le loufoque ou le potache (blagues particulièrement mauvaises, déguisements impromptus, chansons décalées), sans jamais toutefois en faire trop, à la différence de bien des émissions qui, sous prétexte d’apporter un peu d’humour, tournent au ridicule. Level One est donc avant tout un divertissement car ses animateurs ont compris que le jeu vidéo devait être présenté de manière ludique, dans une sorte de mise en abîme de ce qui le définit. Loin des joueurs épileptiques, ils savent présenter avec passion et humour, avec distance, des jeux dont ils n’oublient pas de faire la critique, une critique d’ailleurs parfois très dure. Chose appréciable, Level One, là encore à l’image de toute la chaîne, sait faire preuve d’une vraie indépendance de ton. Les animateurs n’hésitent pas à critiquer sévèrement, mais toujours justement, tel ou tel raté d’un jeu (les graphismes bâclés, les temps de chargement exagérément longs, le scénario navrant, les tentatives démagogiques de surfer sur telle ou telle mode). Il ne sont pas là pour promouvoir quoi que ce soit, si ce n’est le plaisir qu’on doit prendre avec une manette ; le jeu vidéo est un jeu et doit le rester. C’est donc sans jamais perdre de vue le côté fun du jeu vidéo, que Level One organise son espace-temps comme une récréation-passion.

Ainsi donc Game One est une réussite ; réussite télévisuelle et réussite dans l’univers du jeu vidéo. La chaîne parvient à éviter le piège de l’enfermement dans l’univers des geeks, tout en gardant la passion des vrais fans. Peut-être même est-il possible de penser qu’elle est l’initiatrice ou l’accompagnatrice d’une transformation de la place du jeu vidéo dans notre société. Celui-ci n’a pas encore la patine des autres biens culturels que sont les romans ou les disques. Néanmoins, il semble aujourd’hui possible de penser qu’il trouve sa place de manière apaisée parmi l’ensemble de la production culturelle. Le jeu vidéo, tel que le montre Game One, n’est pas pratiqué que par des gamins associaux ou des adultes névrosés. Cette image du jeu vidéo que Game One fait passer lui suffirait à mériter les louanges. Mais Game One est également une réussite télévisuelle. Faire une chaîne sur les jeux vidéos n’étais pas chose aisée, on l’a déjà souligné. Faire de la télévision n’est pas non plus chose facile aujourd’hui. Or Game One parvient à faire souffler un véritable vent de fraîcheur sur le paysage télévisuel français, par la passion qui habite ses animateurs, leur humour et leur bonne humeur, mais également leur sérieux. Elle seule, parvient, me semble-t-il, dans tout le paysage télévisuel français, à créer un propos fiable et clair sur un objet culturel, en y mêlant passion, humour et légèreté. Game One réussit là où tout le monde, ou presque, échoue ; faire de la télévision quotidienne, avec de vrais animateurs et un vrai propos. La preuve peut-être que pour rénover la télé, il suffit de savoir se servir de ce qui existe déjà en y réinjectant humanité et intelligence. Regarder Game One quand on aime les jeux vidéos (même modérément), c’est la garantie d’un moment agréable et instructif. La critique, documentée et sérieuse, d’amateurs-professionnels [8] passionnés, illustrée par des images en nombre suffisants, permet de se forger une idée sur les jeux présentés. L’indépendance de ton aidant, il ne s’agit jamais pour les chroniqueurs de pousser à la consommation, mais de faire partager leur passion et leur analyse des jeux. On peut donc se laisser aiguillonner vers les jeux vraiment susceptibles de nous plaire et se contenter pour les autres de la passion communicative des animateurs.

Game One est donc un vrai renouveau télévisuel, une manière intelligente et agréable de parler des jeux vidéos. En un mot, un vent de fraîcheur et de sincérité dans une télé trop souvent routinière, égocentrée, autosuffisante, imbue d’elle-même et aliénée aux annonceurs. A consommer avec modération, évidemment. Cela reste une chaîne sur les jeux vidéos.

par Matthieu-Paul Ergo
Article mis en ligne le 26 mai 2004

[1] Vous retrouverez cette liste ici et les horaires ici

[2] Animé par l’excellent Fethi, à qui la chaîne doit beaucoup puisqu’il prête sa voix à la majorité des reportages ainsi qu’aux critiques de La Sélec. Son ton est toujours juste, sérieux et convaincant, mais aussi parfois légèrement ironique ; il est pour ainsi dire la voix de la chaîne.

[3] Game One diffuse par exemple Cobra, .hack//SIGN, Armitage III ou Love Hina à propos de laquelle vous pouvez d’ailleurs trouver un article sur notre site, ici-même .

[4] En sus, il ne faudrait pas oublier pas que Game One organise des tournois dont elle diffuse le déroulement, lors des « Game One Arena ».

[5] Mais également, avec Freestyle, l’univers des sports de glisse. La programmation de cette émission apparaît aujourd’hui comme une des seuls ratés de la chaîne. Le lien entre jeux vidéos et sports extrêmes semble bien ténu et en tous les cas moins légitime que les explorations de la chaîne dans le domaine du cinéma (en particulier, et il faut le souligner tant ce type d’initiative est rare, dans le domaine du court-métrage) ou de l’animation japonaise. Lien bien ténu et facilité éditoriale que de vouloir assimiler ces deux univers dans un esprit revendicatif de « cool attitude » démagogique (d’autant qu’Extreme fait figure, sur le câble, de référence indétrônable en ce qui concerne le monde de l’extrême) ?

[6] Et prouve à ceux qui en douteraient encore que les amateurs de jeux vidéos savent parler un français correct ; il n’y a pas que des incultes dans cet univers et même plus, il est possible de mener une vraie analyse sur cet objet culturel spécifique qu’est le jeu vidéo. Game One en témoigne, et ce site également, nous l’espérons.

[7] On peut noter que l’émission se décline avec des « spin-offs » intéressants ; Level One Anthologie et Level One Invité (dont les noms suffisent à les définir). Il ne s’agit pas d’exploiter jusqu’au bout un filon qui marche mais d’étendre un principe efficace.

[8] Comment les qualifier ? Beaucoup de professionnels de la télé font si pâle figure qu’on en vient à hésiter à qualifier les animateurs de Game One de « pros », comme si cela devait être une injure. Ils sont loin néanmoins d’être des amateurs, tant ils permettent de comprendre combien, dans les différents domaines de la culture peut-être plus encore qu’ailleurs, le mélange de la passion et du professionnalisme est indispensable ; le second sans la première donne nombre d’émissions existantes. La première sans le second condamne à l’enfermement dans un cercle restreint d’initiés.

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