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Quelques éléments récurrents du cinéma de Wong Kar-Wai

Les cigarettes dans tous les films de Won Kar-Waï sont omniprésentes. Les personnages en ont toujours une au bec, c’est quasiment maladif, nécessaire même parce que c’est trop dur ou tout simplement parce qu’il faut bien souffler. Un homme part. Derrière lui une femme le pleure, tente de le rejoindre puis s’effondre avant même de l’avoir touché. L’homme poursuit sa route, indifférent.


Les trois cigarettes de WKW

Les cigarettes dans tous les films de Won Kar-Waï sont omniprésentes. Les personnages en ont toujours une au bec, c’est quasi maladif, nécessaire même parce que c’est trop dur ou tout simplement parce qu’il faut bien souffler. Cependant, selon les films et les scènes, chacune a un goût différent, elles ne disent pas la même chose ni ne font le même effet.

La clope de soirée par exemple est celle de la séduction, elle est l’article glamour par excellence, celui qui séduit et attire, donne de l’assurance lorsqu’on sait la nuit proche. On s’habille, se fait beau, Andy Lau dans Les Années sauvages se regarde dans la glace, allume une clope puis se peigne. C’est un protocole auquel presque toujours il revient, il est Séducteur, celui qui allume et consume, qui creuse légèrement ses joues, souris et pars, sachant que toujours on le suit, on le pleure. Cette clope, dans certains cas, s’associe à d’autres articles glamours tels que les lunettes de soleil, lunettes qu’on retrouve à de nombreuse reprise dans Chungking express. Brigitte Lin et Faye Wong, toutes les deux à leur manière, les portent en effet constamment, l’une plutôt secrète, abandonnée dans la fumée d’un piano-bar, qui baigne dans la musique et l’alcool ; l’autre toute vivante, Lolita souriante et légère, plutôt jeune, dans le vent. Pour Brigitte Lin, la clope est tragique, abandon de soi-même et en même temps pause, dérive, c’est la conscience qui part sans rien dire, l’isolement. Ce coté personnages maudit donne une image assez glamour, c’est l’idée que rien ne vaut plus la peine, qu’il faut partir ou mourir, c’est le destroy chic, le stade supérieur après le Bobo.

De proche en proche on en vient à la clope du névrosé, celle qu’on retrouve dans Les anges déchus, dans ce bar où Michelle Reis mange ses nouilles tout en fumant. La camera se situe à deux doigts d’elle, immobile. Sa main tremble tandis qu’elle tente difficilement d’approcher la clope de sa bouche. Elle est larguée, foutue, à la merci d’un homme qui l’a déserté, comme si Clyde taillait la route sans dire au revoir à Bonnie, et que celle-ci s’en allait doucement mourir, dans le noir. Voici le sentiment de déréliction de toute une génération, la grungitude (sentimentale ou non), le punk nihiliste recyclé qui persiste toujours sur les archipels de l’Asie des tigres et des dragons (entre autres). Ces clopes ne font pas dans la demi-mesure, l’une suit l’autre car il faut se bousiller, que rien n’importe et qu’ainsi il faut partir, aujourd’hui ou demain, c’est la même chose.

La troisième clope de Won Kar-Waï est celle de la douce tristesse, celle que ses personnages consument lorsque l’autre est parti (Happy together) où que, encore proche, il demeure distant (In the mood for Love). C’est la cigarette qu’on fume seul sur un trottoir, en pensant à l’autre, au passé avec l’autre, à vivre dans le bonheur d’être triste. Tony Leung dans ces deux films illustre à merveille ces moments de divagations. Dans Happy together il fume comme pour se détruire, une tristesse grande et profonde qui le ronge de l’intérieur et le fait brûler clope après clope, sans s’arrêter, "s’incendier" disait Duras, cette cigarette est celle de la destruction lente et totale. Comme la clope du névrosé, rien n’importe plus, il s’agit juste de se cramer en pensant encore à son amour, se brûler pour lui puisqu’il est parti. La cigarette dans In the mood for love est plus ambiguë, insidieuse, elle exprime la tentation de l’union tout en relevant que cette tentation ne cessera jamais d’être.

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Le couple par WKW

Un homme part. Derrière lui une femme le pleure, tente de le rejoindre puis s’effondre avant même de l’avoir touché. L’homme poursuit sa route, indifférent. Peut-être importe comment ils se nomment, si c’est la femme ou l’homme qui pleure, tout réside dans la désunion, le malheur de la séparation ou l’incapacité à rester ensemble. Le cinéma de Wong Kar-Waï n’est qu’une affaire d’histoires, les personnages changent mais les couples demeurent présents. Je dis le couple, peut-être devrais-je plutôt parler d’un homme et d’une femme car ces films s’intéressent toujours à ce qui se produit entre eux, ils ne traitent jamais de l’union entre les deux mais de leur inadéquation quasi systématique.

L’une des manifestations les plus extrêmes de cette inadéquation est l’asservissement d’un des partenaires par l’autre. Dans Nos années sauvages Andy Lau apparaît vite comme un séducteur. Toujours calme et sûr de lui, il séduit chaque jour une nouvelle femme et passe la nuit avec elle. Il va d’aventures en aventures mais les femmes elles veulent des histoires. Lui n’en a que faire, il passe son chemin, indifférent, tout entier déjà dans sa conquête avenir. La femme pauvre comme la femme riche s’y laissent prendre (les noms importent guère) ; elles errent la nuit à sa recherche, ravalant leur amour-propre, elles appellent son nom, comme s’il leur était devenu nécessaire. Elles sont orphelines. Leur solitude n’est plus qu’une absence, elles se sont perdues dans leur amour pour Andy Lau.

Quand bien même le corps reprendrait ses droits, l’absence, l’instant d’après, referait surface. Ainsi Michelle Reis dans Les anges déchus a beau se masturber frénétiquement, elle replonge dans les larmes juste après avoir joui. Ces êtres sont emplis d’absence, seuls ils pensent à l’autre, certains appellent cela l’amour, d’autres la douleur. Lorsque le cuistot demande à Tony Leung dans Happy together de se confier à son magnétophone celui-ci se retrouve sans voix. Il est seul et tout monte en lui, il pense à Chen Chang alors il pleure, la tristesse le submerge, il craque. Cette scène est à mon sens une des plus touchantes de l’oeuvre de WKW.

L’inadéquation entre les deux partenaires peut au contraire apparaître de manière plus diffuse. Le couple n’est pas (encore) formé, l’amour est dans l’air mais les choses ne se font pas, c’est l’idylle latente. Dans Chungking Express, Faye Wong s’introduit à maintes reprises chez Tony Leung, elle aménage les lieux à sa manière, lui adressant par là des signes. Ils jouent à cache-cache, l’heureux dénouement semble-t-il est prochain. Mais les choses s’éternisent, il ne remarque rien et doit attendre de la prendre en flagrant délit pour prendre conscience de ce qu’il a bien longtemps ignoré. Quelques malentendus et un départ plus tard, ils se retrouvent, enfin !

In the mood for love illustre d’une manière encore plus parlante la difficulté de deux êtres à s’unir. Won Kar Waï avait jusqu’alors filmé, à part quelques exceptions telles que Les cendres du temps, la vie de personnages jeunes. Les vies amoureuses étaient éclatées et chacun semblait vivre sa vie en se souciant plus ou moins de l’autre. Avec In the mood for love WKW fixe sa caméra sur des personnages déjà mariés. C’est le temps non plus des ruptures mais de l’adultère, rien ne change si ce n’est qu’on préfère ne rien dire. On passe du tragique au tiède, c’est l’âge terne. Maggie Cheung et Tony Leung se rencontrent et échangent quelques mots, l’union comme dans Chungking Express est dans l’air. Seulement il ne se passe rien, tout l’intérêt de ce film réside d’ailleurs dans la proximité ambiguë qui demeurera jusqu’au terme du film entre les deux protagonistes. La première fois Tony invite Maggie au restaurant. Puis chacun s’appréciant mutuellement, Maggie propose à Tony de l’aider dans l’écriture de ses histoires, c’est presque enfantin, ils ne savent pas trop comment s’y prendre, elle semble hésiter, lui attend. Ils sont ensemble mais ne se comprennent pas, rien n’y fait. Plus tard il y aura des regrets, mais il sera trop tard. In the mood for love c’est l’histoire d’un couple toujours possible mais jamais réalisé, c’est dans cet entre-deux que réside la beauté de ce film.

par Matthieu Chéreau
Article mis en ligne le 22 novembre 2004 (réédition)
Publication originale 5 février 2002

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