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Atalante, de Crisse

Les tribulations d’une vierge chasseresse

La cuisse est fine, le talon agile, la silhouette accorte ; la forêt remplie de faunes, silènes et centaures, et l’odeur qui remplit l’air fleure bon l’antique Grèce revisitée à l’aune du fantasme contemporain. Atalante, chasseresse farouche, et princesse de conte, va connaître un destin à nul autre pareil. Voici que des tréfonds des bois où elle a grandi, à l’embarquement sur l’Argo, le navire aux cinquantes héros, la chasseresse à la haute croupe se dandine avec légèreté et cherche à se tailler une place au Panthéon aguicheur des filles de Soleil.


Atalante, la légendaire...

(JPEG)Héroïne parmi les héros, Atalante est une figure féminine de la Grèce antique qui se démarque des sorcières et autres intrigantes au registre des Circée et Médée, ou alors des figures telles qu’Ariane, et autres Andromèdes éplorées. Elle évolue dans le monde des mâles, où sa force physique et son courage sont prépondérants. Et elle pèchera par où habituellement les femmes triomphent : face à la ruse [1]. Aux côtés d’Athéna, ou encore des Amazones, elle est de ces rares figures à s’affirmer dans les jeux d’Arès ou aux combats du stade. Aujourd’hui, où la mode est à la parité, et à la représentation des femmes indépendantes, en particulier dans des domaines que la tradition a dévolus aux hommes, la figure d’Atalante s’avère donc hautement désirable.

Selon le mythe du sanglier de Calydon [2], "la chaste Atalante au pied léger, la fille unique d’Iassos et Clyménée" avait eu le malheur de naître femme quand son père souhaitait un héritier mâle. Elle fut donc exposée sur le mont Parthénion, où elle fut allaitée par une ourse qu’Artémis envoya à son secours. Elle grandit ensuite au milieu d’un groupe de chasseurs qui l’avaient trouvée et élevée, mais demeura chaste, et ne cessa pas de porter les armes. Par la suite, Atalante apparaît dans plusieurs épisodes fameux. La chasse au sanglier de Calydon, donc, où elle est associée à la figure de Méléagre. On la retrouve qui participe à l’expédition des sept contre Thèbes, ou qui figure dans le catalogue des Argonautes, les compagnons de Jason qui naviguèrent jusqu’en Colchide pour récupérer la toison d’or. Elle est également célèbre pour la légende qui la conduisit à se marier. Et son destin fut d’être transformée en lionne, par Zeus ou Cybèle, selon les versions, pour s’être adonnée aux plaisirs de la chair dans un temple. On lui prête également une aventure avec Méléagre, dont elle aurait eu un enfant qu’elle abandonna au même lieu où elle fut exposée par son père.

(JPEG)Figure qui apparaît dans des cycles héroïques riches, où se croisent les grands héros de l’antique Grèce dont prétendaient descendre toutes les familles nobles de l’Hellade archaïque et classique, Atalante côtoie les Héraclès, Castor, Pollux, Télamon, Pélée et autres Méléagre à plusieurs reprises, que ce soit à la chasse au sanglier, au siège de Thèbes, ou sur la nef la plus densément peuplée de héros qui prit jamais la mer. Cette figure mythologique, proche de la déesse Artémis qui la protège, est donc riche d’un matériau dense pour brosser une héroïne de BD.

Le projet de Crisse

Atalante est publié par l’éditeur Soleil, passé maître dans les séries les plus variées de fantasy. Et malgré son assise grecque, Atalante s’inscrit dans la lignée des Marlysa, Epées de Cristal et autres forêts d’Opale. Cela se manifeste à la fois dans le dessin et le ton. Le dessin tout d’abord, qui porte la belle blonde bronzée dans les rangs des filles de Soleil les plus enjôleuses. Elle la cuisse longue, ce qui est logique pour une héroïne réputée pour sa vitesse à la course, mais également le sein saillant, et n’est, en cela, pas la seule dans cet univers haut en formes mis en place par Crisse. Les corps sont musclés, les femmes sont belles, les armures rutilantes et les décors somptueux... Cela provoque chez le lecteur une impression de déjà vu qui ne se dément pas tout au long de la série. Malgré les emprunts à la mythologie grecque, bien moins exploitée par le genre que ne l’est le fond médiéval, l’univers visuel d’Atalante n’est pas véritablement original. Il n’en demeure pas moins esthétique, et beau, marqué par le trait caractéristique de Crisse, chez qui la silhouette féminine est tout en arcs et en voluptées.

(JPEG)Ce style s’accorde d’ailleurs fort bien à l’ambiance de la série. Accumulation d’aventures, parsemées d’un esprit léger, parfois très légèrement grivois, dialogues qui sont alternance de constats sur les situations, de réflexions minimes, et de blagues potaches. La virginité de la chasseresse n’est d’ailleurs pas le moindre des sujets, quand on sait que celle-ci embarque en compagnie de quarante-neuf marins mâles... Cela dit, de cette situation hautement périlleuse ne résultent que quelques finesses un peu lourdes, et jamais Atalante ne sombre dans la vulgarité à laquelle ses formes bien dévoilées pourraient inviter.

Dans l’univers riche qui entourre la figure mythologique d’Atalante, Crisse picore des éléments épars pour constituer l’histoire de son héroïne. On retrouve plusieurs apports qui révèlent des recherches de l’auteur : la tentative de viol par les centaures correspond, par exemple, à un épisode de la chasse au sanglier de Calydon. Le fait qu’Atalante soit placée sous les regards d’Artémis ou d’Aphrodite également, la première étant la déesse tutélaire de la chasseresse vierge, et la déese de l’amour traditionnellement son adversaire (qu’elle ne semble toutefois pas être chez Crisse). Cependant, on peut s’interroger sur le choix d’Hécate dans le trio tutélaire que Crisse a choisi pour la jeune fille, en effet cette déesse infernale n’est traditionnellement pas associée aux destinées des héros. A ce stade de la série, il est délicat d’anticiper son rôle, car sur les trois opus publiés, seul le premier évoque franchement la destinée d’Atalante, les deux autres ne sont que des péripéties sur la route des Argonautes, sans véritable intérêt du point de vue de l’intrigue générale. A l’instar de Morvan qui construit le personnage de Nävis dans Sillage, one-shot après one-shot, Crisse semble vouloir avant tout brosser son héroïne, au sein du groupe des Argonautes, mais ne se préoccupe guère de faire progresser la trame générale. On peut déplorer ce choix, qui semble devoir conduire à un long périble des Argonautes, et ne pas exploiter la chasse au sanglier de Calydon, ou encore l’expédition contre Thèbes, qui sont des matières toutes aussi riches... mais bien moins propices à une structure en one-shot que ne l’est un périble nautique au travers de la mer Egée, parsemée d’îles et de légendes.

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Confusion des légendes, et mouroir du sens

Le moment où les déesses Artémis, Aphrodite et Hécate se retrouvent autour du nourrisson abandonné, et impulsent son destin, se caractérise par une singulière cacophonie des influences. S’agit-il d’un emprunt à l’histoire de Méléagre, dont le destin fut ainsi scellé à la naissance par de divines paroles, ou alors de la transposition des figures féériques qui se penchent sur les berceaux des nouveaux-nés ? Dans le premier cas, la matière mythologique serait mal manipulée, car c’est ignorer que les Immortels n’influencent pas directement le destin des mortels. Ils peuvent les seconder, les accompagner, s’opposer à eux, mais demeurent impuissants face au cosmos tout puissant. Ce sont les Parques qui annoncent à Althée le destin de Méléagre, et se trouvent investies de la fonction des "mauvaises fées" des contes et légendes. Utiliser les Immortelles pour cette présenation, quand la légende donne à Artémis un rôle tout différent, illustre une digestion incomplète de la matière travaillée, et surtout une volontée d’utiliser des lieux communs, tels que les figures féériques, dans un cadre mythologique, esthétique et exotique, et donc vendeur.

Dans les figures divines présentes, Aphrodite, Artémis, Hécate et Héra, qui joue ici le rôle de la mégère frustrée, on en retrouve trois qui occupent dans la symbolique du panthéon grec un rôle particulier : elles incarnent les âges de la femme. Héra est la femme mûre, maîtresse du foyer et épouse. Artémis est la femme adolescente, encore chaste, qui se livre aux exercices phyiques. Elle est une idéalisation de la Corè, comme l’est également Proserpine. Aphrodite, elle, est la femme séductrice, tentatrice, loin des amours rangés d’Héra, ou de l’indifférence à l’autre sexe d’Artémis. Elle n’est pas inutilement la déesse honorée par les prostituées de Corinthe ! (JPEG)Aussi, on comprendrait que ce trio se penche sur ce nourrisson, appelé à tranverser les étapes de la vie qu’elles représentent. Cependant, Héra apparaît en contrepoint des divinités tutélaires, et Hécate, divinité infernale, qui hante normalement les carrefours avec son armée de chiens, à la recherche des âmes en perdues, peine à trouver une place cohérente ici. Mais faut-il véritablement rechercher une cohérence symbolique dans Atalante, dont le propos est manifestement le divertissement pur ?

L’univers d’Atalante extrapole le mythe, et sans chercher une construction rigoureuse, recherche les motifs attractifs. Ainsi, la figure de Chiron, lié à Jason, Héraclès ou encore Achille, se trouve invitée à ce banquet des mythes où Crisse picore à sa guise. Il y rencontre Nessus, centaure ennemi d’Héraclès. Une amazone s’incruste, le temps de quelques vignettes, dans la danse. Simplement pour donner à la belle blonde une figure maternelle à laquelle se raccrocher. Le premier volume, Le pacte, invite au voyage. Il pose les éléments d’un scénario valide, malgré les confusions évoquées ci-avant, et l’impression d’un manque certain d’originalité dans le ton et le style. Cependant, les opus suivants, qui s’attardent en une cité marine perdue, puis aux sous-sols d’un temple, ne présentent guère d’intérêt. Incapables de susciter des développements, ou des occasions d’approfondir l’univers d’Atalante, ce sont des one-shot épars. On doute qu’une fresque, ou une légende pour reprendre le sous-titre de la série, soit en train de se constituer.

La matière est riche, aussi, pourquoi se donner la peine de la travailler ? Atalante ne propose rien, sinon des décors rutilants, et une histoire qui fleure bon le scénaristiquement correct : une femme affirmée, qui conduit à sa botte une bande d’hommes, le tout dans un univers d’aventures d’humour potache. Un cocktaïl commercial de bon aloi, qui ne mérite pas l’esthétique agréable de ses décors. En guise de mythe, l’Atalante revisitée n’est guère qu’une poupée de la BD comme on en voit tant.

par Pierre Raphaël
Article mis en ligne le 18 juillet 2004

[1] Atalante refusait d’épouser un homme, à moins qu’elle ne fut par lui devancée à la course. Son époux (qui varie selon les versions du mythe) triomphera d’elle en jetant des pommes d’or tout au long du parcours. Atalante, intriguée, s’arrête pour les ramasser, et finit par être vaincue

[2] tel qu’il est décrit dans les mythes grecs de Robert Graves, pluriel


 Auteur : Crisse
 Couleurs : Anyk
 Editeur : Soleil le site officiel de Soleil

 Genre : Fantasy
 Style : à la mode hellène...

Série composée pour l’instant de trois tomes :
 Le pacte
 Nautiliia
 Les mystères de Samothrace
 48 planches par album

Cet article porte particulièrement sur le premier volume de la série, Le pacte

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