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Le Temps du loup, de Michael Haneke

Le Temps du loup, ou celui de l’effondrement de la civilisation. Pour reprendre Hobbes, l’homme est-il un loup pour l’homme ? Michael Haneke, chrirurgical et dépassionné, comme à son habitude, poursuit son décryptage de la généalogie de la violence. Dérangeant, comme il se doit.


Michael Haneke ne s’est jamais soucié de ménager ses spectateurs. Bien au contraire. Pour le cinéaste autrichien, un bon film est un film qui dérange. Le Temps du loup ne déroge pas à la règle. Pour son sixième long-métrage, le réalisateur s’est intéressé à l’essence de la nature humaine. Rien que ça. Le film part d’une situation fictive et intemporelle pour interroger qui sont réellement les hommes derrière les masques qu’ils portent dans la vie de tous les jours. Au début du film, la France a subi une catastrophe dont on ne saura rien de précis. La population est en fuite. Le pouvoir s’est désagrégé. Le Temps du loup se déroule à la campagne pour mieux évacuer tout signe de civilisation. A partir de cette hypothèse, plus qu’une seule nécessité : la survie.

(JPEG)En quelques minutes, le cinéaste plonge le spectateur au cœur de la terreur. Après un long générique silencieux, nous voilà tranquillement en voiture dans une forêt. Un couple et deux enfants en descendent. Ils rentrent dans leur maison, commencent à ranger leurs affaires quand un homme et sa femme font connaître leur présence dans l’habitation à l’aide d’un fusil. Un début de négociation se met en place quand, de manière inexpliquée, l’individu armé tue son vis-à-vis à bout portant. La scène est parfaitement filmée, en champ/contre-champ, faisant monter progressivement la tension avant de l’évacuer par un coup de force. Le premier d’une longue série. Le Temps du loup présente une vision sans concession de l’humanité. La violence y est quasi-omniprésente. La caméra enregistre les moutons éventrés, un cheval égorgé, un viol suivi d’un suicide, une femme ensanglantée en train de vomir, le racisme, des coups, des bagarres, des insultes. Le silence omniprésent est interrompu par des cris, des pleurs qui reviennent de manière incessante. Insupportables. Le film dérange car il agrège des faits qui ont une forte résonance dans notre quotidien, à travers les faits divers, et dans notre histoire (celle de la guerre).

Tous les personnages réagissent comme ils le peuvent dans cette situation de crise. Certains sont dévorés par la peur, d’autres par la colère. Le Temps du loup cherche une vérité dans la variété des comportements qu’il dépeint. La catastrophe sert de révélateur à ce qui est enfoui au plus profond de chacun. Compassion, égoïsme, indifférence. Tout est là. Et à aucun moment le cinéaste vient juger ses personnages quoi qu’ils fassent. Les motivations de chacun apparaissent clairement. Ce souci d’impartialité est véhiculé aussi bien par la narration que la mise en scène. Aucun des personnages n’est mis en avant plus qu’un autre, mise à part la jeune Eva qui joue un temps les narratrices. Stars ou acteurs inconnus sont traités sur un pied d’égalité. Le film n’a de valeur que par sa forme chorale. La mise en scène favorise la confrontation, que ce soit par le champ/contre-champ ou par les multiples oppositions de personnages aux premier et second plans. Le cinéaste ne se place pas au-dessus de ses personnages. Il se colle à eux, les suit, les observe au plus près. Michael Haneke s’attache ainsi à des petits détails qui prennent tous leurs importance et donnent corps à une narration distendue. Il s’agit aussi bien de regards, durs comme celui du garçon ou désemparé comme celui d’Anne (Isabelle Huppert), que de gestes révélateurs, d’étreintes.

La morale et la loi explosent devant la satisfaction des nécessités premières : boire, manger, défendre les siens. Reste alors à reconstruire des règles nécessairement contestées car en manque de légitimité. Ici, elles sont fixées par Klossowski (Olivier Gourmet), un des seuls détenteurs de la force, c’est-à-dire d’une arme et d’un contrôle sur la nourriture. Un pouvoir autoritaire, injuste mais d’une certaine nécessité pour éviter les réglements de compte. Les idéaux de justice et de solidarité sont écornés. Le besoin de sécurité est la base de la création d’une communauté. L’important, c’est d’abord le maintien de l’ordre. Ensuite, chacun se débrouille avec ce qu’il a, des objets à échanger ou son corps à vendre.

(JPEG)Cette mise à mal de la communauté a de fortes répercussions sur les individus. La dissolution de l’autorité amène chacun à se méfier, jusqu’à la position extrême du garçon qui préfère se tenir à l’écart quitte à "tout casser". Chacun est laissé à soi-même. Ben se sauve à deux reprises, Eva écrit à son père qu’elle ne peut plus compter sur personne. Les enfants tiennent une place particulièrement importante. Leur faible vécu leur permet de regarder cette expérience avec un oeil curieux, un peu naïf. Ils découvrent ce monde en même temps que nous. Un douloureux apprentissage de la vie.

Pour survivre dignement dans ce contexte, chacun s’arrange comme il peut. Certains préfèrent croire en une divinité qui viendrait les sauver, d’autres en la fraternité, la solidarité. Le monde du Temps du loup n’est pas entièrement noir. On y trouve aussi des rires, des chants, de la musique, un sens du sacrifice, de la compassion. Si le film baigne pour une grande partie dans la nuit et le brouillard, ses plus beaux moments restent les nombreux feux qui viennent éclairer la nuit. Le Temps du loup nous attire vers la lumière. Aussi terrible soit-elle, la vie vaut, peut-être, d’être vécue.

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 19 septembre 2005 (réédition)
Publication originale 4 novembre 2003

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