Cinéma · Musique · Littérature · Scènes · Arts plastiques · Alter-art 

accueil > dossiers > La peur et l’horreur dans les manga

Dans ce dossier

La peur et l’horreur dans les manga

 

La peur et l’horreur dans les manga

En 2002 sortait chez Tonkam le premier manga d’horreur jamais publié en France : Spirale, réalisé par l’un des maîtres actuels du genre au Japon : Junji Ito. Depuis, l’offre n’a cessé de se diversifier, touchant presque tous les éditeurs, et s’adressant à tous types de publics.


Le manga d’horreur aujourd’hui, grâce à son inventivité et à son dynamisme, dame le pion à une bd occidentale qui a cessé depuis longtemps d’être gore, et qui vivote aujourd’hui grâce aux slashers sans grande originalité de la collection Insomnie de Delcourt et les oeuvres d’ambiance de Chabouté chez Vents d’Ouest. Car contrairement à ses homologues occidentaux, le manga horrifique n’a eu que peu de conflits avec la censure, ce qui lui a toujours garanti une certaine liberté. Reste à déterminer les raisons du succès toujours bien réel de ce type de publication au pays du Soleil Levant.

Histoire succincte de l’horreur aux Etats-Unis et en France

Le comic et la bd d’horreur ont chacun connu leur âge d’or dans leur pays respectif. La période faste de la bd horrifique aux Etats -Unis s’étend de la fin des années 40 à 1955, avec en particulier l’émergence d’EC [1] et de plusieurs de leurs titres qui deviendront célèbres, comme le légendaire Tales from the crypt. Malheureusement, ces publications peu chères, imprimées sur du mauvais papier et destinées à un public jeune et masculin en majorité, rencontrèrent un succès tel qu’elles finirent par déranger. En 1954 sort Seduction of the innocent, (JPEG)un livre du psychanalyste Fredric Wertham, qui rend les comics responsables de la montée de la délinquance juvénile. Le directeur d’EC, William Gaines, et d’autres éditeurs sont convoqués par le Sous-comité Sénatorial sur la Délinquance Juvénile au printemps 54, afin qu’ils s’expliquent sur la nature de leurs publications et sur leurs effets sur la jeunesse. Ce sera le début de la fin pour l’industrie du comic d’horreur aux Etats-Unis. En 1955, les principaux éditeurs décident de se créer un code de conduite : Le Comics Code Authority, chargé de contrôler le contenu des publications et d’éviter toute "déviance", et mettent ainsi un coup d’arrêt presque définitif [2] à la bande dessinée d’horreur américaine.

En France, l’engouement viendra plus tard, et de manière différente, à cause de la tradition enfantine de la bande dessinée franco-belge, et à la fameuse loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse [3]. Le problème en France est de concilier bande dessinée et public adulte. Elvifrance, maison d’édition fondée par Georges Bielec en 1970, trouvera la solution, en publiant énormément de bandes dessinées italiennes mêlant horreur et érotisme, dans un format de poche, et à destination du public du roman de gare. Ainsi, sexe et horreur sont intimement liés en France, et feront les beaux jours de la censure pendant une vingtaine d’années. Ereinté par les multiples interdictions de publication dont sa maison d’édition fait l’objet, Georges Bielec jette l’éponge en 1992, après un lent déclin.

(JPEG)

Le genre au Japon

Une constante se dégage, au niveau du traitement de ce type de bande dessinée dans le monde : l’horreur est un genre populaire, et bon marché. Le déclin de la bd d’horreur en France, outre la censure, est aussi dû au fait que la tendance de ces dernières années chez les éditeurs est au luxe, aux tirages spéciaux, aux éditions limitées, au beau papier et à l’album cartonné. La bande dessinée aujourd’hui n’est plus bon marché, et ce faisant, son côté populaire a aussi en grande partie disparu.

(JPEG)Au Japon, au contraire, le manga reste un loisir de masse, très peu cher et accessible à absolument tout le monde. Il est donc peu étonnant de voir le genre "horreur" tenir une place assez conséquente dans la production totale de bandes dessinées japonaises, et rester florissant depuis les années 60. Ces mangas ont aussi bénéficié de la quasi absence de censure au niveau de la violence au Japon. Ainsi, l’horreur a pu se développer et ce diversifier dans ce pays à peu près comme n’importe quel autre genre. A tel point que de nombreux auteurs l’incorporent à plus ou moins haute dose dans leurs ouvrages. Un exemple frappant est Gen d’Hiroshima, manga en 10 volumes de Nakasawa qui raconte l’histoire d’un petit garçon survivant de la bombe atomique. La totalité du volume deux et la fin du tome un sont consacrés à une description d’Hiroshima pendant et juste après que la bombe soit tombée. On y découvre des corps à la chair fondue, des hommes rongés vivants par les vers et d’autres visions cauchemardesques, le tout retranscrit en détail par le dessin peu réaliste mais efficace de Nakazawa. Toute l’horreur de cette bombe est décrite crûment, directement, et marque bien plus que si un voile pudique avait été déposé sur la scène. Autre exemple, beaucoup d’oeuvres de Katsuhiro Otomo, et en particulier Dômu et Akira sont imprégnées de fantastique et d’horreur. Dans Dômu, l’auteur joue avec le paranormal, le côté oppressant des grands ensembles d’immeubles pour créer une ambiance inquiétante. Dans Akira, les mutations grotesques de Tetsuo relèvent de l’horreur pure et simple. La boucle est bouclée lorsque Junko Mizuno rapproche zombies et conte de fées, le tout dans une ambiance très Kawaii [4], dans son Cinderalla.

(JPEG)La peur et l’horreur se déclinent donc aussi hors du cadre strict du genre, preuve de la bonne sa bonne santé et de son enracinement dans le manga. Mais la grande originalité de cette bande dessinée, c’est qu’elle n’est pas destinée qu’aux hommes, comme le sont ses homologues occidentaux. Au contraire, de nombreux auteurs phares du genre, comme Junji Ito destinent leurs bandes dessinées aux jeunes filles. C’est le Kowai manga, qui joue volontiers sur le dégoût des jeunes filles pour tout ce qui est insecte, limace, serpent... mais aussi sur les sentiments amoureux, et d’autres choses plus ancrées dans le monde contemporain comme la contraception, le maquillage, etc.

A travers ce dossier, nous tenterons rendre compte de la diversité de ce genre en France, de manière non exhaustive et à travers certaines oeuvres, comme Spirale de Junji Ito. Nous analyserons également la manière dont la peur est traitée par certains auteurs flirtant avec l’horreur, comme Minetaro Mochizuki avec Dragon Head et La dame de la chambre close. Enfin, nous nous intéresserons au Kowai manga, à ses rapports avec le genre et à ses spécificités.


Réagissez à ce dossier sur le forum qui lui est dédié


par Olivier Tropin
Article mis en ligne le 14 janvier 2005

[1] Entertainement Comics

[2] à part quelques rares exceptions, comme Hellblazer ou Swamp Thing

[3] extraits de la loi du 16 juillet 49 relative aux publications destinées à la jeunesse :
- Art. 1er.- Sont assujetties aux prescriptions de la présente loi toutes les publications périodiques ou non qui, par leur caractère, leur présentation ou leur objet, apparaissent comme principalement destinées aux enfants et adolescents. Sont toutefois exceptées les publications officielles et les publications scolaires soumises au contrôle du ministre de l’éducation nationale.
- Art. 2.- Les publications visées à l’article 1er ne doivent comporter aucune illustration, aucun récit, aucune chronique, aucune rubrique, aucune insertion présentant sous un jour favorable le banditisme, le mensonge, le vol, la paresse, la lâcheté, la haine, la débauche ou tous actes qualifiés crimes ou délits ou de nature à démoraliser l’enfance ou la jeunesse [L. n° 54-1190 du 29 novembre 1954] « ou à inspirer ou entretenir des préjugés ethniques ». Elles ne doivent comporter aucune publicité ou annonce pour des publications de nature à démoraliser l’enfance ou la jeunesse.

[4] mignon, en japonais

imprimer

réagir sur le forum

outils de recherche

en savoir plus sur Artelio

écrire sur le site