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Le voyage de Chihiro

Alice et les métamorphoses

L’engouement de la critique pour le dernier film de Miyazaki est assurément étrange. D’un seul coup, le talent du maître de l’animation japonaise semble éclater au grand jour, dans ce qui serait, au dire de tous, son chef-d’oeuvre. Vous nous permettrez d’aller à l’encontre de ce jugement, en affirmant que si point d’orgue il y a, c’est plutôt avec Princesse Mononoke.


Le voyage de Chihiro est évidemment une réussite incontestable. L’animation de la fillette est extraordinaire de justesse, la musique d’Isaishi s’avère toujours plus vibrante, et certaines trouvailles visuelles, comme la gare au milieu de la mer ou les oiseaux de papier, nous transportent sur les ailes d’un imaginaire poétique décoiffant de beauté pure.

(JPEG)En attribuant aux choses une nature mouvante et modifiable, le film joue à foison sur les formes, et confronte finalement l’instabilité des apparences à la rectitude des sentiments (c’est en restant tout simplement fidèle à elle même que Chihiro fait plier l’organisation autocratique de cet univers étrange que sont les thermes).

Ces transformations n’ont pas de signification morale, qu’elles semblent bonnes (le Vénérable Puant se purifie, le bébé puni de ses caprices en étant métamorphosé en bébête inoffensive) ou mauvaises (les parents-cochons prisonniers de leur avidité, la créature noire victime de sa voracité).

Tout comme la mer succède à la campagne après une averse, elles participent seulement d’un univers où l’instabilité permanente est une source constante d’émerveillement. Mais ces changements, plus que les différentes influences ici brassées (la présence sino-japonaise est assez marquée dans les décors et les costumes, mais co-existe avec des éléments plus européens comme la décoration de la chambre du gros bébé ou la parenté entre l’organisation verticale des thermes et la stratification sociale de la ville dans Le Roi et l’oiseau), mettent à mal la crédibilité de l’univers fictionnel représenté à l’écran, en présentant une logique de fonctionnement interne difficilement assimilable.

L’hétérogénéité des formes (voir le style graphique de la sorcière, et plus précisément ses différences de proportions avec les autres personnages par exemple) empêche une identification poussée du spectateur (on admire, mais on reste extérieur).

Voilà en quoi le dernier film de Miyazaki est sans doute moins définitif que Princesse Mononoke. Celui-ci parvenait à marier fantaisie pure et très grand réalisme, psychologique d’une part (avec un admirable refus du manichéisme), et social de l’autre (la représentation médiévale des groupes humains n’occultant pas la violence). L’émerveillement et l’implication émotionnelle étaient ainsi décuplées, faisant du film une expérience beaucoup plus forte.

par Alaric P.
Article mis en ligne le 20 avril 2004 (réédition)
Publication originale 13 mai 2002

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