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Clermont-Ferrand 2004, retour de festival

Compte-rendu du festival du court-métrage de Clermont-Ferrand marqué cette année par l’absence de palmarès, choix controversé du jury présidé par Matthieu Amalric. L’occasion de revenir sur certaines tendances lourdes de la création de courts-métrages aujourd’hui.


On serait tenté à l’occasion de cet article de commencer par la fin. La cérémonie de clôture fut en effet particulièrement animée cette année. Le protocole d’abord fut supprimé, le président du festival invoquant de manière maladroite mais déterminée la nécessité d’offrir une tribune au combat mené par les intermittents. Cette décision ne fit que clore une semaine ponctuée de déclarations tonitruantes et d’assemblées générales plus ou moins improvisées dans lesquelles il fut autant question d’exception culturelle que de montée en force du grand capital. Cette cérémonie fut également marquée par le discours particulièrement virulent de Mathieu Amalric. Ce dernier annonça au nom du jury qu’il représentait que le grand prix national ne serait pas remis cette année, invoquant une trop grande homogénéité parmi les courts-métrages sélectionnés et un manque de recherche du point de vue de la forme et de la narration. D’un côté, les intermittents recueillerent des applaudissement francs et massifs. Mathieu Amalric quant à lui, fut moins heureux, allant jusqu’à susciter chez quelques spectateurs des interpellations particulièrement virulentes. Force était de constater, en sortant de cette cérémonie, qu’il y avait comme un problème, pas seulement à Clermont mais peut-être plus largement, dans le champ artistique et économique du cinéma.

Il serait stupide d’opposer Mathieu Amalric aux intermittents, ce dernier s’est d’ailleurs manifesté à de très nombreuses reprise autant dans les journaux que dans la rue pour réclamer le retrait du protocole d’accord du 26 juin 2003. Il ne s’agit pas non plus de dire qu’en prenant une telle décision, le jury national laisse planer un doute sur la qualité de la sélection elle-même, même s’il est possible qu’il le sous-entende. Ce qu’il est important de dire, c’est que le combat des intermittents, pour rester juste, doit comme le fait Mathieu Amalric rester exigeant dans son propre champ, non seulement réclamer les droits de vivre de manière décente de son travail mais également se montrer digne de ces droits et de ce statut. Évidemment, porter un jugement tranché sur l’art est parfois dangereux, mais cela est d’autant plus nécessaire que cet art est menacé.

La déclaration de Mathieu Amalric trouve d’autres résonances, quant à elle moins attendues, dans le paysage du cinéma français. En se posant la question de savoir si le vrai court-métrage - celui qui atteste d’une véritable recherche artistique - ne se trouve pas plutôt dans la compétition « Labo », Amalric attire l’attention sur une autre réalité du cinéma, telle que la décrivait récemment Vincent Dieutre à l’occasion de la sortie de Mon voyage d’hiver. Dieutre expliquait alors que le cinéma ne se considérait plus en soi comme un lieu d’expérimentation mais plutôt comme un média de plus en plus standardisé, avec ses formats et ses codes types. En vertu de ce constat, il rendait compte du déplacement d’une certaine frange du cinéma (dans laquelle il s’incluait) qui, faute d’être la bienvenue dans son propre champ, avait investi un champ connexe, celui de l’art contemporain.

Cette frange du cinéma était bel et bien présente à Clermont-Ferrand et ce, sous deux aspects distincts. Tout d’abord, celui du clip musical. La programmation de deux séances consacrées à ce format fut l’occasion de reconsidérer la nature des clips et le statut de leurs concepteurs. L’industrie musicale elle-même a amorcé un tournant en consacrant des DVD non plus seulement à des groupes de musique mais également à des réalisateurs de clips (voir les DVD consacrés à Spike Jonze, Michel Gondry et Chris Cunningham, édités par Labels). De fait, certains clips par leur recherche formelle (le documentaire, l’animation, la fiction se confondent allégrement), leurs mécanismes (la mise en abîme du processus de création par exemple) et leur beauté plastique (Out of time de John Hardwick, Svefn-G-englar d’August Jakobsson vus à Clermont sont de petits films épurés et touchants) s’apparentent fort à l’art vidéo tel qu’on le trouve dans les galeries ou les musées d’art contemporain. Il ne nous appartient pas, en vertu de critères arbitraires, de trouver dans le clip, l’art vidéo, et le cinéma des similitudes afin de réduire l’un à l’autre. Force est simplement de reconnaître que la vidéo musicale constitue aujourd’hui au sein même de l’industrie musicale, un nouveau champ de création et d’expérimentation dans lequel l’image conquiert une place autrefois exclusivement dévolue à la musique.

Le second genre dans lequel s’exprime une recherche particulière est celui du film fait à partir de films (ce que certains nomment le « found footage »). Il ne s’agit pas ici de remakes à proprement parler puisque ces films ne rejouent pas une scène ni une histoire donnée. Bien au contraire, tantôt ils sillonnent entre les histoires afin d’en recomposer un autre, tantôt ils décomposent les scènes en vue de créer de nouvelles formes et de nouveaux espaces. Le dernier court-métrage de Virgil Wildrich, Fast film, plonge précisément les visages connus du cinéma classique américain (Ingrid Bergman, Rita Hayworth, Gary Grant, etc.) dans un espace relevant autant de l’animation que de la science-fiction. Monté (peux-t-on parler de réalisation ?) par Christoph Girardet et Matthias Muller, Play emprunte quant à lui une quantité de plans au cinéma classique américain pour rejouer les différentes humeurs par lesquelles passe le public d’un spectacle (attente, émerveillement, frayeurs, applaudissements, etc.). Le (re)montage d’extraits de mélodrames hollywoodiens n’est pas récent. Matthias Muller s’était déjà illustré en 1990 avec Home Stories, en s’intéressant à la figure de l’actrice dans les films noirs hollywoodien des années 50 et 60. Ce procédé à été consacré par Martin Arnold qui, avec Pièce touchée, Passage à l’acte et Alone, life wastes Andy Hardy (projeté à Clermont-Ferrand), en a exploré le mieux les richesses à la fois plastiques et sémantiques, donnant à cette occasion une nouvelle résonance aux thèses de Laura Mulvey. Nicolas Provost opère dans un registre différent tout en puisant également ses images dans les vieux films. Avec Bataille et Papillon d’amour (tous deux présentés en compétition), il soumet deux scènes de Rashomon à un effet de miroir. Se rapprochant sur la forme d’artistes tels que Les Leveque (2 Spellbound et 4 Vertigo furent respectivement présentés à Clermont en 1999 et 2000 , il s’en éloigne sur le fond, préférant aux films d’Hitchcock un film entièrement différent dont il s’attache à ne révéler qu’une beauté plastique inédite. De même que le clip musical, ce type de travaux trouve largement son pendant dans le champ de l’art vidéo et rappelle aisément l’œuvre d’artistes tels que Mark Lewis (exposés récemment à la FIAC) et Douglas Gordon.

Considérer ces deux formes de cinéma comme du cinéma à part entière revient à repousser les limites artistiques du cinéma tel qu’il est produit, réalisé et distribué aujourd’hui. Certes, ces formes se sont d’ores et déjà émancipés de l’industrie cinématographique, préférant des canaux de production et d’exposition alternatifs. Mais l’on doit reconnaître que le cinéma, grâce aux espaces de création qu’il fait entrevoir et à sa très riche histoire, gagne d’autres champs de la création, et ne se résume désormais plus à lui-même.

par Matthieu Chéreau
Article mis en ligne le 21 mars 2005 (réédition)
Publication originale 14 mars 2004

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