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Matrix revolutions

L’humain et les machines

Deuxième volet sorti en mai dernier, Matrix reloaded avait engendré deux types de réaction. Il y avait les déçus face à l’overdose d’action et la dispersion de l’univers du Matrix originel et à l’opposé les hyper enthousiastes (dont je faisais moi-même partie) devant l’audace de la surenchère spectaculaire et philosophique proposée par les frères Wachowski. Matrix revolutions devrait à peu près remettre tout le monde d’accord mais pas forcément pour les bonnes raisons.


Soyons clair tout de suite, ce troisième volet est certainement à tout point de vue le plus faible de la trilogie. Les cinéastes avaient crée une telle attente qu’il était devenu difficile de la satisfaire. La séparation des deux derniers épisodes montre ici ces limites. L’univers du film est déjà si parfaitement posé qu’il n’y a plus d’étonnement ou de découvertes. Le troisième volet reprend exactement là où on s’était arrêté avec pour seule fonction de finir l’histoire commencée.

(JPEG) Avec Matrix revolutions, les frères Wachowski ont sans doute adopté un des pires parti pris possible pour mettre un terme à leur trilogie : celui d’expliciter tous les doutes et les interrogations qu’avaient engendrés les deux premiers épisodes par une réponse univoque et simpliste. Alors que jusqu’ici Matrix était un univers ambigu plein de faux semblants, dans ce troisième volet, où sont et ce que font les différents personnages est toujours présenté de manière très claire. Le temps des discussions est terminé. C’est l’action qui prime. Là où Matrix revolutions reste fidèle à l’esprit de Matrix reloaded, c’est qu’il présente un nouvel éclairage sur la trilogie comme si le précédent était déjà avalé, intégré par la machine du film. La logique de prolifération est toujours à l’œuvre. Le syncrétisme des genres, des personnages, des philosophies par exemple n’a pas disparu mais il est devenu une donnée de base de l’univers. Plus de longs combats au sabre, l’essentiel du film se rattache au genre de la science-fiction. Comme pour les deux premiers épisodes, la narration se déploie sous le mode du jeu vidéo. Les personnages sont confrontés à une série d’énigmes et de combats qui les fait avancer vers de nouveaux lieux jusqu’au combat ultime. Chaque étape marque une progression dans la connaissance de soi. Plusieurs séquences dans leur mise en scène même renvoient plus explicitement au jeu vidéo. Il s’agit aussi bien de la mission de sauvetage en vaisseau dans les canalisations menant à Zion, de la fusillade dans le club du Mérovingien et ses plans en caméra subjective que du dernier affrontement entre le héros et le boss, le méchant ultime l’agent Smith.

(JPEG) Si l’on devait définir Matrix revolutions, on dirait que c’est l’épisode le plus humain des trois. Aux recherches théoriques sur les questions du choix et de la liberté individuelle et à la multiplication d énormes scènes d’action, le film substitue l’exploration de sentiments. Ce que l’on avait pressenti sur les deux volets précédents prend ici corps de manière démesurée. Matrix revolutions est d’abord une histoire d’amour. Dès la première scène du film, le thème est posé de manière inattendue par un programme qui a négocié avec le Mérovingien son propre sacrifice contre la survie de sa fille. Ce personnage révèle une des clés de lecture de l’épisode et de la place de celui-ci dans la trilogie. Il rappelle que ce qui compte ce ne sont pas les mots qu’il prononce mais ce qu’il investit dedans. Une forme vide sans fond n’a aucune valeur. C’est à cette recherche de sens que se livrent les frères Wachowski avec Matrix revolutions. Le combat de Néo, de Trinity a pour point de départ l’amour qu’ils se portent entre eux et plus généralement celui pour leur prochain. Ce sentiment les amène à se surpasser. C’est lui qui guide leurs actions secondes après secondes aussi bien que le reste de la résistance aux machines. La révolution vient du cœur, de l’intérieur. Cette mise en avant de l’amour comme moteur du film se teinte d’une dimension un peu perverse. Matrix revolutions est moins sensible à la fusion des corps qu’à la notion de sacrifice. Aimer, c’est littéralement être prêt à perdre sa vie pour l’autre. Les sacrifices sont multiples et de divers ordres dans le film. Néo, Trinity, l’oracle, le premier programme ou un des chefs de Zion mettent tous leur vie en jeu pour s’assurer de la survie de l’humanité. Le personnage clé est celui de la petite fille. Le renouvellement des générations est sans aucun doute la forme de prolifération la plus essentielle. Elle assure la continuité de l’espèce donc de la vie.

(JPEG) Ce retour de l’humain marque également la fin du temps des super héros. Les corps deviennent plus marqués. Jusqu’au sang. L’heure est grave et chaque personnage se révèle plus vulnérable qu’il en avait l’air. Il est beaucoup question de doutes, de peur et de mort. Les personnages n’ont aucun contrôle sur leur futur. Pas même l’oracle. Ils errent dans le noir ne pouvant compter que sur leurs propres ressources. Néo est le parfait symbole de cette évolution puisque lors d’un combat qui survient un peu avant le milieu du film, il devient aveugle. Tout au long de l’épisode, le personnage semble plus en retrait. Les combats avec l’agent Smith qui ne cesse de proliférer pour prendre le contrôle de la Matrice sont très disputés. Ce retour à une dimension plus humaine de chacun permet un certain suspense sur la fin. Les spectateurs comme les personnages ne peuvent avoir que des doutes sur la supériorité des humains sur les machines. Si aucune certitude n’est possible, il ne reste à chacun que la foi et la nécessité d’assumer toutes les conséquences de ses actes. Ce n’est que rétrospectivement que les choses prennent un sens ou pas. Néo n’est pas l’élu. Il s’est fait lui-même en croyant à ses capacités de se surpasser et de faire face à l’adversité. Rien n’est joué à l’avance. L’histoire s’écrit au temps présent. C’est la foi des humains dans leurs propres compétences qui leur donne une possibilité de s’en sortir. Si on renonce par avance, alors le combat ne peut être que perdu.

Matrix revolutions peut professer la supériorité de l’humain et l’importance de l’amour, de manière peut-être pas inconsciente, les frères Wachowski enregistre en réalité exactement le contraire. Ce troisième volet marque sans doute plus que les autres la victoire des machines en partie dans le film mais surtout dans sa réalisation. L’humanisation de Matrix dans ce dernier épisode a beau être une évolution passionnante, elle n’est pas toujours des plus convaincante dans la fiction. Matrix revolutions sombre largement dans les bons sentiments. La scène entre Trinity et Néo dans le vaisseau ou celle où les personnages s’extasient devant un coucher de soleil en sont de bons exemples. Le message répété du début à la fin est amené de manière très peu subtile.

(JPEG) La réussite du film est d’abord visuelle. Matrix revolutions est sauvé de la catastrophe par sa beauté, celle des visions tout en lumière de Néo mais surtout une scène totalement hallucinante placée juste après le milieu de l’épisode. Ce long morceau qui aurait coûté à lui seul 2/3 du budget du premier Matrix justifie quasiment à lui seul l’existence de ce troisième volet. C’est une scène de bataille dans Zion entre les hommes et les machines. La seule où l’on retrouve toute la démesure et de la jouissance qu’avait pu procurer le deuxième épisode. L’espace d’un instant, Matrix revolutions se transforme en un spectacle de son et lumière d’une incroyable légèreté. Les machines se déplacent en tournoyant sur elles-mêmes comme dans un ballet un peu mystérieux. Le film dépasse alors le simple cadre de la science-fiction et du film d’action pour toucher à la poésie. Un moment inattendu, de toute beauté que l’on doit d’abord aux ordinateurs. Les humains ont quasiment disparu de l’écran.

Avec la foi de cinéastes visionnaires dans les capacités de leurs outils techniques, les machines sont donc capables de révolutionner ce que l’on a l’habitude de voir au cinéma. Avec cette formidable séquence, les frères Wachowski prenne une nouvelle longueur d’avance sur toute la concurrence. Les hommes et les machines peuvent faire la paix pour un temps. Si Matrix revolutions est décevant, la trilogie se place toujours un cran au-dessus que ce que le genre nous a offert jusqu’ici. En attendant d’être un jour surpassé par d’autres.

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 7 mai 2004 (réédition)
Publication originale 6 novembre 2003

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