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Le dialogue imaginaire ou le silence du spectateur ?

D’une belle exigence esthétique et d’une réelle maîtrise de l’art scénique, le premier spectacle monté par Arthur Nauzyciel est également emblématique d’un rapport personnel au théâtre, à la limite du privatif.


Savoir si un auteur de théâtre inscrit dans ses pièces un exutoire de son histoire intime est un débat récurrent du milieu artistique. En 1999, la Compagnie 41751 de Nauzyciel inaugure son travail en prenant fortement position sur cette question : oui, la dernière oeuvre de Jean-Baptiste Poquelin est hautement autobiographique, il faut donc la jouer comme une mise en scène de la famille de Molière elle-même. Et comme dans une dissertation d’élève appliqué de khâgne, le spectacle s’articule entre sa pièce et celle de Giovanni Macchia sur lui : Le silence de Molière. Dans cette dernière, ce sont les voix des membres de sa famille qui s’expriment autour de son silence, silence qui aurait pour raison centrale l’expression de l’artiste dans ses oeuvres.

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BERALDE

"Les comédiens ont fait un petit intermède de la réception d’un médecin, avec des danses et de la musique ; je veux que nous en prenions ensemble le divertissement, et que mon frère y fasse le premier personnage."

Le malade imaginaire, Acte III scène 14


C’est le formidable travail de sous-texte sur Le malade imaginaire qui a donc inspiré tout à la fois les décors, la mise en scène et le jeu des comédiens. À la limite de l’abstraction, l’espace scénique est quadrillé de grands panneaux tissés semi-transparents, à la fois murs et métaphore de l’aspect multi-couches du texte. Le fait que, durant le spectacle, ils soient peu à peu supprimés, s’accordent d’une part avec le désir de l’artiste de rompre le silence avec les siens, d’autre part avec l’avancée faite et par Nauzyciel et par le public dans la compréhension du sens caché de l’oeuvre.
Et la volonté d’évoquer le théâtre dans le théâtre se trouve aussi confronté à certaines difficultés intrinsèques au thème : par exemple, comment jouer le spectateur ? On sent ici davantage qu’ailleurs l’envie d’une jeune compagnie de tordre le cou à une tradition étouffante, tradition qui, pourtant, se nourrit des échecs des anciens. Le fait de placer Molière au beau milieu du public est à double tranchant. D’un côté, il légitime à merveille la distance que les comédiens incluent dans leur jeu face à la présence du metteur en scène. De l’autre, plus que triturer la séparation entre le plateau et la salle, il déplace le lieu de la scène en l’affaiblissant, par le refus du public à se laisser manipuler.

Ce refus est explicite à de nombreuses reprises, lorsqu’il s’agit de l’interprétation de la pièce et du jeu des acteurs. Sans doute manque-t-il de clés plus visibles. Sinon, comment comprendre qu’un comédien qui joue l’absence de concentration d’un comédien n’est pas un comédien déconcentré ? Comment apprécier la mise en scène de ce trait si particulier du génie de Molière, le premier et meilleur observateur de lui-même, dans la scène 3 de l’acte III, si l’on ne voit pas que c’est d’abord Molière et non Argan que joue Jean-Philippe Vidal ? Et encore, comment voir dans la réaction doucement amusée et complice de Béline, plutôt que cynique et sans amour, face à la mort simulée de son mari, non pas une erreur de compréhension de la pièce, mais plutôt le plaisir d’une femme à réciter le texte que son mari paranoïaque a voulu placer dans sa bouche ?
Le refus s’entend par le décalage des réactions du public, riant par exemple non pas du plaisir des comédiens à répéter une scène en la surjouant, mais du surjeu montré lui-même. Dans ces moments, rarement est aussi visible le fait qu’un spectacle doit trouver son public pour exister. Tout comme pour Molière a ses débuts, à la recherche de son public sur les places de villages de France. Heureusement pour nous, Nauzyciel ne semble pas rancunier de l’ironie du sort. Car ce premier spectacle laissait déjà entrevoir une richesse artistique indéniable, au point que, cinq ans après, on lui permet de revivre, l’espace d’une quinzaine. À retenir, et à suivre...

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Argan

« ARGAN
C’est un bon impertinent que votre Molière, avec ses comédies ! et je le trouve bien plaisant d’aller jouer d’honnêtes gens comme les médecins !

BERALDE
Ce ne sont point les médecins qu’il joue, mais le ridicule de la médecine.

ARGAN
C’est bien à lui à faire, de se mêler de contrôler la médecine ! Voilà un bon nigaud, un bon impertinent, de se moquer des consultations et des ordonnances, de s’attaquer au corps des médecins, et d’aller mettre sur son théâtre des personnes vénérables comme ces messieurs-là.

BERALDE
Que voulez-vous qu’il y mette, que les diverses professions des hommes ? On y met bien tous les jours les princes et les rois qui sont d’aussi bonne maison que les médecins.

ARGAN
Par la mort non de diable ! si j’étais que des médecins, je me vengerais de son impertinence ; et, quand il sera malade, je le laisserais mourir sans secours. Il aurait beau faire et beau dire, je ne lui ordonnerais pas la moindre petite saignée, le moindre petit lavement ; et je lui dirais : "Crève, crève ; cela t’apprendra une autre fois à te jouer à la Faculté."

BERALDE
Vous voilà bien en colère contre lui.

ARGAN
Oui. C’est un malavisé ; et, si les médecins sont sages, ils feront ce que je dis. »

Le malade imaginaire , ACTE III Scène 3

par Maxime David
Article mis en ligne le 11 juin 2004

Informations pratiques :
- pièce : Le malade imaginaire ou le silence de Molière
- auteur : Arthur Nauzyciel
- metteur en scène : Arthur Nauzyciel

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