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La mania dans Macbeth

Le Tiers Théâtre a offert une très belle soirée. Impressionné par leur performance (2h30 sans entracte), on ne peut qu’être touché par leur jeu convaincant, les costumes beaux et pertinents, un lieu à la fois original et utilisé de manière très intelligente et une musique qui souligne les passions des âmes.


Le violoncelle en est leur chant et la nuit tombe, comme la pièce s’obscurcit. Un thème de la pièce de Shakespeare, ce serait la folie du héros éponyme, mais aussi celle qui s’empare de Lady Macbeth et, finalement, de tous les personnages.

Le dramaturge a écrit que "le monde est une scène dont nous sommes les personnages". Cette pièce en est encore la démonstration. Homme de valeur, ayant maintes fois prouvé sa loyauté envers le roi, Macbeth devient comme le jouet de son destin, "incarné" ou spiritualisé par les trois soeurs, avatars des Erynnies mais qui, conduites par la triple Hécate, ne se transformeront pas, elles, en Euménides.

Entre la manteia et la mania grecques, d’ailleurs aussi bien démence que délire prophétique, il n’y a qu’un pas. La manteia, la faculté de prédire, est l’attribut de ces sorcières qui, dans une danse presque bacchique, donnent à Macbeth la vision de son ascension. Elles lui donnent aussi cette hubris si fatale : conscient de sa grandeur future, il va chercher à l’atteindre sans mesurer la fin aux moyens, délibérément. Comme aveuglé par la tentation et la révélation de son accession au pouvoir, cette âme noble va donc se salir les mains, sans jamais pouvoir les nettoyer du crime commis.

Et c’est ainsi que la mise en scène montre très bien à la fois cette folie insufflée chez Macbeth qui lui donne force et courage, le comédien se tordant en arrière de fierté et d’assurance, et cette lâcheté, qui est mis en lumière dans la solitude et que Lady Macbeth sait si perfidement faire disparaître. Alors que celle-ci lui susurre, sous son aspect doux et tendre, des mots de haine et d’hypocrisie et se propose même de se charger de la sale besogne, Macbeth n’avait pas encore vraiment réalisé ce qu’il voulait faire. Il avait bien dit au fidèle Banquo qu’il faudrait s’entretenir sur ces étranges prédictions, mais rien n’était dit. Inspiré par son épouse, Macbeth a un sublime monologue où l’ambition combat la loyauté et la pitié, mais plus que ces deux vertus, c’est la peur d’échouer qui triomphe d’abord, et celle de la sentence suivant implacablement l’acte infâme. Mais sa femme encore tentatrice lui redonne ce courage qui vacillait.

Le moment de la décision, du basculement irrévocable, c’est aussi celui où Macbeth tombe dans la démence ; des visions le reprennent, il voit un poignard et l’interpelle et hésite : est-ce imagination d’un cerveau en feu ou bien cette arme si palpable qui le pousse vers sa victime ? Ce "cerveau en feu" est en prise à ses propres démons, les extériorisant sous la forme de visions. Visions morbides qui vont de ce poignard au spectre de Banquo. Car qui a tué tuera, et le crime ne laisse plus de repos.

Le mot "amen" se bloque dans la gorge de Macbeth, tandis que tous les autres personnages font preuve de piété, s’en remettant à Dieu ou levant les yeux vers les cieux. Lady Macbeth lui dit que penser ainsi ces actions rend fou et c’est ce que Shakespeare et le jeu du comédien nous montrent : la folie se distille et s’instaure dans un être qui se transforme sous nos yeux, pire que le diable. "Connaître ce que j’ai fait ! Mieux vaudrait ne plus me connaître !", s’écrie Macbeth. Pris dans les rets de la tragédie, Macbeth montre qu’il n’y a pas de "être ou ne pas être soi-même", il y a un homme dont l’existence se forge sous nos yeux dans les affres du crime et de la sentence. Les êtres surnaturels grouillaient dans les esprits des Elizabéthains comme il grouillent dans les pièces de Shakespeare. Le fantôme de Banquo en est un parangon, celui du remords qui assaille l’esprit morbide de celui qui commet délibérément un crime. Que le crime n’épargne aucune âme, même la plus noire, le personnage de Lady Macbeth en donne la preuve : somnambule, elle veut se laver de son forfait et se trahit ainsi. Commettre un crime, c’est aussi être sous son joug, devoir l’extérioriser de quelque façon que ce soit. C’est quand une prédiction des sorcières paraît à Macbeth aussi invraisemblable qu’une vision, que l’ironie est totale : la prédiction se réalise, la forêt de Birnam marche vers la colline de Dunsinane.

Malcolm, qui deviendra le nouveau roi, veut paraître noir, plus noir encore que son prédécesseur. Mais ce n’est qu’un test, car, dans cette folie qui s’insinue partout, même le fidèle MacDuff est soupçonné. Et dans la douleur de ce dernier, gît aussi la folie, celle de la vengeance. Il est fou de douleur, selon l’expression, mais aussi avide de la vindicte qui, pourtant, ne lui rendra rien de son bonheur ancien. Ce que nous dit Shakespeare, c’est que chaque homme peut mettre au jour une part insoupçonnée de lui-même. Contre les dires de sa femme, Macbeth n’est pas devenu "plus homme".

Plus qu’aucune autre des pièces de Shakespeare, Macbeth est un drame humain.

par Elsée
Article mis en ligne le 28 octobre 2005 (réédition)
Publication originale 5 juin 2002

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