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Les paravents, de Jean Genet

Pari risqué d’une chronique d’un monde en pleine décadence. À travers une peinture originale de la décolonisation algérienne, Les Paravents érigent une sorte de monument aux morts (et à la mort elle-même) théâtral et poétique qui, à trop vouloir illustrer le chaos et l’absurde, finit par sombrer dans ces mêmes travers.


Avant même que la pièce n’ait commencé, on pénètre sur un champ de bataille. Le sol des marches qui mènent à la scène est jonché de casques de soldats et d’ouvriers, au milieu desquelles sont éparpillées toutes sortes d’objets familiers alors que le rideau de fer, abaissé, semble présager le pire. L’atmosphère angoissante qui nous accueille est légèrement atténuée par le décor de souk qui s’ouvre à nos yeux et l’arrivée du "héros" en la personne de Saïd, accompagné par sa mère, figure emblématique de la femme algérienne et incarnation de la Mère Patrie.

Saïd est sur le point d’épouser Leïla, qui est laide. Cette perspective le réjouit peu, mais elle est incontournable pour ce jeune Algérien sans le sou. Il s’y plie donc de mauvaise grâce, non sans envisager de s’exiler en France pour faire fortune et se trouver une autre femme. Cette volonté d’échapper à la fatalité de son sort va bouleverser son destin. De simple serviteur sans fortune (et qui plus est, voleur) de ses maîtres de colons, Saïd va peu à peu devenir une sorte de héros national qui effraie les plus arrogants représentants de la puissance colonisatrice, incarnée par un Sir Harold géant et grotesque dans sa vulgarité à l’égard des arabes.

On assiste ici à un véritable défilé de personnages plus ou moins énigmatiques, mais tous symptomatiques de cette colonisation et du conflit qu’elle a engendré. Ces personnages ont tous quelque chose d’irréel. De toute évidence, la pièce se joue des conventions du théâtre et cela apparaît avant tout dans les personnages. Vêtus de toiles cirées en guise de manteaux ou de robes exubérantes, ils semblent tout droit sortis d’un film des Monty Python plus que de l’histoire de la décolonisation. L’incarnation de l’armée française en un lieutenant obsédé par l’esthétique et interprété par un Dick Rivers plus naturel que jamais en dit long sur le sujet.

Que ce soit les costumes ou l’interprétation du texte (lui-même déjà fortement perturbé), tout ici tend à illustrer le chaos et l’absurde qui règnent sur cette colonisation en déclin. Le moindre son, le moindre sentiment sont exacerbés, créant l’impression que l’animal prend le dessus chez les êtres humains. Le personnage de Leïla est indéniablement l’illustration de la sauvagerie de cette guerre. Son arrivée sur scène à quatre pattes et ses cheveux en guise de voile (nous ne verrons jamais son visage tout au long de la pièce) ou encore ses accès de fureur et son langage animalier (dans ses dialogues avec Saïd) font d’elle un personnage à la fois mystérieux et violent. On finit pourtant par éprouver à son égard une sorte d’attendrissement qui touchera même son mari, malgré le dégoût qu’elle lui inspirait au départ.

Tout finit pourtant par devenir excessif à commencer par la longueur du spectacle. Le jeu avec les conventions et la volonté de dérouter le spectateur en deviennent agaçants. Jean-Baptiste Sastre a pris certaines libertés par rapport aux instructions scéniques de Genet, ce n’est pas, en soi, problématique, mais elles tendent à accroître le flou des situations et c’est regrettable. Certains épisodes ou personnages auraient gagné à être moins développés pour ne garder que l’essentiel : l’irrémédiable chute qui précède la fin d’une époque et l’accomplissement des personnages dans leur rencontre avec l’au-delà tandis que les combattants vivants revendiquent la seule légitimité possible.

par Sébastien Justine
Article mis en ligne le 27 mai 2003

Informations pratiques :
- pièce : Les Paravents
- auteur : Jean Genet
- metteur en scène : Jean-Baptiste Sastre

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