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Bruno Peinado et Daniel Buren

Exposition au Palais de Tokyo à Paris du 14 mai au 22 août 2004

Pour se rendre au Palais de Tokyo dans les meilleures conditions, mieux vaut laisser devant la porte ses préjugés sur le Beau dans l’art et être prêt à voir et à accepter ce que l’on vous montre. Cette fois-ci, les sens du visiteur se confronteront à Daniel Buren et à Bruno Peinado.


L’entrée du Palais se fait par l’installation de Daniel Buren, vaste jeu de miroirs et de ronds de couleur, intitulé initialement Deux fois moins ou deux fois plus et renommé après modification du jeu de miroirs Quatre fois moins ou quatre fois plus. L’habitué du lieu est agréablement surpris par cette installation qui s’intègre naturellement dans son environnement, le visiteur occasionnel peut même penser que ce montage constitue la décoration traditionnelle, l’habillage quotidien de ce centre de création contemporaine. Il faut rappeler que le Palais de Tokyo est, dans son architecture, un work in progress. Structure de béton brut non achevée, cet espace d’exposition, lorsqu’il n’est pas orné de l’installation de Daniel Buren, ne peut qu’étonner le visiteur avec ses câbles et son coffrage apparents. La raison de ce laisser-aller architectural ne ressort pas, selon les administrateurs du Palais de Tokyo, d’un choix esthétique mais relève prosaïquement de la minceur des crédits accordés pour aménager ce lieu. L’ouvrage de Daniel Buren sert donc temporairement de camouflage. Pénétrant cette installation, le visiteur est enveloppé et déshabillé par ce jeu de miroirs, qui le confronte à sa propre image anamorphosée et à celle de la pièce dont les contours perdent leur netteté. L’œuvre de Buren est un montage dans lequel on passe et déambule, l’œil alerte, et grâce auquel on peut jouer quelques brefs instants avec son reflet... Un seul regret : que l’artiste et les cafés Illy, mécènes de l’exposition, n’aient pas osé aller plus loin en transformant l’ensemble du Palais en grand jeu de miroirs et de ronds. Là, on se serait vraiment amusé.

Bruno Peinado, Black Bibendum - 2.9 ko
Bruno Peinado, Black Bibendum

Après avoir traversé l’entrée orchestrée par le maître Buren dont la réputation n’est plus à faire, le visiteur voit se répandre devant ses yeux le bric-à-brac Pepertuum Mobile (mouvement perpétuel, en latin) de Bruno Peinado. Artiste connu des visiteurs de la Galerie Loevenbruck ou du Palais de Tokyo, Peinado réalise ici sa première grande exposition personnelle. L’homme au Black bibendum décline comme à son habitude matière culturelle et vecteurs de la communication dans le grand métissage qui lui est si cher. Que faut-il en penser ? Crier au scandale en voyant les crédits publics s’engouffrer dans ces « objets d’arts » éloignés de toute transcendance ? Changer son état d’esprit ? Peut-être. Il s’agit d’une part de respecter la programmation du Palais sans se livrer à la comparaison, toujours dangereuse, entre le coût, l’origine des moyens financiers et la qualité apparente du travail. Il faut, d’autre part, revoir les attentes esthétiques relatives à certaines créations contemporaines. Ces deux pré-requis seraient certainement des moyens efficaces pour aider à la réception du travail du plasticien Peinado. Son art se veut militant, favorisant le fond (sans doute) au détriment de la forme (assurément) . Cette rupture avec les traditions esthétiques, rupture fréquente de nos jours, suscite forcément la réflexion. L’attitude contemplative du visiteur ne sied guère à ce genre de productions. Il faut questionner l’œuvre, le plasticien et éventuellement se tourner vers les médiateurs du Palais, pour tenter de donner un sens, parmi les divers sens possibles, à ces œuvres. Quelques indices ont été semés le long du parcours du visiteur mais aucune réponse ne semble être meilleure qu’une autre. A la différence des travaux particulièrement attentifs à la forme, qui se passent aisément d’un discours enveloppant, les œuvres de Peinado semblent incomplètes sans le recours à la parole ou à l’écrit.

Bruno Peinado - 3 ko
Bruno Peinado

Cet espace dédié à Peinado s’ouvre sur un serpent boule à facette, et est envahi par une douzaine de mobiles noirs (Flash Back) suspendus au dessus des œuvres. Sur la droite, un cadre figure l’interdiction qui apparaît sur votre ordinateur lorsque vous souhaitez copier un passage de votre page « Image Unavailable due to copyright restrictions », rappelant que le travail de Peinado consiste à créer à partir de l’existant, qu’il malaxe, déconstruit et reconstruit. Au fond de l’espace, le plasticien a repris une de ses anciennes œuvres, Good Stuff (bon matériau), qui est dérivé d’un jeu de carte illustrant la mixité sociale et destiné à l’éducation populaire. Juste derrière, un rectangle volumineux blanc est posé sur le sol. On en fait le tour consciencieusement. Y a-t-il une porte ? Une entrée ? Une écriture ? Non, rien de tout cela. On lève les yeux, intrigué, et notre regard rencontre une paire de boules qui s’illuminent et qui sortent de ce qui semble être une boîte à chaussure. Perplexe on se dirige vers le feuillet explicatif... et l’on comprend toute l’influence qu’ont eu les Gremlins sur cette œuvre. Plus loin, un mur anguleux figure l’intérieur de la couverture des albums du héros Belge d’Hergé, insistant sur les généalogies et les parentés. La fameuse Mire orne le dernier espace d’exposition dédié à l’artiste, mélange de culture noble (utilisation des majoliques pour donner à la mire l’aspect de mosaïque) et de culture de masse (objet populaire). Enfin, pour clore cet espace, un gigantesque mur, orné de paraboles grisées et d’antennes silencieuses accueille le spectateur. Et toutes les vingt minutes, le visiteur sursaute. Un bruit sourd de moteur monte, la bétonneuse s’anime, les boules de la boite à chaussures s’illuminent et un courant d’air frais tente mollement de faire bouger les mobiles. Quelques minutes après, le calme revient. Ainsi donc, ce souffle fait parti de l’œuvre de Peinado, qui dit « vouloir faire respirer l’espace ». En tous les cas, au minimum, ce souffle le ventile...

Intérieur du Palais de Tokyo - 12.2 ko
Intérieur du Palais de Tokyo

Après avoir visité l’exposition Playlist du Palais de Tokyo, dans laquelle Bruno Peinado avait exposé une oeuvre, il est difficile d’émettre une autre opinion que celle émise à l’époque. Nouvelle sensation de lassitude, de compréhension limitée, de discours soit fictif soit trop peu développé et surtout vague impression que les oeuvres sont faites par et pour une certaine catégorie de plasticiens qui pratique une langue particulière, inconnue des chalands. Sensation d’autisme, de repliement sur soi...Il semblerait que pour apprécier ces œuvres à leur « juste » valeur, il faille se livrer à une véritable exégèse du discours tenu par le plasticien dans son œuvre. Arriver non préparé au déroulement de la pensée de Peinado, ce serait garantir une forme d’échec dans la perception de la signification des installations de l’artiste. Arriver préparé, c’est reconnaître que l’œuvre ne se suffit pas à elle-même, qu’elle réclame une béquille textuelle. Pourquoi pas. Mais il faudrait peut-être dans ce cas précis revoir l’agencement même de l’exposition pour fournir cette béquille textuelle. Il n’est pas possible de présenter de façon similaire La Barque de Dante de Delacroix, devant laquelle on tombe à genoux, sans autre forme d’explications, emporté par la spontanéité de l’émotion, et une bétonneuse ornée de strass qui se met à vrombir toutes les vingt minutes.

par Aurore Rubio
Article mis en ligne le 22 juin 2004

Informations pratiques :
 artiste : Daniel Buren et Bruno Peinado
 dates : du 14 mai 2004 au 22 août 2004
 lieu : Palais de Tokyo, 13 avenue du Président Wilson 75116 PARIS, métro Iéna-Alma Marceau, tél : 01 47 23 54 01 fax : 01 47 20 15 31
 tarifs : tarif plein 6 euros réduit 4 euros

Site internet du Palais de Tokyo

nota bene : si vous tentez d’ouvrir le lien du Palais de Tokyo et si rien ne s’ouvre, c’est que vous avez un killer de pop’up, le site du Palais de Tokyo ayant eu la bonne idée d’utiliser des pop’up à foison.

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