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L’art contemporain et ses institutions : l’équilibre est-il rompu ?

Le spectateur habitué aux expositions d’Art Contemporain, aux visites dans les Centres d’Art, ne manque pas de remarquer leur similitude. Celles-ci présentent presque toujours une déclinaison d’oeuvres inachevées, précaires, toutes faites, qui écartent les supports et matériaux conventionnels et n’hésitent pas à décloisonner les champs d’activités culturels tout en affirmant éventuellement leur refus de plaire.


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Richard Long

Ces véritables formes paroxysmiques des idées du mouvement préromantique symbolisées par tout un éventail de créations minimalistes, de performances, d’installations, où l’artiste devient tout à tour acteur, metteur en scène, ont pour une grande part occulté les techniques utilisées jusqu’ici comme le dessin, la peinture, ou la sculpture. Les adeptes du conceptuel ayant déprécié l’image au profit de l’idée ont fort normalement écarté ces moyens classiques, jugés insuffisants et peu appropriés à leur mode d’expression. Néanmoins, les procédés inhabituels employés dans leurs productions rendent la finalité de celles-ci délicate à établir et ils permettent difficilement de les rattacher au domaine des arts.

En effet, il est permis de croire que certaines créations sont le simple fait du hasard, que d’autres, sont le reflet d’un travail artisanal. A titre d’exemples, les pierres disposées en spirales de Richard Long pourraient très bien représenter le fruit d’une recherche archéologique. Les tables de Philippe Ramette, la fabrication d’un menuisier. Quant à la tendance purement conceptuelle, le sublime voudrait que les « oeuvres » ne restent qu’à l’état mental, ce qui les apparente à la philosophie. Aussi, devant un tel éclatement des frontières, une telle confusion des genres, conduisant parfois jusqu’au nihilisme de la non-production, il semble possible d’évoquer un point de rupture

Par ailleurs, comme le souligne Fabrice Thuriot, les auteurs de ces oeuvres conceptuelles et minimalistes, en règle générale peu tolérants, n’hésitent pas à revendiquer, avec le soutien des Institutions, l’exclusivité de leur seule appartenance à l’art contemporain. « Or, si l’on admet que la notion d’art intègre forcément et cumulativement celles d’esthétique et de réflexion sur son environnement et sur le monde, et si contemporain veut bien dire actuel, vivant, de son temps, alors on perçoit l’imposture de l’appropriation de la locution « art contemporain » par l’art conceptuel essentiellement. En arts plastiques tous les genres coexistent, ce qui empêcherait normalement de qualifier de contemporain l’un plus que l’autre, sauf par usurpation comme tel est le cas actuellement.

Si l’on compare avec la danse, l’opposition classique/moderne, contemporain prend une autre signification. Dans les arts plastiques, la convention d’originalité a remplacé progressivement la convention académique, surtout à partir du romantisme du XIXème siècle. Mais elle a fini par s’affranchir de toute contrainte au point de vider la liberté et l’originalité de leur force de proposition et de former un nouveau système fermé. En danse, après une période de guerre ouverte, la rigueur de la formation classique est dorénavant revendiquée par la danse moderne et contemporaine. La danse classique ne se consacrant qu’au répertoire, ceci laisse le champ libre aux autres chorégraphies ».

Alors, après avoir constaté l’émancipation extrême de l’Art Contemporain, il apparaît peut-être d’ores et déjà possible de penser qu’une conception moins radicale que celle proposée par les tenants du conceptuel permettrait, non seulement d’ouvrir de nouvelles voies, mais également de retrouver quelques repères.

Vers un autre crédit et de nouvelles perspectives ?

Philippe Ramette, Tables à reproduction - 8.4 ko
Philippe Ramette, Tables à reproduction

L’académisme de la peinture classique est un académisme du « signifiant ». D’ordinaire, les portraits, paysages, scènes diverses... sont traités de la façon la plus réaliste possible, en respectant les conventions, les acquis et la tradition. L’évolution dans la manière et dans la perception des choses paraît lente et sans rupture.

Au contraire, avec l’art moderne apparaissent de nombreux mouvements, parfois brefs, parfois en opposition, qui remettent en cause les règles et bouleversent les habitudes. Par ailleurs, la vulgarisation simultanée de la photographie accentue encore davantage la remise en question de la représentation figurative, puisqu’à travers ce moyen mécanique celle-ci devient presque parfaite et à la portée de tous.

Dans l’art contemporain d’avant-garde ou reconnu comme tel, l’académisme du « signifiant » disparaît au profit d’un académisme de substitution, le « signifié ». Au réalisme du sujet de la peinture classique qui respecte les formes, l’expression contemporaine oppose en quelque sorte l’abstraction et l’hermétisme de son langage. L’objectif avoué de l’art contemporain est d’innover dans la plus totale liberté. Pour conserver sa raison d’être, la « peinture » d’avant-garde doit constamment se renouveler en créant de multiples formes d’expression et d’expérimentation, qui parfois même en arrivent à n’avoir plus aucun rapport avec des considérations d’ordre esthétique et pictural. De cette manière, la représentation de l’image et sa signification se sont trouvées progressivement mises à l’écart par la plupart des mouvements actuels, reconnus et généralement aidés. En privilégiant la conception mentale sur la réalisation matérielle, en montrant qu’il a parfaitement assimilé les préceptes de Duchamp/Malévitch, il semble désormais acquis que l’art d’avant-garde a finalement remplacé le sens intrinsèque -visuel- de l’oeuvre par l’unique valeur des mots et des explications.

En réaction et pour s’inscrire dans la logique de la pensée de Kant mais peut-être également dans celle de l’histoire de l’art où rien n’est définitivement arrêté, il est sûrement possible de concevoir dans un avenir relativement proche que la peinture retrouvera crédit auprès de la critique et des pouvoirs publics. Alors, au contraire de ce qui se passe actuellement, la démarche créative ne sera pas purement intellectuelle ou conceptuelle avec comme but l’ignorance presque systématique de cette peinture, mais pourra devenir une synthèse de la représentativité avec sa propre modernité, basée par exemple, sur la faculté émotionnelle et le pouvoir de communication de l’image.

Aussi après un siècle d’art moderne avec ses tendances diverses autant que nécessaires, qui ont exploré toutes les formes d’expression, y compris les plus extrêmes comme on l’a vu précédemment, un retour vers un art réhabilitant des procédés conventionnels ouvrirait paradoxalement de nouvelles perspectives. En tous cas, cet art contemporain qui ne négligerait plus la peinture serait déjà le signe d’une plus grande objectivité, d’une plus grande démocratie

par Marc Verat
Article mis en ligne le 9 juin 2004

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