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Jacopo Ligozzi, un dessinateur à la cour des Médicis

Exposition au Musée du Louvre du 27 janvier au 25 avril 2005

Une petite exposition surprenante ne manquera pas d’étonner les visiteurs qui s’aventureront dans l’Aile Denon du Louvre, puisqu’une cinquantaine de planches pour le moins fascinantes les y attendent jusqu’au 25 avril. Celles-ci présentent, sur une période d’ environ un demi-siècle, des oeuvres significatives de celui qui fut le maître à dessin de Marie de Médicis : Jacopo Ligozzi (vers 1550-1627).


Les stratégies argumentatives d’un discours graphique sur la mort

La grande majorité des oeuvres exposées aborde avec plus ou moins d’ostentation le thème de la mort ; voilà pourquoi nous avons choisi, pour rendre compte de cette exposition, d’étudier comment cet imaginaire s’y incarne.

Beaucoup de ces représentations de la mort s’appuient sur un « intertexte » biblique. Ainsi, deux allégories issues de la série dite des Sept Péchés capitaux, celle de la paresse et celle de la luxure, mettent en scène, non sans érotisme, les tentations d’une « mort spirituelle » qui fait fi de la « Loi » divine. On remarquera également un ensemble d’oeuvres consacrées à des martyrs tristement célèbres : un tryptique vient rappeler les supplices infligés au Christ tandis que plusieurs autres dessins font référence au martyre qu’endura sainte Catherine d’Alexandrie. Enfin, au détour des allées, on assiste également à d’autres épisodes bibliques liés à la mort : Le Christ au jardin des Oliviers et la Résurrection de Lazare. L’ensemble de ces oeuvres relève de façon évidente d’un certain catéchisme visuel, inspiré, nous explique-t-on, par le mouvement de la Contre-Réforme. Si ce ne sont pas les oeuvres les plus spectaculaires de l’exposition, elles n’en sont pas moins remarquables par les effets de dramatisation qui s’opèrent en elles.

D’autres dessins mettent en scène une mort plus païenne mais aussi plus ostentatoire. La mort prend alors les traits d’un squelette narquois qui n’est pas sans rappeler ceux que Hans Baldung Grien a peints au début du seizième siècle. Dans ces « portraits de la mort en action », la mort qui frappe est présentée comme triomphante : l’Allégorie de la Mort chasseresse est très éloquente de ce point de vue puisque la mort a la tête ceinte de lauriers. Ces tableaux ne sont pas sans rappeler les danses macabres médiévales, mais la précision des figures squelettiques ainsi que certaines de leurs poses incitent le spectateur à se pencher sur l’influence des représentations anatomiques (qui se développent notamment au seizième siècle) sur l’oeuvre de Ligozzi.

Cartouche avec symboles macabres et un crâne chevelu - 14.6 ko
Cartouche avec symboles macabres et un crâne chevelu

Un dernier ensemble de dessins, sans doute le plus spectaculaire, présente des « cartouches macabres » à valeur moralisante. Les insignes du pouvoir terrestre (lauriers, couronnes, sceptres, crosse épiscopale) y sont encadrés de symboles macabres que relaient parfois des devises. On remarquera tout particulièrement la devise Sic transit gloria mundi (« Ainsi passe la puissance fastueuse du monde terrestre ») qui reprend les paroles qu’on adressait jadis au souverain pontife à l’occasion de son couronnement dans le but de lui faire prendre conscience de la fragilité de la puissance terrestre. On remarquera par ailleurs les figures et ornements chimériques qui peuplent également ces « enluminures macabres » (anatomies surprenantes et monstrueuses, crânes chevelus, hippocampes sylvestres, drapés mortifères) et qui tranchent avec le réalisme de certains squelettes et celui des figures animales.

Cette exposition présente, on l’aura compris, un intérêt certain pour les amateurs de « curiosités macabres », et ceci malgré une disposition des oeuvres un peu austère et un parcours qu’on aurait pu souhaiter plus « pédagogique »... Il est cependant également vrai que le fait de « pré-mâcher » la compréhension des oeuvres aurait incité le visiteur à passer plus rapidement sur celles-ci alors que l’appréciation de la richesse de leur composition nécessite précisément du temps. L’exposition que présente le Louvre peut en effet se visiter en 10 minutes comme en une demi-heure, mais je ne saurais qu’inciter le spectateur à prendre le temps de se laisser envoûter par les métamorphoses qui envahissent les cartouches, par l’univers sonore (si si !) de ces oeuvres où les crânes semblent apostropher le passant, rire, mugir, hurler, et enfin par la poésie plus mesurée des oeuvres explicitement « religieuses ».

Les commentaires relatifs aux oeuvres sont également intéressants et les visiteurs qui prendront le temps de se pencher sur eux seront surpris par la diversité des éclairages apportés. Ainsi, sur de vastes panneaux sont relatés les évènements importants de la vie de Ligozzi ; les techniques (le dessin « naturaliste » notamment), motifs et sources d’inspiration étant plutôt abordés au fur et à mesure des dessins. Un petit regret quand même : il aurait été intéressant de savoir si cet artiste a influencé les artistes français notamment à l’époque de Catherine de Médicis et d’Henri IV.

Néanmoins, et pour conclure, on ne saurait que conseiller à ceux qui prévoient d’aller au Louvre de passer par l’Aile Denon afin de se rendre compte par eux-mêmes de la virtuosité cet artiste. Préoccupé pour ne pas dire obsédé par les problématiques religieuses de son temps, il usa pourtant des ressorts de l’ornementation païenne faisant alors oeuvre, pour reprendre l’expression baudelairienne, de « sorcellerie évocatoire ».

par M.W.
Article mis en ligne le 28 mars 2005

Les photos qui apparaissent dans cet article sont issues du site Internet du Louvre et sont la propriété de la RMN.

Informations pratiques :
 artiste : Jacopo Ligozzi
 dates : du 27 janvier 2005 au 25 avril 2005
 lieu : Musée du Louvre, Aile Denon 1er étage, salle 9 et 10, 75 001 PARIS.
 horaires : tous les jours sauf le mardi, de 9h à 17h30 et jusqu’à 21h30 le mercredi et vendredi.
 tarifs : Accès libre avec le billet du musée
 renseignements : http://www.louvre.fr/

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