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KO Podium, de Yann Moix

Avec Podium, Yann Moix, juge et partie, manque le coche

Pour son quatrième roman, Yann Moix, écrivain à succès, s’attaque à un problème qu’il connaît bien : celui de la célébrité. Avec Podium, le strass et les paillettes sont au rendez-vous, mais ce reality-show littéraire échoue, comme ses homologues télévisuels qu’il veut stigmatiser, à nous en mettre plein la vue.


Itinéraire d’un enfant raté des yéyés, Podium retrace les tribulations de Bernard Frédéric, sosie inconnu de Claude François, qui brûle d’accéder enfin au statut d’"officiel" en participant à l’émission "C’est mon choix" consacrée aux sosies du siècle. Flanqué de ses "Bernardettes" et de Couscous (le narrateur), ex-sosie de Cloclo reconverti en C-Jérôme ("moins lucratif, mais plus ressemblant"), "Narnard", porté par l’adoration sans borne qu’il voue à son idôle, se lance dans une véritable croisade pour la gloire médiatique, ponctuée de nombreux tournois où il devra affronter les valeureux Little Claude, Doc Gynéclaude et Cloclod’Yvon pour gravir enfin les marches du succès. Célébrité sans personnalité, lui qui n’espère rien d’autre que devenir « le meilleur Claude François de sa génération », ce héros de pacotille en bottines disco de sept lieues traîne ainsi le lecteur de kermesses en radio-crochet, dans un univers d’un kitsch décapant, et d’une misère intellectuelle et affective à peine dissimulée sous le clinquant des costumes de scène.

Chronique burlesque et pleine d’humour, Podium parvient à saisir quelque chose de ce monde insensé, où l’on cherche à se faire connaître sous les traits d’un autre : "Quand Victor Hugo s’était exclamé : "Je veux être Chateaubriand sinon rien !", il entendait par là qu’il voulait devenir un aussi grand écrivain que Chateaubriand. Moi, je n’en avais rien à faire de devenir un aussi grand chanteur que Claude François : c’était vraiment Claude François que je voulais être", nous confie Couscous. Reconnaissance absurde, puisqu’il s’agit avant tout de cacher ce que l’on est, pour devenir celui que l’on rêve d’être ; notoriété lamentable, où le plateau d’une émission de télé-réalité où l’on paraît parmi une foule d’anonymes devient le plus prestigieux des podiums. La critique sociale va également bon train : à lire les mésaventures pathétiques de Bernard, passant ses RTT à réviser les chorégraphies de son idole, un stick déodorant à la main en guise de micro, on jurerait un bon épisode de Strip-Tease... Quant aux nostalgiques et autres cloclomaniaques, ils trouveront là de quoi parfaire leur connaissance encyclopédique des tics et manies du chanteur ou des paroles de ses tubes, tant Bernard et Couscous se plaisent à évoquer dans les moindres détails les temps forts d’un âge d’or qu’ils ont à peine connu.

Toutefois, le récit ne tarde pas à s’embourber dans une intrigue laborieuse et un style lourd et répétitif, tandis que l’on frise l’indigestion de calembours pour le moins claudicants. Et dans la vulgarité oppressante des dialogues, l’imitation des "beaufs" et autres "ringards" en devient carrément suspecte, comme si l’auteur ne pouvait faire autrement que de copier le mauvais - on attend toujours le bon.

Là n’est pourtant pas l’essentiel. La déception vient surtout de la platitude des analyses que livre Yann Moix du phénomène qu’il examine. Sur ce point, la préface de l’ouvrage donne le ton, et hélas, c’est une fausse note : Loft Story, Koh-Lanta, Pop Stars et Star Academy, tous les poncifs et lieux-communs égrenés depuis plus d’un an par les journalistes (dont Moix, chroniqueur pour "Elle", fait d’ailleurs partie) y sont ressassés sans finesse, et si Cloclo se retourne effectivement dans sa tombe, c’est moins choqué par les icônes médiocres du nouveau millénaire que lassé de la litanie inepte et inconsistante qui lui est ici adressée. Parti explorer les rituels de la nouvelle religion médiatique, le très cathodique Yann Moix manque le coche, comme s’il ne pouvait à la fois être juge et partie, lui qui s’affiche déguisé en Claude François dans les colonnes de son magazine, et vient ensuite dénoncer le commerce racoleur de la célébrité contemporaine. L’intelligence en est pour ses frais, et sur un sujet en or, Podium ne parvient pas à briller.

par A. B.
Article mis en ligne le 20 septembre 2004 (réédition)
Publication originale 21 octobre 2002

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