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L’amour, roman, de Camille Laurens

Tout un art, cette virgule... L’amour, roman. Cette suspension légère dans l’évocation d’un sujet pourtant usé, rabâché, éculé, usé jusqu’à la corde. Alors l’amour, Camille Laurens, quoi de neuf ?


On l’attend au détour, la demoiselle, au revers du chemin. Elle le sait sans doute, et la voici qui convie tout d’abord un auguste compagnon, Monsieur de La Rochefoucauld. Ces maximes parsèment le texte, comme autant de lanternes. La forêt est si noire, mon tendre ami...

Premier amour : l’amour des hommes. Objet d’un précédent roman, Dans ces bras-là, cet amour-là lui échappe, flou et fuyant comme une anguille, fort et furieux comme son désir pour eux. Et premier fil : l’érosion du temps. Celui qui l’incarne, c’est Yves, "le mari" du précédent livre, apparition solaire de l’étudiante Camille, compagnon au long court, père d’une Aube, et père d’une ombre : le petit Philippe, mort-né. La mort de ce fils résonne, douleur souterraine, souffrance phréatique... Camille, la ténébreuse, l’inconsolée, la princesse héroïne à l’enfant aboli fait entrer sa vie dans le roman, sans fard, sans faux-semblant. La souffrance n’en a pas, pas plus que d’antidote. Peu à peu, le couple Yves-Camille est entré dans l’ère du soupçon. Et La Rochefoucauld de compatir : "Qu’on a bien de peine à rompre, quand on ne s’aime plus".

Puis il y a Jacques, personnage esquissé, amant-aimanté, qu’elle ne peut se résoudre à quitter, et dont elle ne peut rien espérer. Et si c’était là, le véritable chemin de l’Amour : une impasse sans cesse explorée. Avec lui, l’amour se fait à la va-vite sous les porte-cochères, il est ponctué de conversations, de soupirs, d’exquises gênes, c’est un désir qui ne peut s’assouvir, qui ne peut s’asservir... Tout est là. Et Choderlos de Laclos de sourire : "L’amour que l’on nous vante comme la cause de nos plaisirs, n’en est tout au plus que le prétexte".

Autre fil, celui de l’histoire familiale. Chacune à leur tour : arrière grand-mère, grand-mère, mère... On sent bien qu’elles en ont "bavé", comme on dit. C’est qu’il y a une filiation de la douleur chez les Laurens. On croit filer le parfait amour, ou bien l’on n’y croit pas, l’on n’y a jamais cru. Pas d’importance : le temps défile et délie tout, jusqu’à l’absurde obsession d’une grand-mère pour un présentateur télé. La forêt est décidément bien noire, mon ami...

De ce voyage où l’on croise turpitudes féminines, deuil du fils, déliquescence du couple, grimaces de l’adultère, s’ancre, imperturbable, le véritable amour de Laurence Ruel, alias Camille Laurens : l’amour des livres. Il faut alors l’écouter, le chant en vaut la chandelle : "L’amour est ce livre de sable, ce manuscrit cent fois repris dont certains lignes effacées ne seraient plus lisibles que par ceux qui les ont tracées, (...) langue étrangère et familière à la fois, parlée jadis et naguère, et dont on fait des romans comme on ferait des dictionnaires pour les patois qui vont mourir."

La virgule est peut-être un deux points caché. L’amour : roman.

par Céline
Article mis en ligne le 7 octobre 2004 (réédition)
Publication originale 23 mars 2003

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