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Après des moyens-métrages remarqués (Du soleil pour les gueux, Ce vieux rêve qui bouge), Alain Guiraudie passe au long. Maladroit et par moments moins réussi, Pas de repos pour les braves n’en est pas moins un film attachant. Avec cette histoire d’initiation, le cinéaste reste sensible aux rêves et aux utopies. Un film pour refaire le monde parce que celui-là, forcément, il ne nous plaît pas.
"Pour comprendre les hommes, il faut étudier leurs rêves." Cette leçon du Stavisky de Resnais s’applique parfaitement au premier long-métrage d’Alain Guiraudie. Pas de repos pour les braves porte en lui la croyance que la complexité du monde et de l’humain ne peuvent être captés par la logique. Alain Guiraudie a donc décidé de faire exploser toute notion de rationalité. Logique. Pas de repos pour les braves est un film profondément punk. D’ailleurs, on peut y entendre une superbe reprise du Pretty vacant des Sex Pistols par Teppaz et Naz, dans une scène particulièrement délirante et déterminante pour le récit. On retrouve dans le film cette énergie débordante pas toujours bien canalisée, ce mélange festif et politique, cette volonté de détruire pour mieux reconstruire quelque chose de nouveau et d’excitant. Un projet utopique.
Pas de repos pour les braves fonctionne donc à la manière d’un rêve. Il ne suit aucune logique et refuse toute idée de réalisme. Le film se refuse la routine, l’usure de schémas qui se répètent à l’infini. Des personnages tués réapparaissent plus tard. Un adolescent change de nom d’une scène à l’autre. D’abord Basile, il devient Hector puis redevient Basile. Certaines scènes sont jouées deux fois de manière différente. Un court moment du film est d’abord entendu à la télé par deux des personnages avant d’être revécu en vrai par l’un d’eux. Les rêves sont nourris de ce que chacun peut vivre. Pas de repos pour les braves est un télescopage de formes cinématographiques détournées dans lesquelles Alain Guiraudie a inscrit ses fantasmes, son histoire et ses interrogations sur le monde.
Rêve de film, il en contient lui-même plusieurs. Ceux de Basile/Hector, le personnage principal. Dès la première scène, il confie son dernier rêve à un autre adolescent, Igor. Basile raconte qu’il a vu Faftao-Laoupo, le symbole de l’avant-dernier sommeil. S’il dort encore, il mourra. Basile fait tout pour rester éveillé ou rêver. Film d’initiation, Pas de repos pour les braves est l’histoire d’un jeune adolescent qui va progressivement se réconcilier avec sa vie, les autres et le monde. Alternant rêve et réalité, le film fonctionne entièrement sur le mode du glissement et de l’inversion. Glissement narratif, formel mais aussi sémantique. Dans Pas de repos de repos pour les braves, les villes traversées s’appellent ainsi Oncongue, Bairout, Glasgaud ou Buenozère. Quand un des personnages raconte ses problèmes d’électricité à trois interlocuteurs différents, les réponses varient progressivement autour du sèche-cheveux dont il se servait pour les essais.
Dans ce film d’initiation, la notion de voyage, de trajet est bien entendu centrale. Basile passe son temps à courir d’un point à un autre. Film de glissement, Pas de repos pour les braves peut être scindé en deux. Dans un premier temps, la fiction évolue en mode semi-clos autour d’une petite communauté rurale. Le film nous présente un monde convivial et attachant. On passe son temps au bistro à discuter, boire des coups et faire la fête en musique. Refermé sur lui-même, cet univers montre rapidement ses limites. La figure de l’étranger y est méprisée ; le rejet de l’autre est l’envers de la solidarité du village. C’est ce que Basile découvre après son étonnant voyage en avion. On apprend plus tôt que Dédé et sa femme ont rejeté Roger. Quand tout un village est pratiquement anéanti en une nuit, c’est une sorte d’indifférence générale qui règne. Seule crainte des habitants : le drame n’a eu lieu qu’à vingt kilomètres de chez eux. Pour Basile, cette première partie correspond à la prise de conscience de sa finitude. Il réalise qu’il peut disparaître de la surface de la terre du jour au lendemain et commence des crises d’angoisse qui l’amènent à vouloir fuir et à s’en prendre aux autres. Interrogeant les notions de territoire et d’identité, Pas de repos pour les braves emprunte alors certaines de ses figures au western.
Poursuivi par le mystérieux enquêteur Johnny Got, Basile quitte son village et part sur les routes de France. Tout se retrouve alors inversé. D’abord diurne et rural, le film devient alors entièrement nocturne et citadin. Après le western, on aborde le genre du polar. Il est question de voyous, de trafics. Les relations sont désormais basées sur la méfiance, l’échange monétaire, la suspicion. La violence physique y est beaucoup plus importante. C’est désormais Basile qui recherche Johnny Got. Pour l’adolescent, cette partie correspond à une découverte du monde et des problèmes de la cité. Sorti d’un univers autocentré, le personnage se soucie davantage des autres. Il vient en aide à Johnny Got quand celui-ci est une première fois en difficulté. Le grand frère apprend à Basile à accepter son sort. Tout le monde doit mourir un jour ou l’autre. Ce n’est pas une catastrophe en soi.
Film de voyage, Pas de repos pour les braves fonctionne essentiellement grâce à ses rencontres. Ce sont elles qui nourrissent à la fois le film et Basile dans son initiation. Il n’est pas étonnant que, seul, Igor s’ennuie. Alain Guiraudie soigne avec beaucoup d’attention ses personnages secondaires. De Dédé à Daniel, en passant par les deux voyous, le réceptionniste de l’hôtel ou Jack, l’homme de main récalcitrant, ceux-ci sont particulièrement truculents et jouissifs. Ses petites pointes cocasses donnent un ton allègre à l’ensemble. Ils permettent au cinéaste d’intégrer dans son film des interrogations sur la société. Igor aborde la question de la crise du monde rural, Roger par sa tendre relation avec Basile permet à Guiraudie de livrer sa représentation de l’homosexualité. Tout le film fonctionne donc sur ce mouvement vers l’altérité et l’ailleurs. Le cinéaste fait le tour de ses personnages pour en donner une image complète qui ait un sens. Il va voir les limites du terroir avant de débusquer l’humanité des deux truands qui traquent Johnny Got. En s’ouvrant sur le monde et les autres, Basile entre dans un processus constructif. Cette ouverture sur le monde n’est pas une façon de se perdre mais de se retrouver soi-même. Voir le monde pour mieux revenir. Aller vers les autres pour mieux se connaître. Bien éveillé, Basile peut désormais se projeter sans souci dans l’avenir.
par Boris Bastide
Article mis en ligne le 23 octobre 2005 (réédition)
Publication originale 19 novembre 2003