Cinéma · Musique · Littérature · Scènes · Arts plastiques · Alter-art 

accueil > Scènes > article

Artistes

Dans la solitude des champs de coton, de Bernard-Marie Koltès

C’est l’un des beaux défis de notre temps, de notre langue, de notre humanité : jouer Dans la solitude des champs de coton restera encore longtemps une nécessité, une urgence scénique. Cette fois, c’est Frank Hoffmann qui le relève, avec à propos.


"Si vous marchez dehors à cette heure et en ce lieu, c’est que vous désirez quelque chose que vous n’avez pas, et cette chose, moi, je peux vous la fournir." C’est par cette phrase que s’ouvre une pièce que l’on pourrait voir comme un double monologue croisé, de deux personnages sur des lignes qui se sont malencontreusement croisées, et qui, temporairement, vont endosser les rôles de Dealer et de Client.

Comment résumer ce texte fait de sentiments et de désirs indicibles, de cette stase psychologique qui étire sur près d’une heure et demie une rencontre fortuite d’à peine quelques secondes et débouchant, peut-être, sur un duel ? Qu’est-ce qui se joue ? Une joute d’un genre particulier, celle de la diplomatie, "le commerce du temps" comme l’appelle l’auteur. Et si, pour une fois, deux inconnus avaient chacun autant de temps, à vendre et à acheter ? Ici le sac de l’un est aussi lourd que celui de l’autre à porter, et les rôles ne sont distribués qu’en apparence.

La vision des rapports humains développée par la pièce est expliquée par Koltès dans son prologue, par un parallèle avec l’hostilité existante entre chiens et chats. C’est celle d’étrangers mutuels que rien n’oblige aux civilités d’usage, à qui il est permis de montrer leur vrai visage, et de révéler leur xénophobie irraisonnée. Cette distance entre les hommes, cette peur de l’autre, qui se développe dans un milieu de plus en plus propriétaire, sécuritaire et paranoïaque, Koltès l’envisageait déjà au début des années 80. Son actualité est à la fois profonde et alarmante.

Dans cette pièce plus que dans toute autre, Koltès tente de pousser l’acteur dans ses derniers retranchements. Il faut matérialiser ces voix jaillissant de l’obscurité, s’approprier ces images à la fois claires et troublantes parsemant le texte. C’est à chaque fois un univers intérieur à réinventer, deux rôles qui ne peuvent être que "de composition". Cette dimension de l’oeuvre apparaît d’autant plus forte si l’on voit cette pièce dans différentes mises en scène : il y a dans le jeu de Bernard Ballet une similitude avec celui de Patrice Chéreau, qui ne vient pas du caractère propre aux deux acteurs, mais bien d’avantage de la langue koltésienne elle-même. Cette langue, ce rythme, qui amène l’acteur à chercher derrière chaque phrase la façon d’interpréter une réflexion qui semble dite pour soi et qui, poutant, s’adresse à l’autre.

La scénographie est axée sur la thématique du rapport de force. Deux grands monticules, s’apparentant à des piles de soutien d’un pont ou d’un quai, occupent la moitié de la scène, et, côte à côte, semblent se scruter en chiens de faillance. Leur disposition permet, à plusieurs reprises, de jouer sur la domination réelle ou présumée, en projetant sur leurs pans, derrière l’un, l’ombre plus grande ou plus petite de l’autre. Le gravier qui les entoure sert tout à la fois de masse à piétiner, à projeter, à répandre, support de jeu à la fois simple et multiple.

Dans la solitude des champs de coton est un voyage en plein no man’s land, zone inconnue et provisoire, parfois métaphore de l’espace scénique, qui nous laisse toujours sur la même question : "Quelle arme ?" C’est aussi cette interrogation qui permet à la pièce de se faire redécouvrir avec à chaque fois un plaisir intact.

par Maxime David
Article mis en ligne le 7 février 2004

Informations pratiques :
- pièce : Dans la solitude des champs de coton
- auteur : Bernard-Marie Koltès
- metteur en scène : Frank Hoffmann

imprimer

réagir sur le forum

outils de recherche

en savoir plus sur Artelio

écrire sur le site