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Swimming Pool, de François Ozon

Swimming Pool marque une nouvelle étape dans la reconnaissance du travail de François Ozon. Tourné en anglais et présenté à cannes, ce nouveau long métrage lui ouvre grand les portes de l’international après le succès populaire de Huit Femmes. Moins qu’une réelle progression, Swimming pool est plutôt un film somme où le cinéaste y mèle à la fois la théâtralité et la secheresse du trait qui ont jusuqu’ici partagé son oeuvre en deux. Il y retrouve surtout Charlotte Rampling qui comme dans Sous la sable fait merveille dans un rôle fascinant, mystérieux et charnel. Un rôle à la mesure du talent de la comédienne.


(JPEG) Une foule compacte se retrouve dans le métro londonien. Chacun est à ses pensées dans son petit monde intérieur. Seule une femme à un moment donné pense à interpeller sa voisine d’en face, pensant avoir reconnu l’auteur du livre qu’elle est entrain de lire. Celle-ci, apparemment gênée d’être ainsi démasquée, décide de nier le tout et de sortir au plus vite. « Je ne suis pas celle que vous pensez », s’excuse t’elle. Cette scène d’ouverture en apparence anodine est bien entendu au cœur du sujet de Swimming pool. Le spectateur est constamment amené à s’interroger sur ce qu’il voit. Comme pour les personnages, il s’agit pour lui de se débarrasser de toute sorte de faux-semblants pour sonder ce qui se trouve au fond de la piscine. Thème récurrent de toute l’œuvre de François Ozon, les apparences sont forcément trompeuses. Le tout est d’aller voir ce qu’il s’y cache derrière.

De là, il paraît logique que le jeune cinéaste français ait un goût prononcé pour des personnages archétypes. Le cliché est une manière pour François Ozon de poser une situation simple et dynamique avant d’en travailler les nuances. Les contrastes séparant à première vue les deux personnages principaux du film sont ici particulièrement caricaturaux. Sarah Morton est une romancière anglaise d’une cinquantaine d’années qui vit mal le fait de vieillir. Elle commence à se lasser de sa célèbre série policière qui lui a permis de rencontrer un certain succès populaire et décide de quitter son père pour quelques temps pour aller se reposer dans le Luberon dans la superbe villa avec piscine de son éditeur. Sur place, elle y fait la rencontre inattendue de la fille de celui-ci. Julie est une jeune femme libre et indépendante bien décidée à croquer la vie sans se soucier du reste. Elle se retrouve tous les soirs dans le salon dans les bras d’un homme nouveau, dérangeant ainsi le paisible quotidien de son hôte anglaise.

(JPEG) Après les multiples excès de Huit Femmes, François Ozon a préféré revenir à une forme simplifiée. Tout Swimming pool tourne autour de la rencontre de ses deux femmes. Le film doit d’ailleurs énormément au talent de ses deux actrices. Charlotte Rampling, parfaite à son habitude, mêle à la fragilité naturelle de son visage une certaine dureté qu’on ne lui connaissait assez peu jusqu’ici. Elle se présente dans le film sous un jour plus charnel et plus inquiétant que ce que l’on a l’habitude de voir d’elle. Son visage, baignant souvent en partie dans l’ombre, dégage une profonde impression de mystère. Ludivine Sagnier opère également une transformation importante pour sa carrière puisque Julie est sans aucun doute son premier rôle de femme même si elle y garde encore certains traits typiquement adolescents comme son langage. Les deux actrices vampirisent le film au point de réduire les quelques rôles masculins restant à de simples objets de désir. Là, où François Ozon s’était amusé à couvrir les comédiennes de son précédent film de toute sorte de tenues fantasques, il fait ici le choix inverse de les mettre littéralement à nu. Il filme abondamment leurs corps comme une surface à explorer telle l’eau de la piscine. Ses enveloppes charnelles cachent en leurs tréfonds un mystère qui ne veut s’offrir à nous. Ce n’est que progressivement que les deux femmes vont nous révéler leurs secrets.

(JPEG) A partir de la difficile cohabitation des débuts, tout le film va s’efforcer de les rapprocher jusqu’à ce que Sarah devienne totalement fascinée par le mystère qui se dégage de Julie et de son histoire. Ce mouvement de la fiction est souligné par de nombreux effets d’échos et de miroirs à la fois dans la mise en scène qui se plaît à répéter certains plans ou à jouer de la confusion des deux corps et dans les vies des deux femmes. Le mode de vie de Julie n’est pas sans rappeler celui de Sarah dans sa jeunesse et les deux femmes ont encore leur père en vie alors qu’un mystère entoure leur mère. Julie et Sarah ont avant tout en commun un certain vide qui les ronge de l’intérieur. Que ce soit par le biais d’une sexualité exacerbée pour l’une ou la création littéraire pour l’autre, leurs vies semblent principalement occupées à remplir ces manques d’abord d’ordre affectif. Ce vide qui entoure les personnages empreigne également le film. Celui-ci progresse à un faux rythme empruntant tour à tour plusieurs directions sans jamais les mener à leur terme. Swimming pool déconcerte passant tour à tour du comique (l’accueil de Julie par Sarah avec le pied de la lampe) à l’érotique, au fantastique (histoire de disparitions, de croix qui se remettent à leur place par enchantement) et même au thriller après la mort d’un des prétendants des deux femmes. Ces fantasmes de cinéma ne peuvent jamais aboutir. Swimming pool dégage une atmosphère flottante, pleine d’incertains. Comme dans Huit femmes, François Ozon s’intéresse moins à la mécanique de son récit et à ses possibles rebondissements qu’à ce que ces nouvelles situations révèlent de ses personnages. Le film se joue du spectateur l’entraînant dans un réseau de signe dissimulé derrière la surface de l’eau.

(JPEG) Il faut en effet attendre les derniers moments pour que le cinéaste ne se décide finalement à révéler son jeu. Swimming pool est plus que toute autre chose une réflexion sur la création comme travail sur le fantasme. C’est bien à Sarah Morton qu’il faut prêter attention comme nous le rappelle constamment les multiples mouvements de caméras passant d’un plan large à un gros plan du visage du personnage interprété par Charlotte Rampling. Julie, telle qu’on l’a suivie dans le film, se révèle être une simple création d’écrivain. A Cannes, Ludivine Sagnier reconnaissait d’ailleurs s’être inspirée pour créer son personnage du fantasme collectif qu’à pu représenter Loana lors du premier loft. Ce personnage à la réalité fantomatique semble avoir été crée de toute pièce par Sarah. Obsédant son créateur, Julie a peu à peu acquis une existence autonome. La jeune fille a ainsi permis à la romancière soucieuse d’aborder un sujet plus intime de se replonger dans sa jeunesse et une histoire douloureuse. On peut ainsi faire l’hypothèse que le journal intime et le manuscrit sont en réalité à elle-même si l’existence mystérieuse d’une fille que son éditeur ne lui a jamais présentée sert de déclencheur à sa fiction. Le personnage et sa créatrice se nourrissent alors l’une de l’autre dans un échange constant abolissant les frontières qui les sépare. Julie permet à Sarah de vivre par procuration des expériences taboues (la sexualité libérée et le meurtre) puis progressivement de reprendre pied avec sa vie et sa carrière. Comme pour l’incertitude du genre même du film réapparaît ici la question du passage à l’acte. La création est ici présentée comme une médiation entre soi-même et un autre absolu. Sarah se libère peu à peu de tout ce qui lui pesait jusqu’ici et reprend pied avec sa vie. Le personnage de Sarah peut se lire comme une mise en abyme de François Ozon à l’intérieur de la fiction. Les deux nous présentent une histoire intitulée Swimming pool Le cinéaste s’est d’ailleurs amusé ici à placer plusieurs références directes à certains de ses précédents courts et longs métrages et à retravailler avec deux comédiennes qu’il avait déjà utilisées par le passé. Histoire de femmes, de désir, de mystère, tout nous ramène au final à l’univers de l’auteur. Il n’y a aucun doute possible. C’est bien la personnalité singulière de François Ozon qui se cache derrière ce Swimming pool réussi.

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 13 mai 2004 (réédition)
Publication originale 30 mai 2003

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