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Imposture

Deuxième film du trop rare Patrick Bouchitey, personnage atypique du cinéma français. Derrière les apparences d’une supercherie, il décrit ici les gouffres intimes d’un homme qui a préféré la littérature à la vie. Jusqu’à commettre l’impensable et à se perdre lui-même.


A plus d’un titre, cette Imposture de Patrick Bouchitey s’avère un très curieux objet, ce qui en soi ne constitue pas exactement une mauvaise nouvelle dans un paysage français marqué par une pauvreté d’inspiration et un conformisme assez navrants. Et pour dire vrai, on ne sait par quel bout attraper ce film parfois maladroit et emphatique, mais qui ne dévie pas de sa ligne singulière et tranchante. Son enfantement fut pénible, nous dit-on, et le projet ne fut sauvé que par l’intervention bienfaitrice de Luc Besson et de son usine à rêves, EuropaCorp, grande pourvoyeuse de chefs d’œuvres ces dernières années, comme tout le monde le sait. Ce n’est pas le moindre des paradoxes pour un film pétri de références littéraires et dont l’ambition principale n’est rien d’autre qu’une plongée dans les affres de l’écriture. Imposture n’est donc pas un film aimable mais bien le digne successeur, bancal et dérangé de Lune froide.

L’écriture ou la vie

(JPEG)Le film démarre vite et pose clairement les enjeux qui vont le travailler. Pas de round d’observation mais un décor vite planté pour mieux arriver au nœud narratif central. Serge Pommier (joué par un Bouchitey saisissant de masochisme et de douleur) est un professeur de littérature apprécié et un critique à la sévérité connue. Entre sa femme qui ne lui inspire au mieux, qu’une vague attirance sexuelle et des collègues ennuyeux, Serge perd pied car son seul objectif se dérobe sans cesse : il n’arrive pas à pondre ce roman qui lui ferait enfin passer du statut de commentateur éclairé à celui d’écrivain admiré. Saturé de culture littéraire, la pulsion viscérale d’écriture l’a déserté depuis longtemps. Du haut de sa chaire et de son monticule de savoirs, Serge n’a plus rien à dire au monde.

Alors arrive le deus ex machina qui va faire brutalement bifurquer le film. Jeanne (Laetitia Chardonnet, dont on devrait reparler), une étudiante à la beauté lunaire, lui confie un manuscrit, forcément génial et qui va vite devenir l’objet du désir pour Serge, en quête de la seule reconnaissance qui lui manque. S’emparer d’un texte qui n’est pas le sien et voler une vie pleine de promesses n’est alors pas bien difficile car Serge ne se fait pas d’illusion sur son destin. Il est condamné à être un vampire, qui se nourrira sans cesse de la jeunesse et du talent de Jeanne, la seule capable de traduire en mots, ses obsessions et ses colères. Geôlier fasciné par sa prisonnière, Serge cède à l’utopie de l’écriture à quatre mains et à celle du bonheur retrouvé. Libre comme jamais, enfin débarrassé des masques de la parade sociale, il imagine Jeanne victime du syndrome de Stockholm alors que, grâce à lui, la jeune fille opère en fait une mue décisive. Elle perd son innocence, se durcit, se construit une carapace. Jeanne est désormais prête à s’enfuir de l’adolescence et à conquérir le monde. L’exercice a été profitable, monsieur.

Soi-même comme un autre

(JPEG)L’écrivain raté et frustré constitue une étrange figure qui continue de traverser le cinéma en pointillé avec son cortége d’ombres et de fantômes. Et à la vision d’Imposture, impossible de ne pas penser au monstrueux et bouleversant Shining, matrice indépassable du point aveugle que représente toute tentative de création littéraire. Serge Pommier déambulant dans sa grande demeure vide est-il l’écho étouffé de Jack Torrance, sombrant dans la folie de l’hôtel Overlook déserté par les vivants ? Référence déplacée, écrasante, hors sujet ? Peut-être, Bouchitey ne possède évidemment pas le millième du génie visionnaire de Kubrick mais il ne s’agit pas ici d’enfoncer une porte ouverte. Saluons au contraire une prise de risque, inaboutie certes mais gonflée.

La plus grande qualité du film réside sans doute justement dans la transformation osée d’un récit de tromperies et de mensonges en une belle échappée hors du temps. Imposture perd ses oripeaux de la mondanité et de son inévitable duplicité pour basculer dans la peinture d’une relation complexe d’attraction-répulsion entre le maître ivre de sa nouvelle puissance et l’élève secrètement manipulatrice. La description de la foire aux vanités du milieu littéraire (écrivains sans scrupule, éditeurs opportunistes, journalistes complaisants et autres courtisans hypocrites) n’est qu’un arrière-plan, plutôt pas mal rendu. Mais l’essentiel se joue ailleurs, dans le vertige des saisons qui se passent loin de tout, loin de la rumeur du monde, au cœur de l’acte de création. Et l’ellipse du dernier segment du film, loin de le ramener dans le droit chemin, finit par creuser un impressionnant abîme métaphorique.

Alors pourquoi le film n’emporte-t-il pas totalement l’adhésion ? La faute probablement à une certaine grandiloquence qui souligne parfois trop, qui embarrasse au lieu de laisser le trouble grandir subtilement. La bande-son en est le symptôme le plus frappant, incessant mélange de bruits trop clairement inquiétants et de musique classique envahissante. A ce bémol près, Imposture s’impose comme une œuvre hors norme, maladive par bien des aspects, aux aspérités jamais esquivées. Pas la meilleure garantie donc pour voir un nouveau film de Patrick Bouchitey avant quinze ans...

par Samuel V.
Article mis en ligne le 28 mai 2005

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