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Kill Bill volume 1

Alors Tarantino, sado ou maso ? La conclusion du premier volume de son quatrième long métrage ne donne pas vraiment de réponse. Sans doute faudra-t-il attendre fevrier pour en savoir un peu plus. Ce que l’on peut déjà dire par contre, c’est combien les héroïnes féminines lui vont bien. Après avoir sorti Pam Grier de l’oubli avec Jackie Brown, Quentin Tarantino offre un rôle d’anthologie à Uma Thurman. Le cinéaste rend avec Kill Bill un hommage respectueux aux films de yakuzas et de sabre des années 1960 et 1970. Un régal pour les yeux comme pour les oreilles.


(JPEG) Quentin Tarantino est un cinéaste cinéphile. Ses films ne prétendent pas dépeindre le monde tel qu’on l’expérience tous les jours. Ils sont entièrement construits à partir d’univers fictionnels qui ont marqué l’imaginaire du jeune réalisateur américain. Quentin Tarantino ne cherche d’ailleurs pas à tromper ses spectateurs. Il nous rappelle sans cesse qu’on est bien dans un film. Kill Bill Vol. 1 s’ouvre sur le générique du célèbre studio de Hong Kong, Shaw Brothers, suivi d’un panneau annonçant : "Our feature presentation". L’artificialité de certains décors, la surexposition de la lumière et les excès narratifs en tous genres créent un effet de distanciation qui ne laisse aucun doute. Tout cela n’est que du cinéma. Cinéaste cinéphile, Quentin Tarantino n’oublie pas ses aînés. Tous ses films sont construits en référence à des genres et des cinéastes chéris. Après la blaxploitation dans Jackie Brown, le réalisateur se penche sur le cinéma de genre asiatique tel qu’il était pratiqué notamment par Kinji Fukasaku, Chang Cheh ou Seijun Suzuki. Le film multiplie les clins d’œil comme la présence de Sonny Chiba en maître d’arme ou le choix du costume jaune porté par Bruce Lee dans Le jeu de la mort pour habiller Uma Thurman. Ces références ne sont jamais appuyées et ne perturbent en rien le déroulement ou la compréhension de la narration. Elles apportent simplement une densité supplémentaire à l’univers du film pour les cinéphiles les plus avertis.

(JPEG) Chez Tarantino, la citation compte finalement beaucoup moins que l’hommage. Le cinéaste se refuse à toute approche ironique des genres qu’il aborde. Contrairement à ce que font les frères Wachowski avec la trilogie Matrix, il ne cherche pas non plus à absorber des imageries étrangères pour les intégrer dans un univers cinématographique typiquement américain. Tarantino se fond dans un flux visuel existant avec le plus grand respect possible tout en assumant le côté pleinement hybride de son projet. Pour Kill Bill Vol. 1, il va jusqu’à confier toute une longue séquence du film à une équipe d’animation japonaise. Le cinéaste reprend plus que la simple cinégénie des combats au sabre.Il reste également fidèle à une certaine philosophie propre au genre comme le respect que se doivent deux adversaires valeureux. Pour rendre hommage aux films de sabre et yakuzas, il emmène ses personnages en Asie, les faits parler la langue locale. La dose d’hémoglobine déversée dans Kill Bill Vol. 1 peut paraître excessive. La violence du film est pourtant parfaitement comparable au sadisme d’un Chang Cheh qui se plaisait à démembrer ses personnages et les baigner dans le sang. Ses héros souffraient autant que leurs adversaires et ne survivaient généralement pas à leurs aventures.

Cette approche cinéphile intellectualisée est balancée chez Tarantino par un véritable plaisir à raconter des histoires. Ses œuvres ont une profonde dimension jouissive. Comme pour ses films précédents, le cinéaste distord la linéarité de la narration. Découpé en chapitres, Kill Bill Vol. 1 multiplie les allers-retours entre le mariage sanglant de "The Bride" (Uma Thurman) et l’exécution de sa vengeance. Entre deux scènes, il existe parfois des années, à d’autres moments seulement quelques heures. Ce morcellement de la narration crée des effets d’attente et permet à Tarantino de distiller ses informations. Ainsi, le pourquoi du "Pussy wagon" de la première scène n’est expliqué que plus tard quand on la découvre à l’hôpital. De manière plus poussée, le massacre du mariage et l’identité des ennemis de la mariée ne sont dévoilés que très progressivement. Bill est présent dans cette première partie sans apparaître encore physiquement. Le film s’étend en petites anecdotes sur chacun des personnages et se déploie à plusieurs moments autour de simples échanges de parole rendant la primauté au dialogue. C’est notamment le cas des scènes chez Vernita Green, autour de Buck ou au Japon dans le bar de Hattori Hanzo. Les insultes sont échangées avec beaucoup d’allégresse. Le choix de mettre en avant des personnages féminins est particulièrement judicieux. Outre que Tarantino renoue ainsi avec une certaine tradition du film de sabre des années 1970, il ajoute du piment et de l’excitation pour des occidentaux plutôt habitués à voir des hommes s’étriper. Ces derniers sont réduits ici au rang de pervers sexuels, de simples combattants vite éliminés ou de gros ploucs tels les deux flics injurieux.

(JPEG) La narration se plait également à mélanger plusieurs tons. Le cinéaste s’amuse à intégrer des éléments grotesques, incongrus qui visent à surprendre ou faire rire le spectateur. Le véritable nom de "The Bride" est bipé comme censuré pour une raison mystérieuse. Dans de nombreuses scènes, Tarantino alterne des moments dramatiques et plus légers. Le combat chez Vernita Green se transforme subitement en conversation de salon après l’arrivée de la jeune fille de celle-ci avant de reprendre un peu plus tard dans la cuisine. A l’hôpital, Uma Thurman est au bord des larmes quand elle se réveille de son coma et réalise qu’elle a perdu son bébé. La tension dramatique est alors à son comble puis Buck entre dans la chambre et introduit un homme pour violer la comateuse. La scène tourne subitement au grotesque. Tarantino tire souvent à gros traits. L’esprit du film tient par moment de la bande dessinée.

A ce pur plaisir de narration, Kill Bill Vol. 1 ajoute une seconde dimension. Jamais un film de Tarantino n’aura présenté un tel délire visuel. On sent ici une vraie jubilation à faire des images. Tarantino utilise dans sa mise en scène toute la gamme de ce qu’il est possible de faire. Il intègre plusieurs scènes en noir et blanc au milieu d’un film aux couleurs exacerbées, des plans très courts comme un incroyable plan séquence qui va-et-vient entre les toilettes et la salle du club où dîne O-Ren, steadycam et split-screen, surimpressions. Le cinéaste manifeste un goût poussé aussi bien pour les plongées, plaçant sa caméra au-dessus de la mêlée pour positionner ses personnages, que les contre-plongées portant sur un piédestal tous ses protagonistes. Des costumes aux décors, tout est incroyablement stylisé. L’esthétique de Kill Bill Vol. 1 crée un cadre de toute beauté, véritable plaisir pour les yeux tels la lumière bleu dans laquelle les combattants dans le bar ne sont plus que des ombres ou le champ recouvert de neige de l’affrontement entre "The Bride" et O-Ren. La mise en scène démontre, par ailleurs, une vraie maîtrise de l’espace. Les scènes sont très découpées construites en gros autour de trois types de plans. Tarantino multiplie les prises de vues subjectives dans les affrontements. Chaque personnage est présenté d’un angle à peu près équivalent au regard de son adversaire. Le cinéaste implique ainsi son spectateur au cœur de l’action avec chacun des protagonistes. Autour de cette grammaire de base, le cinéaste intègre régulièrement des angles larges décalés plaçant ses personnages sur le même plan comme pour augmenter la tension et mieux mesurer la distance qui les sépare. Il s’agit par exemple des profils dans le combat chez Vernita Green ou au bar d’Okinawa. Tarantino multiplie en plus les inserts de détail depuis les multiples plans fétichistes de pieds qui jalonnent le film à la présentation des armes et blessures en passant par les plans rapprochés voire gros plans qui s’attachent aux expressions des visages à la manière des duels des westerns. Le combat avec O-Ren se clôt d’ailleurs sur un scalp.

(JPEG) Malgré cette dimension profondément ludique et jouissive, Kill Bill Vol. 1 n’en est pas moins profondément mélancolique. Cette tristesse est ici largement portée par la musique depuis le magnifique "Bang Bang" de Nancy Sinatra aux ballades japonaises en passant par les airs de flamenco et d’harmonica. Elle donne une portée funèbre qui sied bien au film.

Kill Bill Vol. 1 est l’histoire très sombre d’une femme qui a tout perdu, jusqu’à son nom et sa véritable identité, et n’a plus qu’une idée en tête : se venger contre tous ceux qui lui ont fait du mal. Uma Thurman porte à la perfection cette détermination dépourvue de pitié mais pas d’humanité. C’est une guerrière qui doit réprimer toute émotion au risque de se perdre dans sa vengeance. Tout au long du film, les corps s’amoncellent, s’abîment, se vident. Cette exacerbation de la violence donne une densité émotionnelle à Kill Bill Vol. 1. Celle-ci n’a rien de gratuit et ne prête pas tant que cela à sourire. La douleur est une des seules émotions exprimées dans le film. Elle passe beaucoup par le regard. La mort est le spectacle fondateur qui mène tous les personnages à s’embarquer dans une danse macabre. O-Ren comme "The Bride" ne font que poursuivre un cycle de violence qui commence bien avant elles et qui les a marquées au plus profond de leur chair. Elles s’inscrivent comme Tarantino lui-même dans une histoire dont par la force des choses ils font partis. En ressuscitant un artisanat aujourd’hui presque disparu, le cinéaste sait qu’il doit être à la hauteur de ses aînés et ne rien galvauder de la violence intrinsèque au genre comme l’a fait récemment Zhang Yimou avec Hero. Le réalisateur ciné-fils revendique avec force la propriété des morceaux épars d’une tradition en miette qu’il fait briller de mille éclats. Mélancolique, Kill Bill Vol.1 redonne chair à un monde de passion et de fureur qui n’existe que pour être détruit. "The Bride" vit pour sa vengeance. La beauté visuelle du film n’a pour but que d’être saccagée ou souillée. Chaque vie porte en-elle son inévitable destruction. La mort est la nécessaire fin de tout. Le lot universel. Le maître d’arme sait qu’il doit fabriquer le meilleur sabre possible. Il connaît aussi les conséquences funestes de son travail. Le tragique naît de la conscience des personnages qu’ils sont du mauvais côté de la loi. Vernita Green s’excuse du mal qu’elle a causé. "The Bride" en fait de même avec la fille de celle-ci. Au final, Budd, autre membre des "Deadly viper squad", résume avec lucidité : "We deserve to die." Kill Bill Vol. 1 peut se lire comme un chant du cygne ou l’espoir d’un possible renouveau. Pas étonnant que les enfants aient ici la vie sauve. Ce sont les derniers témoins d’un monde en voie de disparition dont ils seront bientôt les seuls dépositaires.

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 7 mai 2004 (réédition)
Publication originale 27 novembre 2003

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