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Versus, l’ultime guerrier

Dans un film de pure série B japonaise, par ailleurs ennuyeuse et plutôt ratée (le tout se prend beaucoup trop au sérieux dans la deuxième partie), Ryuhei Kitamura a la bonne idée de nous offrir une réflexion savoureuse sur le corps humain à l’heure de Matrix.


Versus l’ultime guerrier est un film essentiellement hybride. Il mêle samouraïs, Yakuzas, vampires et zombies pris dans la lutte éternelle du bien contre le mal. Le corps des différents acteurs et leur représentation sont fortement marqués par cette problématique.

Le film pose dès le départ comme idéal un corps parfait, libéré de toutes contraintes à la matrix. Les acteurs sont jeunes et beaux. Leur look est particulièrement soigné. A la première occasion, le personnage principal échappé de prison va échanger ses vêtements pour une grande veste de cuir noir qui lui donne un côté un peu rebelle. La mise en scène de Kitamura renforce aussi cette impression. La caméra tourne dans tous les sens, suspend le temps et fige les corps intacts. Matrix est une nouvelle fois la référence incontournable du film. Cette mise en avant d’un nouveau corps parfait passe ensuite surtout par la figure du méchant, sorte de vampire à la jeunesse éternelle. Son corps reste intact pendant une grand partie du film. Les balles n’ont absolument aucun impact visible sur lui et il possède une liberté de mouvement unique. Il est tellement rapide qu’il est très difficile de le battre. Dès la scène d’ouverture, on le voit mettre à mort un samouraï. Or, quasiment tous les personnages rêvent de prendre sa place et d’être comme lui. Son pouvoir attise de nombreuses convoitises qu’il met toujours en échec.

A ce premier mouvement d’idéalisation d’un corps parfait qui échapperait à toute contrainte, s’oppose toute la démarche du film qui va peu à peu ramener tous les personnages vers la chair et l’humain. La mise en scène se fait un peu plus sèche même si l’on trouve toujours de nombreux effets stylisés. Versus l’ultime guerrier peut se lire comme une entreprise de destruction du corps. Et il faut dire qu’à ce niveau le film est vraiment gore. On trouve ici des mains arrachées (qui offre au film ces moments les plus drôles), de multiples entailles aux visages mais aussi des intestins qui tombent au sol, un personnage à qui l’on fait un trou dans le visage au point de voir ses yeux au milieu du crâne ou un autre à qui l’on mange le coeur.

Le film pratique à ce niveau une surenchère très révélatrice. La pire chose qui puisse arriver ici n’est pas de mourir (tous les morts ressuscitent dans la forêt en zombie) mais d’avoir son corps déchiqueté en mille morceaux. L’attaque à une vision "matrixienne" du corps est directe dans une scène. Un personnage, qui se présente lui-même comme un profiler formé par le F.B.I à Langley et qui est constamment à la recherche d’un corps unifié (c’est lui qui a perdu sa main), se penche en arrière au ralenti pour éviter le coup de feu qui arrive. Mais cette attitude ridicule ne le sauvera pas. Il est touché et explose littéralement à l’écran. Tous les personnages sont ainsi petit à petit mis à mal. Et une fois que leur corps est abîmé, ils n’ont qu’un intérêt très secondaire pour l’intrigue. A l’arrivée même les deux personnages principaux seront touchés dont le méchant à la jeunesse éternelle.

Cette remise en cause d’un corps parfait et les multiples effets gore ne sont pas tout à fait gratuits. Ils permettent au réalisateur d’exprimer sa vision pessimiste de l’homme. Celui-ci n’est motivé que par un pur instinct de destruction qui s’exprime directement sur son corps. On apprend d’ailleurs dans l’épilogue final que toute la planète a déjà été détruite. Ce choix a aussi des connotations plus positives. Elle amène les personnages du côté de l’humain, de la chair. Celui qui a un corps parfait n’est qu’un monstre sanguinaire sans coeur et sans âme qui se nourrit des autres pour survivre. Le sang joue à cet effet un rôle révélateur. Il est à la fois le symbole du mal qui ronge les personnages et que ces derniers recrachent sans cesse mais il est aussi source de vie avec celui de l’héroïne qui bénéficie de pouvoirs étranges.

Au final, le film prend donc parti pour l’hybridation. Le corps de notre héros à moitié ravagé et moitié intact inscrit sur sa chair le combat du bien et du mal (c’est à l’origine un prisonnier évadé, très individualiste) qui est celui que doit affronter chaque personnage et l’humanité prise dans son ensemble. Cette réflexion n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle d’un John Carpenter. Le film se tourne alors plutôt vers le jeu vidéo dans lequel les personnages peuvent être détruits à tout instants mais réapparaissent à notre bon vouloir pour continuer à se battre. Dommage que le film par ailleurs ne tienne pas toutes ses promesses.

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 8 octobre 2004 (réédition)
Publication originale 21 février 2002

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