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La squale

Toussaint profite de son succès auprès des filles de la cité pour en faire bénéficier ses potes ; ça s’appelle la "tournante". Désirée, surnommée "la Squale", parvient à séduire Toussaint mais le fera-t-elle changer ?...


Quand La Squale débute par un viol collectif, où une dizaine de lascars maintiennent une fille terrorisée afin de la marquer au fer rouge comme une vulgaire prise, on appréhende ce qui va suivre. Sans être un brûlot militant comme Ma 6-T va crack-er, ou une œuvre esthétique comme La haine, le premier film du jeune réalisateur Fabrice Genestal mise sur un sujet jamais traité à ce jour : la condition féminine dans les cités. Ces jeunes femmes véhiculent d’ordinaire une image âpre, souvent agressive, qui cadre mal avec une certaine idée de la féminité. Il est à priori intéressant de décortiquer le processus, dans les rapports qu’elles entretiennent avec leur milieu (la famille et les garçons), qui déclenche ce décalque du comportement masculin.

Le climat de violence - réellement oppressant ; le langage hargneux des personnages (pas du tout drôle comme dans La haine) et la musique de Cut Killer n’y sont pas pour rien - qui parcourt le film est une donnée essentielle de la vie des cités. Plus que les éclats de violence sauvage qui en sont les manifestations (la scène du règlement de compte anal dans le gymnase ou le meurtre final), cette épée de Damoclès qu’est le basculement dans la sauvagerie, plane en permanence sur les individus. Dans ce contexte d’insécurité, c’est naturellement une loi de domination par l’intimidation qui prévaut. Dans ce jeu d’influence où des valeurs quasi-guerrières sont réactualisées, les filles n’ont évidemment pas leur place. Elles sont considérées comme un "bien" et non pas comme des alter ego. Il ne leur reste alors qu’une seule alternative. Elles peuvent rechercher la protection d’un homme fort, ce qui les enferme dans une logique de soumission, ou elles peuvent gagner le respect des autres, option laissée aux plus fortes personnalités. Mais ce dernier choix les oblige à rentrer dans le système de valeurs instauré par les mâles, en s’affirmant à leur tour de la même manière. D’où leur masculinisation, tant vestimentaire que comportementale. C’est cette voie que suit Désirée, s’attirant l’estime des garçons, non seulement parce qu’elle est la fille de Souleymane, un héros de la cité, mais aussi parce qu’elle est à la hauteur de cet héritage mythique en rendant coup pour coup.

Le réalisateur, ancien professeur à Sarcelles, lui même ayant grandi dans la cité des Courtillières à Pantin, semble savoir de quoi il parle. Cependant, son film n’est pas sociologiquement viable car il inscrit ses personnages dans un cadre qui n’est pas représentatif : le trafic de drogues dures. De ce fait toute la validité de son propos s’en trouve ébranlée. Ce cas particulier de gros délinquants fait basculer tout le film dans le sensationnel, le spectaculaire (l’échange qui dérape, les règlements de comptes). Faire accepter ceci comme une généralité est diablement caricatural. Certes, les contrepoints ne manquent pas. On se doute, sans que cela soit véritablement évoqué, que Yasmine, une des rares filles à ne pas reproduire les comportements masculins, est une bonne élève cherchant à s’intégrer. C’est d’ailleurs le seul personnage dont on suppose qu’il nourrit une dimension réflexive sur son milieu, alors que les autres ne se posent aucune question sur leurs agissements. Sa prise de conscience lui fait donc refuser la logique machiste de son entourage (sans trop pouvoir s’y dérober hélas). On se rend compte aussi qu’Anis, un membre de la bande de Toussaint, a bon fond tout compte fait, même s’il suit plutôt passivement le mouvement, impuissant qu’il est à se dégager de la logique de bande. Mais ces contrepoints sont trop rares, et par trop esquissés, pour rééquilibrer la balance.

Certaines pistes, qu’il aurait été certainement pertinent d’explorer, sont délaissées. Nous songeons au rapport entre les générations, que ce soit en amont (c’est à dire dans les familles où, soit-dit en passant-se manifestent quelques clichés agaçants : les noirs antillais sont cools, les arabes sont conservateurs à souhait !), ou en aval (avec le jeune garçon, dont on sent qu’il s’achemine vers une reproduction des modèles dominants représentés par ses aînés). Le film aurait certainement mieux servi son sujet en s’attachant plus précisément à décrire les rapports homme-femme aux différents niveaux de l’enfance, de l’adolescence et de l’âge adulte.

Le réalisateur pourrait compenser cette maladresse par la mise en oeuvre d’une volonté plastique dans sa mise en scène - ce que présuppose l’usage du scope. Or il n’exploite aucunement les ressources de son format de pellicule. Ce qui aurait pu être un western urbain présente plutôt l’allure d’un téléfilm.

L’intention est donc louable, la démarche honnête mais le résultat plutôt raté. On en sort avec la conviction renouvelée qu’il ne fait vraiment pas bon vivre dans les cités. Mais est-ce en en donnant une image aussi négativement chargée que l’espoir d’y changer les choses en sort renforcé ? Nous n’en sommes pas convaincu.

par Alaric P.
Article mis en ligne le 18 avril 2004 (réédition)
Publication originale 29 novembre 2000

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