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Little Cheung, de Fruit Chan

Little Cheung est le troisième volet d’une trilogie consacrée à la rétrocession de HongKong à la Chine, et réalisée par Fruit Chan. Au final, c’est à trois visions d’un même monde en proie au changement que nous convie ce très sympathique réalisateur : celle des jeunes (en péril) dans Made in HongKong, celle d’hommes adultes dans The Longest Summer, et enfin les enfants et les personnes âgées dans ce dernier opus.


Little Cheung est un film que l’on pourrait qualifier de simpliste : avec peu d’intrigues, un aspect documentaire très brut de décoffrage, Fruit Chan nous montre les transformations de ce petit monde vivant jusqu’alors presque isolé de son non négligeable voisin chinois. Le petit Cheung est un garçon facétieux et malin, et c’est vraiment « à son niveau » que se passe le film : l’insouciance de son âge où les journées passent, où le seul objectif, le seul projet est au plus tard pour le soir même, le dîner, le coucher... « A son niveau » toutefois, on trouve beaucoup de choses pour étonner le spectateur, le faire réfléchir, l’impliquer dans le film, et finalement l’inviter à un voyage urbain très dépaysant.

(JPEG)Comme une constante de la trilogie, on retrouve encore dans Little Cheung un contexte économique et social assez fortement appuyé. Sans parler de crise explicitement, l’argent manque aux personnages des trois films, conduisant à des situations extrêmes dans les deux premiers : un hold-up dramatique dans The Longest Summer ; le meurtre au profit des triades dans Made in HongKong. Et tout cela en réponse à une condition sociale oppressante : la perte d’identité des anciens soldats du HongKong anglais ou l’absence de repère d’une jeunesse déboussolée. Dans Little Cheung, Fruit Chan conserve ces deux thématiques, en l’adaptant au jeune âge des héros. Ainsi, il suffit à Cheung de longer le restaurant de son père, de tourner au premier coin de rue pour tomber sur Fan et sa petite soeur, des clandestins chinois qui font la vaisselle à la sauvette pour un autre commerce. Cheung doit aussi travailler pour aider le restaurant familial, et compte bien sur les pourboires de ses livraisons pour se payer un Tamagotchi dernier cri... Enfant déjà plus si innocent que ça aux yeux d’un occidental moyen, Cheung comprend à peu près les rouages essentiels du fonctionnement de sa vie : comment mater le caïd du quartier ou éviter de se faire disputer par le paternel. Et ceci n’est évidemment que peu de choses comparé à son amie Fan, qui rêve le jour bénit où HongKong redeviendra chinoise.

Il se dégage de tout cela une intrigante normalité des choses, des événements. Les scènes de vie montrées comme une routine amère se succèdent, comme avec certains des camarades de classes de Cheung, clandestins qui se font gentiment raccompagner aux portes de la ville avec un naturel troublant par des policiers blasés. On en vient à se demander où est le travail du réalisateur, si il existe une démarche, tant quelques suites de plans ne racontent au fond pas grand-chose d’un point de vue strictement scénaristique : Fruit Chan a t-il posé la caméra et pris une pause Thé Kung-Fu ? Profite-t-il du fait que le sujet, le lieu, la culture, l’atmosphère de son film soient exotique pour le Tokyoïte comme pour le Chicagolais, et finalement comme pour le Pékinois pour se permettre une certaine fainéantise ?

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Après vision du film (ce qui ne signifie pas que votre avis changera pendant les trois dernières lignes des crédits du générique de fin !), cette remarque est-elle essentielle ? La réponse se précise, et elle est négative. En effet, avec le personnage de la grand-mère, on nous montre que Cheung est avant tout un petit garçon avant d’être HongKongais. Les scènes avec les deux protagonistes sont des petits bijoux de direction d’acteurs et nous démontre un réel travail, une volonté de bien faire les choses, comme si Fruit Chan s’appliquait à ne pas bâcler un film qui sort des standards des films dits HK. En très peu de plans, on nous montre toutes les spécificités d’une famille, et notamment les subtilités d’une relation entre enfants et grands parents, ses différences par rapport à la simple relation parent-enfant (le personnage presque caricatural du père de Cheung abonde en ce sens). Ancienne actrice dans le HongKong des années 30, la grand-mère raconte tous les potins à son petit fils, le seul lien qui lui reste avec cette famille qu’elle ne connaît plus, qui ne la voit plus. Au fond, ce monde change t-il vraiment ? Dans les yeux de Cheung, on n’a pas vraiment l’impression que ce microcosme va être bouleversé quelques mois plus tard, au contraire des deux précédents films de la trilogie, qui comportent une tension sous-jacente liée aux événements de 1997. Non, le seul indicateur du bouleversement en devenir, nous le retrouvons à travers les yeux de Fan, de son espoir pour la normalisation de sa situation. Le petit Cheung permet également à Fan et sa petite sœur de redevenir des enfants normaux, l’espace de quelques scènes comme par exemple celle, très belle, de la baie de HongKong.

Deux normalités dans ce film donc : celle d’HongKong, la ville et la vie, fascinante, déroutante, ses habitants et ses rues filmés in situ, en pleine action. La deuxième est celle de l’enfance, de la famille, d’une société qui change. Le parti pris de faire le film au niveau de Cheung est intéressant, car fusionner ces deux normalités auraient été très difficile sans entrer dans la peau du petit bonhomme, et le film aurait perdu en unité s’il s’était égaré dans des réflexions d’adultes, politiques ou sociales. Pour eux, HongKongais ou clandestins, c’est la même routine : travailler. Les deux mondes, ou plutôt les deux communautés vivent ensemble, et, finalement, Fruit Chan montre et on fait réfléchir tout aussi bien en restant juste témoin de cette vie, plutôt qu’en tablant sur d’éventuels sociologues de comptoir (qui aurait pu être celui du restaurant du père de Cheung par exemple). Au niveau de Cheung, enfin, on ne se pose tout simplement pas ces questions, et c’est vraiment en acceptant cet état de fait que l’on apprécie le film.

Des acteurs (amateurs) étonnants de naturel, en particulier les enfants (de la trempe des gamins de Nobody Knows sortit récemment), qui, en balançoire sur les sangles d’un camion ou a toute vitesse sur des bicyclettes trop grandes, savent amuser, et surtout étonner, dans la logique du film. Car oui ce film étonne, dans la continuité de la trilogie : il s’agit d’un film HK qui sort un peu des studios. Il étonne aussi par son propos : rendre intéressant une histoire de gamins très banale a priori. Il étonne enfin par son réalisme, ou plutôt sa sincérité : HongKong et le temps qui passe. Au final, un ultime volet original, tout aussi passionnant que les deux premiers.

par Bastien Delazzari
Article mis en ligne le 4 janvier 2005

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