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La merveilleuse odyssée de l’idiot tobogan

L’enfer au quotidien

Après Cantique de la racaille, Vincent Ravalec nous revient avec un programme compilatoire, regroupant des courts-métrages réalisés sur une période de dix ans. D’un film à l’autre, certains personnages resurgissent, des thèmes précis se mettent en place pour finalement dessiner une vision morbide de la société moderne. Un cinéma choc sur le désir et la mort, à l’opposé de l’hédonisme kitsch d’un autre programme de courts-métrages au titre à rallonge, un certain Folle de Rachid en transit sur Mars, de Philippe Barassat.


(JPEG)"La première chose que j’ai pensé, c’est qu’elle était pas mal. La seconde c’est que c’était une pute." Cette boutade plutôt drôle et inoffensive placée en ouverture du premier des courts métrages du film ne nous prépare pas à ce qui viendra ensuite. La merveilleuse odyssée de l’idiot tobogan n’a, en effet, rien de bien merveilleux. Il ne faut pas se fier au jaune de l’affiche. Le monde de Vincent Ravalec est définitivement fait de noir et blanc. Deux thèmes se dégagent des courts métrages, la mort et la sexualité. Or la chair est froide et triste. Les titres des courts métrages qui n’apparaissent d’ailleurs pas dans le film sont à ce sujet révélateurs, que ce soit le Portrait des hommes qui se branlent ou bien Conséquences de la réalité des morts.

(JPEG)Pourtant, tout ceci avait commencé de manière plutôt légére avec Never Twice. Celui-ci conte l’histoire d’un homme qui prend une prostituée en voiture (Elodie Bouchez) pour "se faire sucer" et se retrouve à écouter un long discours sur ses désirs et la manière dont elle voit son avenir, pendant qu’il essaye désespérement de jouir. Cet art du décalage se retrouve dans quasiment tous les courts métrages. Les individus sont fondamentalement inadaptés à construire quelque chose avec autrui. La vie est le règne de l’incompréhension, des fausses apparences. Le personnage interprété par Antoine Basler imagine ainsi que sa copine lui fait la tête parce qu’elle l’a surpris dans les bras d’une autre femme alors que dans un second court métrage, celle-ci révèle qu’elle ne comprend pas pourquoi il ne l’a pas touchée en trois ans. Les seules relations possibles sont fugaces et incompréhensibles ; comme entre "ces hommes qui se branlent" et ces femmes enfermées dans des voitures, à la périphérie de Paris, esquissant quelques gestes pour les toucher, ou comme entre la baronne et Alex Descas, avant qu’il ne devienne impuissant, dans le second court-métrage. Marianne Denicourt a beau prétendre être heureuse à sa meilleure amie, le spectateur sait que c’est un mensonge. Juste un de plus.

(JPEG)Prenant acte de ce jeu de dupes, Vincent Ravalec cherche à affronter les choses en face. La plupart des courts-métrages sont construits de la même façon : une histoire de forme classique jouée par des acteurs connus, ou un texte littéraire lu en voix-off sur lequel le cinéaste superpose ses images. La parole, libre, souvent très crue mais surtout virtuose dans son lyrisme, emporte le spectateur dans un élan de poésie incontrolé. Les images sont en revanche sordides. Ravalec va filmer ce qu’on ne souhaite pas voir. Ce sont ces "hommes qui se branlent", justement, et surtout tout un film qui se déroule dans un abattoir. On y voit des vaches et des chevaux mis à mort à l’arme blanche. L’homme souhaite oublier sa condition de mortel. Ravalec le remettra à sa place, forcément dérisoire et douloureuse. Ce court-métrage, le plus violent de tous, est difficilement soutenable. Quand les images sont plus neutres, c’est au discours de se faire plus dur, plus violent, comme dans le court-métrage sur la putrescence des corps. Les seuls instants de répit sont constitués par les transitions entre les films, faites de plans de ciels bleus nuageux, sur lesquels une femme s’interroge sur les mérites de l’abstinence. L’homme pourra-t-il être pur et, pacifié, rejoindre la lumière ? Ou tout cela est-il une illusion de plus ?

L’oeuvre de Ravalec tranche avec la production potache du court-métrage, telle qu’on a l’habitude de la voir dans le cinéma français. Elle a le mérite d’être portée par d’excellents comédiens confirmés comme Marianne Denicourt, Elodie Bouchez, Alex Descas, Stéphane Rideau ou Antoine Basler. Mais si l’auteur a bien des choses à dire, trouvera-t-il pour autant quelqu’un de disposé à les entendre ? La noirceur ne fait pas recette.

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 26 septembre 2005 (réédition)
Publication originale 5 avril 2002

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