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Distance, de Hirokazu Kore-Eda

Sectes, attentats, suicides, le Japon n’en a pas fini de filmer les maux qui le rongent. Avec Distance, Kore-Eda entraîne le spectateur dans un jeu de piste où il s’amusera à le perdre. Une petite partie appréciera le jeu. Cette oeuvre profondémment originale d’une gravité extrême et tout en faux rythme en déroutera toutefois plus d’un. Un film a ne pas mettre entre toutes les mains.


Distance s’ouvre sur l’image d’une mystérieuse rivière. Celle-ci qu’on retrouvera plus tard recèle une enigme que le film va chercher à sonder. Trois années auparavant, les membres de la secte "arche de vérité" ont contaminé l’eau avec des produits toxiques avant de se suicider. Une centaine d’habitants de Tokyo ont trouvé la mort. Trois années plus tard, alors que tout le pays va commémorer le sort des victimes, quatre jeunes adultes se réunissent pour honorer la mémoire de leurs proches disparus, les coupables de cet affreux crime. Une fois sur place, leur voiture disparaît. Les voilà coincés sur place toute la nuit avec un mystérieux inconnu qui se révèle être un ancien adepte de la secte.

Dès les premières scènes, Distance est marqué par une profonde ambiguïté. Comment commémorer la mémoire de bourreaux ? Ces quatre jeunes adultes encore adolescents ne se connaissent pas mais ont en commun le partage d’une même expérience, celle d’un deuil inachevé. Leurs vies quotidiennes sont ternes. Ils errent sans but dans la ville, seuls, incapables de communiquer avec les autres. Distance impose déjà un style particulier. Le film composé de longs plans larges, tournés caméra à l’épaule pour coller au maximum aux personnages, est très peu bavard. Cette commémoration reste pourtant pour les quatre personnages principaux, l’occasion de rompre le silence. Ils questionnent la personnalité de leurs proches et tentent de comprendre comment tout cela a bien pu se passer. Le film est alors composé d’incessants aller-retour entre les cinq jeunes et des images des membres de la secte entre eux ou avec leur famille. Cette structure narrative eclatée n’apparaît pas particulièrement construite. Les séquences se succèdent sans développement logique. Le sens est définitivement rompu.

Car dans Distance, plus on avance et plus le mystère s’épaissit. Le film démontre une incapacité à mettre en image le mal qui est très problématique. On voit les membres de la secte rompre avec leur famille ou délivrer des petites phrases qui après coup font sens mais leur comportement reste incompréhensible. Ces personnages oscillent entre les catégorisations de coupables et victimes. Coupables d’un crime horrible et victime d’une société qui n’a plus aucun sens, de proches indifférents. Le jeune membre de la secte que les quatre autres ont rencontré sur place est bien calme en apparence. Il explique que tout allait bien et que la communauté avait réussi à recréer un espace quasi-familial. Certains membres ont choisi de suivre une voie que lui désapprouvait. Il ne pensait pas qu’ils iraient jusqu’au bout. Cette nuit passée à ressasser tous ces problèmes au final ne résoud rien. Pire, les choses commencent petit à petit à se compliquer.

Au fur et à mesure que Distance avance, les temoignages commencent à se contredire. La suspicion impregne progressivement le film. Le mensonge est mis à jour et le spectateur se retrouve pris au piège au milieu d’un récit qu’il ne maîtrise plus. Nous voilà donc nous aussi à notre tour dans cette position de questionnement. Nous rejoignons les personnages dans leur quête absurde car forcèment perdue d’avance. Comment regarder la mort en face quand on se trouve encore du côté des vivants ? Kore-Eda filme le vertige qui prend ceux qui se trouvent au bord du gouffre. On aperçoit le vide sans pouvoir le combler. Il va donc falloir apprendre à vivre avec et à passer à autre chose. Mais les brumes menaçantes sont toujours là sur la rivière. Le danger n’a pas disparu et le Japon n’en a pas fini de questionner ses démons.

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 6 octobre 2004 (réédition)
Publication originale 3 mars 2002

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