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Lan Yu, histoires d’hommes à Pékin

Stanley Kwan, réalisateur en provenance de Hong-Kong, fait un petit détour par la Chine continentale pour cette histoire d’amour homosexuel. Le film est adapté d’un roman publié en plusieurs parties sur Internet.


Lan Yu est une histoire d’amour hantée par la mort. Au commencement, une voix se souvient et nous ramène des images tout droit venues de l’obscurité du premier plan. Les personnages nous apparaissent d’abord figés, en quelques plans en noir et blanc. Peu à peu, ils prennent vie. L’histoire peut recommencer. Nous sommes à Pekin, en 1988. Le film narre la rencontre, un soir, de deux personnages totalement différents. Le premier se nomme Chen Handong. C’est un chef d’entreprise d’une trentaine d’années, vieux citadin au niveau de vie aisé. Le second est Lan Yu, jeune étudiant venu de sa province du Nord-Est pour étudier l’architecture à Pékin. Ce dernier va tout d’abord se prostituer auprès du premier, avant que ne se développe entre eux une relation amoureuse.

L’intrigue se déroule sur plusieurs années, à coups d’arrêts et de recommencements, un peu à la manière du Happy Together de Wong Kar-wai. D’un point de vue narratif, le film est composé d’une juxtaposition de scènes de la vie quotidienne. Cette forme nous rappelle les souvenirs qui viendraient à l’imagination du narrateur, de manière éparse et hasardeuse. Seule compte ici l’intimité qu’ont pu avoir ces deux hommes, intimité à la fois physique et sentimentale. Lan Yu et Handong se retrouvent donc quasiment toujours seuls, face-à-face. Le couple, par sa façon d’exister, annihile toute intervention de l’extérieur. Il est constamment reclus dans des intérieurs aux lumières très obscures. Ici, Stanley Kwan excelle à filmer ces scènes d’enfermement intime. La photographie de Lan Yu, toute en plages sombres menaçant constamment d’envelopper les personnages et de les engloutir dans la nuit, est somptueuse. La dimension politique du film est elle aussi déterminée par l’histoire des deux amants. On ne verra des massacres de la Place Tienanmen qu’une fuite de vélo en pleine nuit. Plus tard, Handong est menacé par le régime de peine de mort pour ses agissements illégaux, mais le réalisateur s’attache surtout à la manière qu’a Lan Yu de réagir à la situation.

Le thème de l’homosexualité et de la prostitution permet néanmoins à Stanley Kwan de développer une vision critique d’une Chine moderne, dans laquelle l’argent joue un rôle moteur. Car si l’on ne voit pas grand chose de Pékin (hormis lors de la magnifique scène finale), le film nous en dit quand même beaucoup sur ce qui s’y passe. Les personnages vivent dans des espaces clos mais le pays, lui, s’ouvre aux relations commerciales avec l’extérieur. On comprend aussi qu’une partie de la population des régions les plus pauvres se rend à la capitale pour essayer de s’en sortir. Les normes imposées par la société sont encore fortes et mettent à rude épreuve l’amour des deux individus. L’un rêve de se marier, l’autre de quitter le pays. Les deux hommes sont aliénés dans leur propre intimité, constamment séparés dans l’espace par l’architecture des pièces ou les jeux de miroir.

Le plus dur, au delà des disputes et des ratés inévitables de la relation, ce serait donc de trouver le bonheur dans un monde en constante mutation. Tout le film est marqué par un fort sentiment de mélancolie, dans la musique, dans la lumière ou chez les personnages eux-mêmes. Tout semble déjà joué : Lan Yu n’est qu’un regard en arrière sur une belle histoire révolue, avant de pouvoir, peut-être, tout recommencer. L’amour des personnages est condamné à être à l’image de leur ville : en constant chantier, entre écroulement et reconstruction, entre la mort et la vie.

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 20 octobre 2005 (réédition)
Publication originale 13 mars 2002

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