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L’Echine du diable

Premier film espagnol du réalisateur mexicain Guillermo Del Toro, auteur du sympathique Mimic et de l’effilé Blade II, L’Echine du diable confirme la bonne santé du fantastique ibérique, qui pourrait peu à peu s’imposer comme un contre-modèle à son homologue américain.


L’Echine du diable, le nouveau long-métrage de Guillermo del Toro revient aux sources même du fantastique. Il inscrit d’abord son film dans un contexte parfaitement réaliste. L’oeuvre s’ouvre sur des plans liant l’explosion d’une bombe et la mort d’un jeune enfant pendant la guerre civile Espagnole. On ne le sait pas encore mais on se trouve dans un établissement catholique accueillant les soldats républicains blessés et les enfants orphelins des hommes tués pour la "bonne cause". Un matin, c’est au tour du jeune Carlos de rejoindre cette petite communauté vivant à l’écart du monde, mais menacée par la progression des troupes de Franco sur le terrain. Une fois ce décor planté, on y intégre peu à peu des éléments fantastiques comme l’apparition d’un fantôme qui hante les lieux. C’est celui du jeune garçon aperçu mort dans la première scène. De folles rumeurs courent sur son décès. Organisé sous la forme d’un huis-clos, le film parvient à nous intriguer grâce à la description de cette communauté bien étrange. Chaque personnage semble y receler sa part de mystère, aussi bien les enfants que les adultes. Il est rapidement évident que des secrets, des liens troubles nous sont provisoirement cachés.

Si L’Echine du diable appartient indéniablement au domaine du fantastique, le film ne fait jamais peur. Guillermo Del Toro s’est abstenu de tous les effets-chocs que l’on retrouve habituellement dans le genre. Le classicisme de sa mise-en-scène vise avant tout à créer une atmosphère inquiète et dérangeante. Le réalisateur fait preuve pour cela d’une parfaite maîtrise de l’espace et de la lumière, et filme cette grande bâtisse jusque dans ses multiples recoins. Le film organise par exemple une parfaite opposition entre le jour et la nuit, cette dernière étant réellement le temps de la journée durant lequel les comportements se font les plus étranges. Toute cette mise en scène faite de nombreux mouvements de caméra, donnant du dynamisme au film, sert surtout à mettre en valeur un scénario très solide. De multiples univers s’y confrontent (enfantin, scientifique, politique, fantastique bien sûr), sans qu’ils s’annulent les uns des autres. L’Echine du diable y gagne au contraire en profondeur et en cohérence. L’histoire se joue donc à plusieurs niveaux et se développe sur le modèle des poupées russes. Tout le début se concentre sur l’introduction d’un nouvel enfant parmi d’autres, puis peu à peu le monde des adultes s’infiltre et prend possession de l’histoire, avant que les choses n’évoluent à nouveau.

L’Echine du diable s’appuie avant tout sur des personnages très soignés, et ambigus. Guillermo Del Toro a clairement souhaité replacer l’humain au centre du fantastique. Son film est d’abord un questionnement de sentiments aussi divers que la douleur, l’amour, le désir, la convoitise ou la haine. Les corps tiennent une place particulière dans l’approche visuelle du film ; ils sont constamment mis à mal ou en sang. La violence s’inscrit de même avant tout sur la chair des personnages. C’est en brouillant leur caractère que L’Echine du diable se fait le plus dérangeant. L’espace d’une scène, le réalisateur parvient à renverser nos schémas de pensée manichéens et à instaurer un peu de trouble. Le questionnement de la violence se répètant indéfiniment à tous les niveaux, donne sa cohérence finale à l’univers du film et relie les dimensions politico-historique et fantastique.

L’essai est donc réussi pour Guillermo Del Toro, qui sait fouiller en chacun de nous la fragile frontière entre l’humain et le monstrueux. Les hommes sont bien des entités complexes et ce n’est pas tous les jours qu’un film de genre parvient à le démontrer.


De Guillermo Del Toro, on pourra lire la critique de Blade II.

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 17 octobre 2005 (réédition)
Publication originale 14 mai 2002

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