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La Bancale se balance, de Louise Doutreligne

Fièvre éro-triste

Louise Doutreligne a vraisemblablement raté son coup. En écrivant l’histoire d’une jeune femme sauvée par son sexe, elle manque sa cible et peine à enthousiasmer par son propos. Nous avons assisté à la première de sa pièce La Bancale se balance. Elle était là. Sa séance de dédicace a tourné à l’eau de boudin, désertée par les spectateurs déçus. Comme quoi, nous n’étions pas les seuls.


Elle est seule sur scène, toute de noir vêtue. Un manteau noir, serré à la ceinture. Elle entame une histoire à la troisième personne, d’une voix éraillée, assez déplaisante. Une histoire, oui. Quelle histoire ? Difficile à dire : une histoire qui se prend au sérieux, en tous cas, qui s’emberlificote dans des tournures littéraires qui marquent dès le début la distance entre le spectateur et le narrateur. Dès l’introduction, le spectateur est mis hors-jeu.

L’actrice se déshabille. La mise en scène suggère, certainement, une mise à nu psychologique, un dévoilement symbolique. Elle nous apparaît en nuisette, noire elle aussi, et l’on s’aperçoit que tout, dans ce décor vétuste, est noir : murs, sol, estrade concave. Très vite le spectateur est sceptique. Il attend la suite, pour l’heure il n’a pas encore tout à fait compris.

Second temps. Le personnage principal se retrouve au fond d’une cuvette et se fait arroser d’un seau d’eau par un homme masqué. Malgré un certain effort d’empathie herméneutique, le spectateur demeure coi et s’interroge sur le sens de ce qu’il vient de voir.

Elle raconte ses premiers pas dans la vie, sa "résurrection" car elle aurait pu mourir. Mais sait-elle qu’elle n’est pas la seule à qui la mort a frôlé le berceau ? Que la fragilité ne lui est pas singulière, aux heures où nos béquilles font office d’échasses pour enjamber le monde ? Il n’y a pas qu’elle qui soit bancale, et cette anfractuosité des premiers temps n’est pas une excuse recevable pour la suite.

Car la suite atteint au paroxysme de l’horreur, tant en soi que pour le spectateur : affublée de cet homme masqué qui s’applique consciencieusement à faire des dessins sur sa peau, à elle et à lui (là à nouveau, le sens échappe), elle nous décrit en détail ses premières expériences de fellation et autre expériences esthétiques particulièrement "intéressantes" (...).

Soudain, sa voix éraillée ne nous déçoit plus tant que ses propos. Elle se met à danser comme une hystérique au son d’une musique metal qui assourdit les tympans, l’on n’y comprend rien et le spectateur serait vivement tenté de regarder sa montre. Car ici, point de compassion. Une histoire aussi accablante ne nous touche pas, le personnage principal semble trop s’y complaire. Aucun second degré, aucune prise de distance. La narratrice est dedans et le spectateur n’a aucune envie de partager sa jouissance verbale et pornographique.

Quand, enfin, l’histoire se termine avec l’ouverture des fenêtres de la salle par les deux acteurs, le spectateur regarde par la fenêtre et n’a qu’une envie : se retrouver dehors à respirer l’air pur et non celui, vicié, de l’auteure de la pièce. Car, au fond, le reproche n’est pas à faire à l’actrice qui fait ce qu’elle peut, et s’investit pleinement dans le rôle qui lui a été dévolu. Ni à l’acteur qui, déplaisant parce qu’il ne sert à rien, porte bien son masque. Quant à celle qui écrivit le texte, elle l’a certainement fait davantage par besoin que par amour de l’esthétisme.

Mais l’idée même de mettre en scène un tel texte et de le donner à voir à un public dépasse l’entendement. Cela passerait encore si la mise en scène cassait avec l’atmosphère sordide qui se dégage du texte. Mais tout concourt à nous révulser : le texte comme la mise en scène qui frise par moments l’idiotie. Peut-être était-ce l’objectif : montrer au public du Rond-Point combien il est idiot de ne pas être capable de s’élever à de hautes sphères spirituelles et de lire entre les lignes d’un texte peint en noir acide.


Mise en scène d’Antonio Arena.

Avec Marianne Basler.

Au Théâtre du Rond-Point.

Renseignements au : 01 44 95 98 21.

Jusqu’au 22 octobre.

par Christine Leroy
Article mis en ligne le 7 octobre 2005

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