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Tuvalu

Un policier, un inspecteur, un homme d’affaires sans scrupules, une petite mémé infirme, une bande de clochards... : c’est toute une étrange faune qui se croise au cœur d’une piscine tombant en ruine dans une ville indistincte en voie de destruction.


Tuvalu est une perle. Veit Helmer réalise ici un long-métrage talentueux alliant poésie, humour et esthétique. L’intrigue est servie par des acteurs remarquables malgré la contrainte du muet. Un film simple et rafraîchissant, un monde de sensualité, de séduction, de trahison, de tendresse que Veit Helmer fait surgir en quelques images, quelques gestes, quelques regards. Pour son premier long-métrage, le réalisateur n’a pas eu peur de tenir plusieurs paris à la fois.

Première originalité : Tuvalu semble être un film muet puisque les dialogues se réduisent à quelques interjections et onomatopées. Mais le travail sur le son est au contraire très recherché, rappelant par exemple celui de Fritz Lang sur M le Maudit. En effet, alors qu’il réalisait son premier film dit "parlant", Lang avait choisi le silence comme une arme décisive : peu de paroles mais seulement des bruits comme le sifflement entêtant des quelques mesures de Peer Gynt ou la comptine entonnée par les enfants. Dans Tuvalu, Helmer reprend ce principe avec brio. Tout au long du film, on perçoit avec une acuité plus grande encore les sons de la piscine : enregistrements qu’Anton passe à son père pour lui faire croire qu’il y a du monde, bruit de la pluie à l’extérieur mais surtout martèlement sourd du moteur thermique, objet de convoitise de tous. Ce travail extrêmement précis sur l’arrière fond sonore crée le suspens : quand le moteur s’arrête parce qu’Eva a volé une pièce, c’est toute la salle qui retient son souffle devant ce silence inhabituel. Parallèlement, Helmer utilise avec parcimonie la musique de Jürgen Knieper (le compagnon de nombreux films de Wim Wenders) qui est presque uniquement présente quand elle se justifie par un élément de l’intrigue : Anton allume un transistor, une fanfare joue un morceau. Discrète, elle n’en contribue pas moins à donner une atmosphère nostalgique au film, tandis que la chanson composée par Goran Bregovic (qui sort tout droit de l’univers Kusturica) replace l’intrigue dans un lieu loufoque entre "absurdistan" et "balkanésie" comme l’écrit si justement le réalisateur dans sa note d’intention.

Le travail effectué sur l’image est lui aussi particulièrement frappant. Bien que tourné en noir et blanc, les teintes légères (sépia, bleu) rajoutées après coup délimitent des espaces. Tandis que les décors rappellent au premier coup d’oeil un univers à la Caro et Jeunet (un cimetière de bateaux, un immeuble condamné au milieu de nulle part), le cadre et le montage rendent un hommage manifeste aux premières décennies du cinéma : certaines scènes défilent en accéléré, l’éclairage des bâtiments mais surtout des visages s’inspirent visiblement des maîtres de l’expressionnisme allemand. L’humour et la tendresse du scénario semblent, eux, hérités des films de Chaplin. Anton et Eva nous font voir ce monde pourtant cruel (deux morts, des clochards, une ville gangrenée, l’absurdité du progrès technique) avec une capacité d’étonnement toute enfantine. La poésie de la vie surgit à chaque instant : on s’émerveille d’un soutien-gorge égaré, d’une bouteille à la mer ou d’une douche qui ne coule jamais où et quand on l’attend.

Mais alors même que Veit Helmer s’inscrit assez clairement dans un univers de références, son film reprend aussi des thématiques tout à fait modernes comme son traitement de l’eau. Quand Eva nage dans la piscine avec son poisson, on se situe du côté du fantastique et du merveilleux et Helmer transforme la jeune fille en sirène ou en nymphe. L’eau est alors un élément purifiant, symbole de l’innocence. On retrouvait cet aspect dans La ligne rouge (Terence Malick) par exemple où les scènes de nage du héros symbolisent un paradis perdu face à l’horreur de la guerre. De la même façon, la mer à l’arrière-plan représente (grâce au bateau d’Eva) le seul espoir d’une vie meilleure dans des contrées inconnues. Mais au dehors, alors que la pluie tombe sans discontinuer et qu’elle s’infiltre partout, l’eau devient plutôt le symbole d’une apocalypse à venir comme le préfigurent les bateaux croulants du port et les immeubles en ruine. On se sent alors tout à fait proche de Blade Runner (Ridley Scott) ou de The Hole (Tsai Ming Liang).

A l’image de ce titre énigmatique aux sonorités indigènes, Tuvalu est bien l’île du bout du monde qu’il annonce, un OVNI dans le paysage cinématographique actuel, le premier film prometteur d’un cinéaste à surveiller.

par Clémence Parente
Article mis en ligne le 28 février 2005 (réédition)
Publication originale 22 novembre 2000

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